Seules quelques torches grossières éclairent ce long couloir de pierre qui court dans les tréfonds de la terre. Ce long corridor est taillé dans la roche et les seuls éléments travaillés sont les lourdes portes en bois munies de barreaux dans leur maigre ouverture. Le sol pavé de blocs de granit irréguliers est marqué par le temps. L’ambiance singulière de cet endroit est ponctuée par la faible luminosité : il y a bien trop peu de torches pour tant de longueur et il y a de nombreuses zones d’ombres. L’étroitesse force les deux geôliers de cette prison souterraine à avancer l’un contre l’autre malgré leur carrure imposante. Ces deux bestioles à l’aspect reptilien sont couvertes de plaques de métal qui font sûrement office d’armure de mauvaise facture et les cliquetis se font entendre dans toute la longueur de la pièce.

Ils s’arrêtent enfin devant l’une des dizaines de portes derrière laquelle l’on peut apercevoir une cellule complètement piégée par l’obscurité. L’une de sentinelles frappe deux fois du poing sur la porte.
— Si notre déesse pouvait nous suivre…
S’exprime-t-il, d’une voix rauque et légèrement sifflante, le ton accompagné d’un léger rictus. Le second agite une paire de menottes rouillées en attendant que la prisonnière ne s’exécute.
— Mon Seigneur vous attend et il serait mal avisé de faire un autre caprice…
Reprend le reptilien, perdant sa patience. Devant l’absence de réponse et de mouvement quelques secondes plus tard, les deux humanoïdes écailleux font irruption dans la cellule.

Cette prisonnière est faible, en témoigne le besoin que sa compagnie du jour a de la traîner sur dix bons mètres. Cela ne fait aucun doute qu’aucun soin ne lui est apporté et que son corps est très affaibli, pour preuve les petits cris étouffés qui résonnent à peine contre la roche. Deux « clic » se font entendre.

Du fait de son séjour dans l’obscurité, la jeune femme tirée sans ménagement par ses geôliers est prise de cécité temporaire, ses yeux ont du mal à faire face à cette lumière artificielle soudaine alors qu’ils frôlent l’une des rares torches du couloir. Ses yeux sont douloureux et c’est donc impossible de se repérer dans l’espace, de discerner le moindre détail de son environnement qui pourrait l’aider à identifier l’endroit où elle se trouve. Toutefois, après trente bons mètres, elle arrive enfin à tenir sur ses jambes mais boite légèrement, un brin de vigueur s’insuffle de nouveau dans son corps.

Ils finissent par arriver à un escalier tout aussi étroit que le long corridor de pierre qui monte vers l’enceinte de la forteresse. Cet escalier, à l’inverse de la partie de l’édifice qu’ils viennent de quitter, est très bien éclairé et alors qu’elle retrouve peu à peu un semblant de vue, son regard est attiré par les longs ruissellements de sang sur ces marches où quelques crânes et ossements décorent le paysage, broyés ou fissurés. Les rares meubles ou tapisserie sont tous colorés de rouge et de noir et rien n’est bien rassurant dans ce cachot macabre sinon les quelques cris qui sont faiblement audibles une fois les escaliers gravi.

Au fil de la marche, au fil des pièces traversées, la décoration prend un tout autre aspect et elle pourra bientôt affirmer que les cachots ne sont que le souterrain d’un vaste château richement meublé. Si les tapisseries et autres touches de couleur restent rouges, tout devient beau à regarder : les grands chandeliers à pied en fer forgé, les colonnes surmontées d’arcades de pierre agrémentées de sculptures somptueuses, des chaises et bancs en bois noir. Le temps lui manque pourtant pour observer chaque détail puisque la voilà déjà à l’arrêt, devant une énorme porte, une colossale pièce de bois qui mesure trois mètres cinquante sur quatre, renforcée de métal et où sont fixés deux imposants heurtoirs dont l’un saisi par un reptilien pour le cogner violemment. La grande porte s’ouvre et six autres créatures à écailles apparaissent au fur et à mesure dans l’entrebâillement, reconnaissables seulement à leur odeur infecte.

