15 janvier de l’an 1275 de l’ère spatiale, an de grâce 3564 du calendrier terrien

6 heures du matin

Le soleil se levait à peine au-dessus de Damaran, capitale de la planète Dran. Il balayait de ses rayons rouges un horizon fait de tours de verre et d’acier, accrochant des reflets enflammés à leurs façades réfléchissantes. En marge de la cité s’étendait une caserne où étaient regroupés les services de liaison interarmées des forces dranags. Elle était ceinte d’une vaste muraille de plastobéton gris rehaussée de miradors et de barbelés. Cela lui donnait un aspect massif et carré, tranchant avec l’esthétisme vaporeux des gratte-ciels environnants. Dans la cour principale, l’entraînement matinal battait son plein.

Léon Ménard dut céder le passage à plusieurs colonnes de soldats successives effectuant leur footing de réveil. Lorsqu’il parvint au réfectoire central, il était déjà plus de sept heures. Il dut montrer une nouvelle fois son ordre de mission avant de se voir autorisé à y pénétrer. Quelques instants plus tard, il franchissait les doubles portes battantes du bâtiment abritant la cantine.

À l’intérieur, près d’une centaine de militaires étaient occupés à mastiquer en silence. Après avoir sorti les photologrammes des personnes qu’il cherchait — le commandant Suraya Manariva et le sous-lieutenant Lana Jovrain —, Léon balaya la salle du regard. Il reconnut rapidement Suraya à sa chevelure rousse : elle était assise à la table des officiers, face à une séduisante blonde. Elles avaient toutes deux opté pour le carré de rigueur, même si le règlement avait tendance à devenir moins contraignant sur ce point, ces dernières années. Elles sont ensemble. Parfait. D’une pierre deux coups, songea Léon avec un sourire en coin.

Il se dirigea d’un bon pas vers les deux femmes, qui ne firent pas mine de remarquer l’approche de cet homme au physique avenant, mais à l’air un peu trop sûr de lui. Elles avaient tout de suite repéré son uniforme noir aux épaulettes rouges : il était synonyme d’ennuis en perspectives et de missions frappées du sceau du « secret défense ». Aussi, Suraya Manariva et Lana Jovrain ne relevèrent-elles la tête que lorsque Léon se racla la gorge une troisième fois, avec insistance.

— Estafette Ménard au rapport, commandant Manariva, sous-lieutenant Jovrain.

— Nous mangeons, lui dit Suraya. Ça ne peut pas attendre ?

— Désolé, j’ai bien peur que non. Au ministère, « on » s’est appesanti sur l’urgence de la situation.

Suraya plaqua sa cuillère sur la table et fixa Léon sans aménité. Lana observait sa supérieure hiérarchique, le regard neutre. À bien des égards, elles étaient l’exact opposé l’une de l’autre. Lana avait tout de la coureuse de fond, aux muscles fins et déliés. Son visage, aux courbes délicates et sensuelles, était d’un ovale parfait aux yeux de Léon, qui se sentit tomber amoureux. Surtout, elle avait appris à masquer ses émotions et attendrait manifestement de savoir de quoi il retournait avant de se mettre en avant. Suraya, quant à elle, n’était pas réputée pour sa patience et cela se voyait à la façon dont ses mâchoires se contractaient. Ses traits massifs et carrés étaient très expressifs et le sentiment de contrariété qui l’animait à présent était visible comme le nez au milieu du visage.

— De quoi s’agit-il ?

L’estafette tendit un pli à Suraya, qui l’ouvrit puis le parcourut en silence. Elle le transmit ensuite à Lana et fit mine de recommencer à manger, mais la présence immobile de Léon l’agaçait. Elle reposa sa fourchette en soupirant.

— Autre chose ?

— J’ai reçu l’ordre de vous mener au bureau de Mash Vanck. Sans délai.

— Je dépends du général Garmont, pas du directeur de la recolonisation.

— Cela va de soi. Le sceau du général Garmont est apposé au bas de la lettre de mission que vous venez de lire et il ne manquera pas de participer à la réunion.

Suraya plissa les yeux un instant, puis se leva. Elle était petite, moins d’un mètre soixante-dix, mais bâtie comme une armoire à glace. Sur ce point, elle en imposait même aux plus musclés des hommes de troupe de sa caserne. Le sous-lieutenant Jovrain reposa sa cuillère, quitta la table à son tour et rabattit sa casquette sur sa chevelure blonde. Elle dépassait Léon d’une bonne tête. Celui-ci — qui n’avait pourtant jamais eu à rougir de sa taille au sein de sa division — recula d’un pas, indécis, mais les deux femmes se contentèrent de lui passer devant pour sortir du réfectoire. Il les suivit, soulagé.

Une heure plus tard, au terme d’un trajet effectué dans un silence de mort, les portes de Mash Vanck se refermèrent sur les deux femmes, le directeur Vanck et le général Garmont.

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