ÉRIC

« J’ai tellement hâte de tailler nos ennemis ! » s’exclama William en claquant son pied sur le sol.
Il tenait dans sa main son épée récemment acquise. Les flammes du feu dont les braises s’élevaient haut dans le ciel noir se reflétaient sur l’acier. Le tabard qu’il portait par-dessus son gambison était devenu gris et brunâtre, et une licorne de sinople se cabrait sur le torse du jeune homme. Il avait les cheveux jaune pâle, des yeux d’un bleu fade et ses os se dessinaient sur sa peau.
Éric Arthis souffla du nez, ce garçon était un sot, et les sots étaient toujours les premiers à mourir.

William ne faisait pas parti de l’ancien fief de Neufcâstel. Il n’était ni un Ebroïn, ni un Croûtepain, ni un Melian ou un Merrick, et encore moins un Arthis. Il n’était qu’un pauvre spadassin à la solde de Jules Hellébore. Il y avait une semaine que les hommes du seigneur du Groin du Porc les avaient rejoints. Depuis près de six-cent ans, les Hellébore ployaient le genou face aux seigneurs de Cenelle, les Aubépine. Ils avaient même combattu Neufcâstel dix ans auparavant, et Éric s’enorgueillissait d’avoir abattu Pierre, le frère de Jules. Aujourd’hui, les Neufcâstelois et les Hellébore fraternisaient contre l’ennemi commun.

Bien sûr, les autres seigneurs de Mortefange ignoraient la traîtrise des Hellébore. Ceux-ci, deuxième maison en puissance des terres-mortes profitait des évènements pour prendre le dessus sur les Aubépine. Pour Éric, ils n’avaient du statut d’allié que le mot, et voir tous ces tourne-casaques dans le camp l’écœurait. Cependant, il comprenait et acceptait la décision du seigneur Ildibad Ebroïn. Le seigneur Jules leur apportait des vivres frais, une force armée considérable et du nouveau matériel. Contre quoi exactement ? Il l’ignorait.

Éric n’était plus tout jeune. Ses cheveux avaient viré au gris, puis au blanc, son dos s’était vouté. Assis en face du jeune homme, ses mains reposaient sur son énorme ventre et son menton débordait du gorgerin de son armure.

« Tu aurais vu la moitié de ce que j’ai vu, tu prierais pour être bien au chaud chez toi, une femme à tes côtés. Même sans femme, je prie chaque jour d’être au chaud bien chez moi. »

William fit la moue, boudeur.

« C’est pour ça, on doit se battre, afin que vous ayez un chez-vous. » dit-il.

Éric éclata de rire. Un sot doublé d’un naïf.

« Quoi ? s’esclaffa-t-il. Tu penses vraiment que tu te bats pour redonner une maison au peuple d’Ildibad Ebroïn ? Tu crois vraiment que ton suzerain, ce Jules Hellébore, avec ces airs pompeux, pris d’une sollicitude sans égal se bat pour permettre à ses anciens ennemis de cultiver et d’élever leurs enfants ailleurs que dans ce lugubre retranchement ? »

William parut vexé.

« J’espère pour vous que jamais plus vous ne parlerez en mal de mon seigneur. C’est un cadeau qu’il vous fait. »

Faquin.

« Des gens t’attendent, ailleurs ? demanda Éric, plus pour tuer l’ennui que par réel intérêt.
— Ma mère.
— tu as quel âge ?
— Dix-sept ans. »

Encore un gosse. Nourri d’illusions.

« Tu ferais mieux de rentrer chez toi ».

William l’ignora et commença à creuser une tranchée dans le sol avec la pointe de son épée. Éric regarda avec nostalgie l’écu posé contre un des nombreux hêtres qui peuplaient cette partie de la forêt. Les flammes dansaient sur le bois verni, comme mille démons revenus des enfers. Elles prenaient vie, et il pouvait voir des formes se dessiner, des soldats de feu prendre vie, entendre les cris des mourants, le fracas de l’acier qui s’entrechoque, le son des tambours accompagnant les hommes dans leur tombe. Deux plumes argent croisées sur fond lila. Il pointa les armoiries d’un signe de tête.

« Autrefois, la vue de cette bannière imposait la crainte, quiconque la voyait croulait sous sa grandeur. Maintenant, nous ne sommes plus rien. La puissance est éphémère. Les empires s’écroulent, les hommes se voûtent, ce feu mourra. Tout décrépi, tout dépérira. S’acharner à imposer sa suprématie est un jeu futile auquel j’ai cessé de croire le jour ou Alexander Wiern ôta sa tête à Bérenger Ebroïn. »

Il cracha de dépit sur le sol.

« Allons, vieil homme, tu es bien trop pessimiste, reprit William. Les autres m’ont raconté, nous sommes prêts à frapper. Nous sommes plus forts qu’eux.
—Soit. Edmond Aubépine est bien un idiot. Ses troupes sont dispersées dans tout Mortefange. Ses alliés le trahissent. Nous vivons dans la Forêt de Brume depuis une décennie, sans avoir été inquiété plus que cela. Mais qu’arrivera-t-il une fois que nous aurons défait ce coureur de jupons ? »

L’air dubitatif, William haussa les sourcils.

