Geldir, an 43

Une tente anthracite, à l’est de la ville, abritait la famille Kelan. La mère, Kern, était une grande femme dont les longs cheveux noir de poix, qui lui arrivaient à la taille, ne faisaient qu’accentuer son interminable silhouette. Elle avait des yeux aussi sombres que ses cheveux et le teint si pâle qu’à côté d’elle la neige paraissait chaleureuse. Ses origines de l’est remontaient à si loin qu’elle en avait gardé ces caractéristiques.
Les natifs de l’ouest contaient que les natifs de l’est paraissaient toujours malades à cause de leur peau si blanche, mais cela n’était d’aucune pertinence. Kern avait une si bonne santé qu’elle n’avait jamais eu de maux depuis sa naissance. Elle semblait avoir transmis sa solide constitution à ses enfants, qui eux aussi échappaient à toutes les fièvres et toux chaque hiver.
Son mari, Brim, le même âge qu’elle, était encore plus grand. Il pouvait voir par dessus les cabanes et les tentes : c’est pourquoi leur foyer dépassait de plusieurs mesures ceux de leurs voisins.
C’était un homme à la musculature impressionnante, ses épaules étaient trois fois plus larges que celles de sa femme. Ses cheveux courts et blonds étaient aussi piquants que sa courte barbe. Leurs deux enfants en plaisantaient souvent. Il avait des yeux ronds aux prunelles bleu acier, des joues bien pleines et rougeâtres par le froid.
Il avait demandé sa main à Kern dans leur village de l’est. Le roi souhaitait recruter de nouveaux Gardes pour rajeunir ses rangs, ce couple juvénile aux rares pouvoirs n’était pas passé inaperçu. Ils acceptèrent l’offre et vinrent s’installer à la capitale, après tout ce serait le lieu idéal pour élever leurs futurs enfants.
Quelques lunaisons suffirent avant d’accueillir l’aîné, Kaaz. Puis, dans l’attente de temps plus doux due à plusieurs années de grands froids, ils eurent leur second fils Rimm.

Un soir, alors que Kaaz jouait avec des pierres dans la pièce à vivre, il fit apparaître une étincelle entre ses paumes :
« Regarde papa ! Je peux faire comme toi ! Brim, fier, s’approcha de lui et lui ébouriffa les cheveux.
— Encore un peu de pratique et tu deviendras Gardien ! » dit-il tout en se dirigeant vers le berceau en bois de Rimm pour le changer.
Kaaz accourut voir sa mère, dans la chambre parentale, qui était en train de coudre une cape pour lui.
« Maman regarde, j’ai le même pouvoir que papa ! dit-il en joignant ses mains et fit jaillir de petites étincelles.
— C’est bien mon petit ! Veux-tu que je te montre une astuce ? proposa-t-elle en posant son ouvrage au sol.
— Oui, bien sûr. »
Elle se mit à genoux pour être à la hauteur de son fils. Elle tourna ses mains vers le ciel, les particules d’eau présentes dans l’air se rassemblèrent au creux de ses paumes. En joignant ses mains, elle combina le tout puis déversa le liquide à terre.
« Si un jour tu es en danger et qu’il y a de l’eau non loin de toi, laisse celui qui te poursuit entrer en contact avec. Ensuite, envoie ton énergie magique sur la mare ou la rivière, ainsi tu maîtriseras ton poursuivant. »
Elle lui prit la main et l’aplatit à la surface de la flaque. Le garçon lança ses étincelles, encore minimes, mais qui se propagèrent dans le fluide. Kaaz se tourna vers sa mère en souriant et lui embrassa la joue. Elle le serra contre elle.

À l’automne Geldir an 48, Kern et Brim montaient la garde à la porte ouest du château lorsqu’ils entendirent un vacarme, tel un bruit de cabane qui s’effondrait.
« Reste ici, je vais jeter un œil » fit Brim.
Il passa par la poterne. Les grandes portes étaient fermées puisqu’aucun événement n’était à prévoir avant plusieurs semaines. Passée la seconde petite porte, il distingua le jeune Litar – qui venait d’avoir ses quinze ans – accompagné de quatre autres Silarens plus âgés s’attaquer à deux autres Gardiens.
Voyant ses amis tomber sous les coups, il s’interposa en utilisant son pouvoir Foudre sur Litar mais celui-ci s’enveloppa aussitôt de son Bouclier doré. L’énergie électrique qui sortait de sa main n’était pas suffisamment corrosive et ne fit qu’effleurer la coque mouvante et impassible du jeune Dois.
Un des quatre autres Silarens éjecta Brim grâce à sa Mobilité : il fut projeté contre une cabane qui s’écrasa sous son poids. Il se releva avec peine quand il entendit la voix de Kern crier :
« Arrêtez ! Que faites-vous ? Pourquoi trahir notre bon roi ? »
Le même Silaren la balaya d’un revers de la main, elle tomba à la renverse. Litar utilisa son Inflammation pour la brûler vive, elle hurla de douleur alors que les flammes s’attaquaient à ses jambes.
Brim rassembla ses forces et courut, puis bondit sur sa femme pour la recouvrir et la protéger des flammes. Elle hurlait et pleurait à la fois. Elle leva une main pour caresser le visage de Brim, dont les vêtements commençaient à s’enflammer à leur tour.
Toujours de sa main droite, Litar lança de nouvelles flammes sur le couple qui fut enveloppé par le feu. Brim serra Kern de toutes ses forces, elle l’enlaça. S’ils devaient mourir, c’était ensemble.

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