Je laisse échapper malgré moi un hurlement, mais il n’y a personne pour me venir en aide. La forêt est sombre et froide. Mon cœur bats à m’en transpercer la poitrine. Mes jambes courent du plus vite qu’elles peuvent mais s’affaiblissent à chaque pas. Mon père, ma mère… Je veux les sauver. Mais il est déjà trop tard, ils m’ont rattrapé. Ces hommes, ils pointent le canon de leurs fusils sur moi. Au moment fatidique, l’un d’entre eux s’interpose et cri : « Ce n’est qu’une gamine ! Laisse la vivre ! » De sang-froid, l’homme ordonne à ses sbires : « Eliminez le puis débarrassez-vous de l’enfant aux yeux de sang !»
Après un long silence, j’entends une voix. Elle se détache de l’obscurité et me murmure « C’est fini, tu es en sécurité ». Puis, plus rien.
Les premières lueurs du jour me tirent de mon cauchemar. Mais même éveillée, mon passé viens me hanter. En effet, aujourd’hui est le jour du huitième anniversaire de la mort du roi et de la reine de Prinaco ainsi que de la disparition de deux des héritiers, moi et mon frère Sage. Disparition ou plutôt fuite. C’est aussi le jour où ma sœur jumelle, Colombe, va monter sur le trône.
Des cotillons, des fleurs…les rues sont si joliment décorées. La ville montre aujourd’hui son plus beau visage, comme si tous les problèmes avaient soudainement disparu. On peut voir un peu partout dans les rues, des charres défiler pour l’occasion. Les villageois, qu’il soit pauvre ou riche, sont tous habillés le plus élégamment qui leur est possible. Et des touristes des royaumes environnants sont venues assister au couronnement. C’est un évènement capital pour Prinaco mais aussi pour tout le continent. Après huit ans, la principauté de Prinaco va enfin récupérer une souveraine. La musique envahie les rues et déjà l’hymne national se fait entendre. La cérémonie va bientôt commencer.
Je me mêle à la foule afin de ne pas être reconnue. Mon visage et celui de Sage sont placardés partout dans la ville et ce, depuis huit ans. Si l’on me remarque, je serai sans doute exécutée. Le crime que l’on me reproche et sans doute le pire, je suis accusée de parricide. Je n’avais que six ans au moment des faits et mon frère, lui, n’en avait que douze. Ils ont jugé que notre fuite était la preuve de notre culpabilité. Mais à cela s’ajoutait aussi notre crime de naissance. Celui d’avoir eu des yeux rouges, d’être comme on nous appelle si affectueusement, un « enfant du mal ».
Me voilà enfin dans la salle du trône. La pièce est comme dans mes souvenirs, à croire que le temps n’a pas eu d’effet ici. Ce qui m’étonne, c’est qu’elle n’ait pas était décorée malgré l’occasion. Des tapis en velours, aux meubles en bois en passant par les tableaux de famille, rien n’a changé. Ce n’est qu’une intuition mais je pense que Sage se trouve parmi tout ce monde. Il était très attaché à Colombe avant, je ne l’imagine pas rater quelque chose d’aussi important. Surtout que grâce à son sacre, elle pourra peut-être nous innocenter. La cérémonie est entamée, je rechercherai mon frère plus tard. Colombe, ma sœur, s’avance gracieusement vers le trône. Une douce mélodie se répand à son passage, c’est notre père, un roi passionné par la musique, qui l’avait composée. Ses habits, riches et élégants, sont ceux que feu ma mère portait lors de son accession au trône. Les long cheveux cendrés de Colombe sont tressés et ornées de pâquerettes. La scène semble presque irréelle. C’est M. Pabel le conseiller royal qui soulève la couronne. C’est un homme habituellement grincheux trouvant plaisir à martyriser les gens, un vrai monstre toujours en train d’imaginer de nouvelle loi pour priver les gens du peu qu’ils ont. Son crâne dégarni, son gros ventre et sa vieille face ridée lui ont valu le surnom de « Bulldog». Mais au moins, il a le mérite d’être fidèle à la famille royal.
