La montagne se dressait, surplombant les vallées et l’étendue d’eau à ses pieds. Son sommet semblait inaccessible, une couche épaisse de nuages rendait les hauteurs invisibles. D’en bas, on pouvait apercevoir les pentes recouvertes d’arbousiers, de charmes-houblons et d’autres buissons. À mesure que l’altitude augmentait, la brume avalait les conifères et les hêtres, laissant les marcheurs imaginer ce qui se cachait au-delà.
Kasper grimpait le mont Olympe, le regard aspiré par la flore qui s’offrait à lui. Il se sentait devenir un élément de la nature et progressivement il se libérait de ses maux citadins. Il oubliait sa femme, ses fils, son travail et les nuits d’hiver à Reykjavík.
Il avait l’habitude de se promener sur le mont Esja durant les beaux jours islandais. Ici, il cherchait autre chose ; un défi, mais surtout l’accomplissement d’un rêve d’enfant : simplement gravir l’Olympe.
Ses parents l’avaient éduqué à la morale chrétienne. Les mythes nordiques étaient proscrits, ainsi que toute allusion à des croyances désuètes. Aucun paria ne pouvait espérer vivre dans la maison familiale. Aujourd’hui, Kasper continuait de marcher sur ce chemin, l’inculquant lui-même à ses enfants. Et s’il avait pris la mauvaise direction ? Et s’il s’était écouté et avait suivi ce que son cœur lui dictait ?
Il sortit de sa méditation et jeta un œil autour de lui. Un roitelet jaune orangé passait de branche en branche. Le randonneur se mit à s’imaginer voler entre les pins, instant de poésie dans sa vie bien rangée. Son sac à dos s’alourdissait, son souffle s’accélérait, mais il n’y prêtait pas attention. Il restait à l’affût des détails. Il tenta, tant bien que mal, de se remémorer ses connaissances en botanique. Il se surprit à reconnaître sans difficulté le sapin de Grèce, qui montait vers les cieux. Un peu plus loin, il prit le temps d’admirer quelques pins parasols. Leurs premières branches partant du tronc dessinaient un delta, qui lui fit penser au fleuve du Nil.
La mythologie égyptienne n’avait jamais attiré Kasper, peut-être parce que l’anthropomorphisme le mettait mal à l’aise. Il imaginait Dieu avec un visage humain, semblable au sien. Ces têtes d’oiseaux et de chacals rendaient les divinités terrifiantes et distantes. Étant enfant, il s’était passionné pour Odin et Zeus en secret. Il aimait la sagesse et la puissance qui émanaient de ces figures emblématiques, mais ce qu’il préférait dans les mythologies restait les défauts des Dieux qui les rendaient plus humains. Bien loin de Yahvé, qu’on lui avait appris à considérer comme un modèle.
Quelques heures plus tard, la sueur commença à perler sous ses vêtements. Le paysage se modifia. Les arbres se dispersèrent progressivement, jusqu’à laisser se dessiner une prairie aux nouvelles couleurs. Kasper apprécia ce décor et l’image du Paradis se superposa à ce tableau naturel. Des petits pétales pourpres et violets coloraient les herbes vertes. Le randonneur s’arrêta sur une orchidée particulière. L’helléborine rouge, se souvint-il. Il admira un instant ses fleurs tombantes. Puis, un papillon se posa sur un pistil, au sommet du végétal. Ses ailes brunes bordées de points bleus et d’un liseré jaune se distinguaient par leur originalité. Un morus, tenta Kasper, tout en sachant qu’il se trompait. Il se moqua de lui-même, sa mémoire lui jouait des tours. L’homme ferma les yeux et respira profondément. Un sentiment de bien-être se propagea en lui. Il sentait le vent caresser sa peau, entendait le bruissement des ailes des insectes et quelques chants d’oiseaux. Il sourit.
Malgré le soleil, il leva la tête vers le sommet. Le Stefani se montrait enfin, l’objectif de son expédition. On appelait ce pic le trône de Zeus. Au loin, il pouvait voir le dos du siège de roche partiellement enneigé. Quelques heures encore devaient s’écouler pour pouvoir toucher ce monument naturel.

Kasper s’arrêta. Il devait boire quelques gorgées et manger un peu avant de reprendre sa route. La place idéale trouvée, il posa délicatement son sac sur le sol. Il baissa sa braguette dans un bruit de zip, et se laissa aller à uriner sur quelques plantes sauvages. Profitant de ce moment nécessaire, il observa le panorama qui s’offrait à lui. Des massifs montagneux s’élevaient à perte de vue. Dans le ciel bleu, un aigle planait, comme pour prouver que ce territoire lui appartenait.
La nature se tut, comme si l’intérêt de chaque être se portait sur la même chose. Kasper n’y fit pas attention, mais derrière lui un corps commença à se matérialiser.

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