Les jambes de la prisonnière subissent chaque mètre et bientôt, ne peuvent plus supporter le poids du corps. Elle tombe en avant, se réceptionnant sur ses mains et ses genoux, la tête basse, le souffle court. Son escorte réagit de suite et, avec une poigne sévère, la remet sur pied pour l’emmener plus loin encore dans la salle somptueuse qui vient de s’ouvrir à elle. Ses pas sont lents et ses pieds traînent, le supplice est interminable. Elle serre les dents, la douleur saisit tout son corps et produit de légères convulsions.

Après une bonne vingtaine de mètres, elle est jetée au sol, sur quelques marches où un trône macabre surplombe la pièce. Un homme à l’apparence d’un aristocrate y siège et regarde avec pitié la faible humaine qui tombe à ses pieds.
— Maître, la voilà.
Lance l’un des gardes sur un ton solennel. Le maître des lieux se lève et tousse un peu avant de répondre.
— Bien, merci Aktahal…
Un long manteau de fourrure cendrée faite de tissu rouge sang recouvre les épaules et le dos du seigneur. Son visage au teint blafard se crispe en un sourire mesquin alors qu’il découvre la prisonnière qui gît au sol, envahie par la douleur.

Contrairement aux cachots et au reste de l’édifice, cette salle du trône est particulièrement lumineuse grâce aux gigantesques flammes qui crépitent dans les âtres des trois massives cheminées de la pièce. La majorité du mobilier est manufacturée avec des crânes et autres ossements, les rares pièces de tapisserie sont rouge sang et brodées de noir là où quelques détails apparaissent, le même bois sombre compose le mobilier restant. La « déesse » écarquille les yeux en observant l’endroit où elle se trouve, commençant à comprendre.
— Bienvenue aux enfers Syriel, je suis ravi de vous accueillir dans mon royaume.
— Ereshkigal…
Souffle la jeune femme. Le roi des enfers laisse l’écho de son nom mourir et en profite pour dévisager Syriel. La dame est dans un sale état, en témoigne ses joues creuses ou encore ce qui était jadis une robe blanche et aujourd’hui un haillon sale. Le haut de cette robe n’est composé que de deux pans de tissus qui partent de la ceinture et se joignent dans la nuque, ne masquant que les côtes et la poitrine. La jupe elle, est à moitié déchirée mais il se devine sans mal qu’elle descendait jusqu’au genou, une légère ouverture en son milieu laissant apparentes les jambes élancés de la dame. A présent, seul le haut de la robe est intact si la salissure et la fragilité de l’attache dans la nuque sont oubliées. Ses cheveux sont plein de poussière et si l’on s’attarde sur ses mains on remarquera quelques ongles cassés.
— Après toutes ces années à vous chercher, je prends plaisir à enfin vous admirer. Je doute que vous me pardonniez votre état mais l’on m’a dit que votre chute a été bien plus violente que tous les mauvais traitements du monde, mh ?
Renchérit Ereshkigal qui jubile, ses grands yeux sournois dévorant leur proie du regard.

Un visage aux traits fins se redresse et deux yeux d’un violet éclatant se posent sur le roi du monde souterrain. Sa faiblesses physique marquée ne lui enlève en rien son charme certain et sa beauté indiscutable. Sa bouche est pulpeuse, son teint est clair et son petit nez ajoute avec brio cette touche qui rend son charme si parfait. La longue chevelure châtain de la jeune femme oscille légèrement le long de son dos nu, découvert par la robe échancrée. Le regard fushia se plonge dans le rouge de celui d’Ereshkigal et d’un ton sec, elle répond.
— Vous n’avez donc pas assez joué avec mon esprit et ma volonté ?

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