Au moment où le diadème s’apprête a touché la tête de Colombe, une flèche transperce le bras de Pabel. La couronne en tombe et se brise en mille éclats. Mais ce n’est pas le plus important le sang s’écoule en grande quantité du conseillé et avec une rapidité inquiétante. La garde vient évacuer ma sœur et le conseiller royal mais aussi la foule paniquée. Je ne dois pas m’attarder ici, je pourrais me faire arrêter. De plus, l’archet ne doit pas être loin. Il sait peut être quelque chose des événements d’il y a huit ans.
En sortant, il ne me faut pas longtemps pour remarquer qu’un garçon d’une quinzaine d’années m’observe du haut du toit. Il a de longs cheveux châtain, des yeux d’un vert intense et un teint caramel. Ses vêtements sont en piteux état, sales, déchirés. Il me regarde fixement, me montre fièrement son arc, puis me fait signe de le suivre. Je décide de l’ignorer, après tout, il faudrait être vraiment stupide pour montrer son arme après ce qui venait de se produire et puis, il est trop jeune pour avoir un rapport avec mon si douloureux passé. Mais rapidement quantités de soldats se retrouvent autour de moi. Le jeune archet décoche une flèche pour faire diversion puis m’invite à me joindre à lui. Je parviens à le rejoindre et à le suivre avec grande difficultés, feignant à plusieurs reprises de tomber. La milice est sur nos talons, elle va nous rattraper. Je cours aussi vite que je peux, mais la fatigue se fait vite sentir.
«- Repose toi je vais assurer tes arrières. » Il sort son arc, vise les gardes puis…il…éclate en SANGLOT !!! « -Pitié, je ne voulais pas vous tirer dessus, mais elle m’a ensorceler… avec son éclatante beauté… vous comprenez je ne pouvais pas l’abandonner…s’il vous plait pardonnez-nous !!!» Les gardes ne comprennent plus rien à ce qu’il se passe et moi aussi d’ailleurs mais tant qu’ils sont désorientés, prenons la fuite!
Arrivés dans une ruelle sombre, je l’empoigne énergiquement et j’entame la conversation afin de savoir à quel genre de détraqué j’ai affaire :
– T’es qui et pourquoi tu me suis !?!
– Ne t’énerves pas, je ne suis pas dangereux. Et puis tu as bien vu, on est du même côté. Je me présente, Nao, je suis agile avec un arc, un excellent comédien et sans doute l’un des plus beau gars que tu aies jamais vue.
– Tu…tu m’as sauvé et je tiens à te remercier, balbutiais-je affichant un sourire névrosé.
– Oh, je vois tu meures d’envie de m’embrasser, c’est vrai que je fais cet effet parfois, vas-y Céleste, je suis tout à toi.
Il approche son visage. Je l’esquive et m’apprête à m’en aller quand il me saisit le bras. Par réflex, j’empoigne mon épée. Je prends rapidement le dessus, sans doute parce qu’il ne se défend pas. Ma lame est juste sous sa gorge, et pourtant c’est moi qui tremble. Avec un ton plus froid, il s’exclame :
– Vas-y, tue-moi. Si c’est ce que tu veux, je ne m’interposerai pas. Je ne veux que ton bonheur.
Il continue de me sourire, je ne sais plus ce que je dois faire. Je laisse tomber mon épée. Et sous le coup de l’émotion quelques larmes se mettent à couler.
– Idiot ! Je pourrai vraiment te tuer si je le voulais. Tu ne me connais pas, alors pourquoi tu n’as pas peur ? Je suis une meurtrière !
– Chut, cesse de sangloter, ce n’est rien. Je ne t’en veux pas, tu sais, et puis la nuit va tomber, suis moi, on va chez moi.
– Je ne pleure pas ! Et puis je n’ai pas besoins d’aller chez toi, je peux très bien camper. Et tu as entendu ce que je t’ai dit ? Je suis dangereuse, si tu restes trop longtemps avec moi tu seras arrêté.
Juste à ce moment mon ventre émet un gargouillis des plus gênants
– Tu as faim ? Quelle chance ! Tu as sous les yeux un excellant cuisinier. Alors, arrête de faire la difficile et suis moi. »
Il me prend par la main, et m’entraine vers la sortie de la ville tout en continuant son monologue sur les différents plats qu’il sait faire. Ce garçon est vraiment bête, il ne semble pas écouter ce que je lui raconte. Mais étrangement, sa voix m’apaise, j’ai l’impression de l’avoir déjà entendue… Je n’essaie pas de partir. Pour la première fois depuis longtemps je me sens bien. C’est comme si une flamme venait de s’allumer dans mon cœur, elle ne me brule pas, elle me réchauffe. C’est une sensation agréable et troublante. Cet individu m’a l’air spécial. Finalement, il aura peut-être des informations.
Nous traversons le pont de bois qui mène à la forêt. Il y fait vraiment sombre et un épais brouillard nous cache le chemin. Au bout d’une demi-heure nous arrivons devant une prison abandonnée. Ce lieu m’est totalement inconnu. La façade d’un gris déprimant est fissurée et la végétation empêche le soleil d’éclairer l’endroit. Le hurlement d’un loup environnant me glasses le sang. « Ne t’en fais pas, tu es en sécurité.» Il me regarde, souriant, comme toujours. Il me fait tellement penser à Sage…
Après avoir franchi une vieille porte rouillée, on pénètre dans la salle principale. On y trouve des tapis troués et abimés, des tonneaux qui servent de tables et dans un des angles un grand fourneau. Malgré tout, je dois reconnaitre que cette pièce a son charme. Le mur est décoré par une fresque. On y voit un grand buffet au milieu d’une forêt et…Nao et moi en train de danser. Mais ça ne m’étonne pas. Je suis sur maintenant qu’il me connait. Mais je préfère le questionner plus tard. Cette journée m’a épuisée.
Nous passons à table. L’odeur qui émane des cailles me met l’eau à la bouche.
– Merci pour ton hospitalité, je dois admettre que tu es meilleur cuisinier que guerrier.
– Tu ne veux toujours pas reconnaitre que je t’ai sauvé, alors ? ce n’est pas grave je comprends que tu sois impressionnée par un noble chevalier comme moi.
– Arrête de dire n’importe quoi ! Tu as pleurniché comme une fillette. J’aurais parfaitement pu les combattre sans toi.
Il a de nouveau les larmes aux yeux. Cela rend ces beaux yeux verts scintillants.
– Tu sais t’es mignons quand tu…Je vais me coucher, bonne nuit.
Je n’arrive pas à croire ce que je viens de dire. C’est surement la fatigue…oui, la fatigue. J’ai beaucoup couru et mon cerveau a du manquer d’air. Ou alors je suis en train de devenir démente, c’est la seule explication.
– Attends Céleste, va jusqu’au bout de ta pensée. »
Je préfère l’ignorer, j’ai eu un moment de faiblesse. Demain je l’interroge puis je reprends mes recherches. Mais pour l’heure il faut dormir. Ce qui va me servir de chambre est une vieille cellule de trois mètres carrés tout au plus. Tous ce qu’il y a dedans c’est un lit métallique avec une couverture qui selon moi fut une vieille nappe, ainsi que quelques chiffons, qui servent de rideau afin de dissimuler les barreaux. Mais avec la journée que j’ai passée, je pourrais dormir n’importe où !
« …débarrassez-vous de l’enfant au yeux de sang.»
Encore cet horrible cauchemar… mais bien sûr ! L’enfant aux yeux de sang, seuls les gens de la ville de Prinaco m’auraient appelée comme ça. C’est triste de l’admettre, mais il n’y a que chez nous que l’on traite avec autant de mépris des personnes pour la couleur de leurs yeux. Et cette croyance malsaine se limite à notre ville. C’est là-bas que se trouve la clé de toute cette affaire. Nao est sans doute endormis, je reviendrais le questionner plus tard. La priorité pour l’instant c’est la mort de mes parent, je ne peux pas me laisser détourner par quoi que ce soit d’autre.
Première étape : le marché. C’est là que circulent tous les ragots. Les événements d’hier ont dû raviver de nombreux souvenirs dans la mémoire des villageois. Plusieurs mois après le drame, le régicide avait continué de monopoliser les esprits.
Comme je l’avais imaginé, les habitants parlent beaucoup. La plus part des conversations ne sont qu’un tissu de mensonge et de rumeur. Mais au point où j’en suis, toute information est bonne à prendre :
– On m’a dit qu’un archet et une jeune fille aux yeux rouges sont recherchés pour les événements de la veille. Ce pourrait être la petite Céleste et son frère.
– N’importe qui dans cette ville pourrait être le coupable, le conseiller est haï de tous. Je ne pense pas que cela est un rapport avec le passé mais plutôt avec la nouvelle loi qui prend leur terre au paysan afin d’y faire des recherches.
– Vous oubliez que la flèche a été tirée au moment du couronnement. La princesse aurait très bien pu être la cible… »
Ce ne sont que des suppositions mais quand j’ai vue Nao pour la première fois, il était à une rue du palais, un arc à la main…Ça n’peut être que ça ! Il a voulu blesser ma sœur, mais il l’a manqué. Puis il a dû me reconnaitre, et avec ses mensonges il m’a fait baisser ma garde. J’ai était tellement stupide. Comment ai-je pus me laisser avoir aussi facilement ?
Sur le chemin j’entends des pleurs, ce sont celles de Nao. Les gardes l’ont immobilisé et l’emmène vers le château. Ils sont en train de me voler mon principal suspect. J’ai besoin de l’interroger. Mais je ne peux pas intervenir, ils sont bien trop nombreux. J’irais m’occuper de lui ce soir à la prison. Et à ce moment, je lui ferai regretter de s’en être pris à ma sœur.
En attendant, je dois aller sur les quais. Une vieille connaissance m’y attend. C’est la voyante la plus célèbre des environs, une femme excentrique qui fait chavirer le cœur de plus d’un marin. Elle était la meilleure amie de mère. En me voyant elle s’empresse de terminer sa consultation et m’invite à entrer chez elle.
– Tiens, qu’est-ce qui me vaut l’honneur de votre présence princesse.
– Amaryllis, je voudrais savoir si tu as eu vent d’information concernant l’incident d’hier ?
– En effet, on m’a parlé de ce qui s’est produis la veille. Un de mes clients a abordé ta promenade sur les toits. Tu devrais te faire plus discrète à l’avenir, certain te suspecte d’être à l’origine du tire d’hier. Sinon j’ai appris que quelqu’un aurait profité de la confusion ambiante afin de dérober les morceaux de la couronne, ce serait ce messager des enfants aux yeux de sang.
– Le messager des enfants aux yeux de sang…tu peux me dire ce que tu sais de lui ?
– Eh bien…tout ce que je sais c’est qu’il s’en est pris récemment à plusieurs gardes mais aussi aux personnes qui s’attaquent aux individus aux yeux rouges. On n’a jamais vue son visage à cause du masque qu’il porte. On sait juste que c’est un homme d’une vingtaine d’année. Treize personnes ont déjà péri, transpercés par sa lame.
– Je te remercie ton aide m’a été…
– Attend, je n’ai pas finis. Pabel est passé peu de temps avant toi. Il avait l’air heureux. On dit que le jeune homme capturé ce matin va être exécuté ce soir. Il va être jugé dans l’heure, tu devrais te dépêchez.
– Comment ?!? J’ai moins de temps que prévu on dirait. Je te recontacterai si besoin.
– Au revoir princesse. Faite attention à vous. A peine me suis-je éloignée qu’elle reprend son escroquerie.

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