« J’imagine que nous pourrons vivre tranquillement les vies que nous méritons, mon seigneur régnant sur Mortefange avec le vôtre.
—Non, grand sot ! Aussitôt que nous aurons blessé son fidèle chien, Alexander Wiern s’empressera d’emmener ses armées et de nous écraser, et par la même occasion s’approprier les terres de Mortefange. »

Agacé par le discours pessimiste du vétéran, William se mit à faire les cents pas. Toutes les nuits se ressemblaient : surveiller la pénombre sous les hululements des hiboux. Pour un jeune homme tel que lui, cet exercice était fort ennuyeux, lui qui rêvait de bataille et de gloire.

« Raconte-moi alors, finit-il par demander. »

Éric repositionna son casque et inspira.

« On t’a dit beaucoup de choses. Qu’on pouvait gagner. Mais est ce qu’on t’a raconté comment la maison Ebroïn en est arrivée là ? »

Le jeune homme hocha négativement la tête.

« Il y a vingt ans maintenant, les Ebroïn régnaient sur la province de Neufcâstel, au nord d’ici. Nos vassaux, les Croûtepain de la région d’Havrepré furent rapidement vaincus par un jeune seigneur venant de Felseweise : Alexander Wiern.
— Les Croûtepain sont ces gens qui ont une gerbe de blé comme emblème ? Celle sur un fond blanc, demanda William.
— Exact. Il les a anéantis. Il fit planter leurs têtes sur des piques, à la nouvelle frontière. Certains disent que dans ses vieux jours, il le regrette et s’enferme dans les lieux saints afin de purger sa conscience. Je n’y croie pas, pesta-t-il, haineux.
—Et ensuite ? voulut savoir William.
—Ensuite, Bérenger, le père de notre seigneur Ildibad en fut inquiété. Naturellement, Alexander Wiern avait écrasé nos alliés sans raison ! Le seigneur de Felseweise n’était pas satisfait. Il lui fallait plus. C’est alors qu’il s’en est pris à nous. Je frissonne encore rien qu’à l’idée de revoir ses loups, tout d’acier vêtu, charger notre cavalerie et effrayer nos chevaux. Puis, alors que l’on pensait l’enfer fini, un cor retentit. Près de trois cents chevaliers, sous les ordres d’Edmond Aubépine nous prenaient à revers. Nous avons perdu la moitié de notre armée dans cette charge. Bien sûr, Mortefange paya le prix du sang, mais Alexander avait eu ce qu’il voulait. Ses alliés étaient morts pour lui, et il envoya juste son infanterie achever le reste. Notre fer de lance était tombé mais nous résistâmes. Sais-tu pourquoi notre région s’appelait autrefois Neufcâstel ?
—Non, bredouilla William.
— Sur les berges de la Noyeuse, neuf forts ont été construits pour défendre le fief. Chacun de ces châteaux tint farouchement. Cela prit dix longues années avant que nous ne ployâmes les genoux, à la mort de Bérenger. Et depuis, nous vivons cachés dans la forêt, en attendant de pouvoir émerger à nouveau. Mais nous pourchassons des Chimères. »

Soudain, le gringalet interrompit Éric. Ce dernier le regarda d’un air surpris : un sot, un naïf, et de surcroit, un insolent. William se mit en garde. Éric se retourna et distingua trois silhouettes dans les ténèbres. Il sortit à moitié sa lame de son fourreau. Les hommes avançaient d’un air calme.

« C’est qu’nous, bouffon !
— Jacques ? demanda William en baissant sa garde.
— Tout dui à té, princesse. » répondit-il en faisant la révérence.

Il s’agissait de Jacques, un reître mal élevé qui avait atterri au service d’Ildibad d’une manière un peu hasardeuse. Il venait de l’ouest de Neufcâstel, une région au patois incompréhensible. Le bandit s’amusait à embrouiller les autres avec son idiome. Bien qu’il parlât parfaitement le commun, il s’opiniâtrait à parler son vernaculaire. Deux autres soldats l’accompagnaient. L’un d’eux, sous les couleurs des Ebroïn, à l’instar de Jacques, portait sur son épaule un corps. L’autre, un rouquin aux traits affinés arborait le poing sinople sur champ de gueules Merrick. Éric questionna Jacques d’un signe de tête, pointant la masse inerte.

« Les compaings et moi, on l’a trouaé dans le londe.
— Qu’est-ce qu’une fille faisait dans la forêt ? Elle est des nôtres ? S’enquit William, visiblement concerné.
— Ça je me le demande bien, le bleu… dit Éric d’un air songeur en lissant sa moustache poivre et sel.
— Tout cas, rien à fiche, on s’accotinaille, ton feu m’apipaille ! » se gaussa Jacques et s’essayant entre les deux veilleurs.

Ses compagnons l’imitèrent, et celui portant la fille la laissa tomber au sol. William lorgna d’un air lubrique les formes de la jeune fille. Ses œillades n’échappèrent pas à ses compagnons qui se mirent à se moquer, hilares. Des blagues salaces et des remarques sur la virginité de William fusaient en tous sens quand les hommes s’interrompirent brusquement, rouges de honte. Une silhouette se dévoilait à la lumière du feu.

Déotéria Ebroïn, la jeune sœur d’Ildibad. Elle avait coupé ses cheveux noirs comme un homme, et ils frisottaient sur sa nuque et ses tempes. Elle avait passé la moitié de sa vie avec les militaires, et sa naissance ainsi que son caractère de meneuse lui avait permis de faire partie des membres les plus influents parmi les Ebroïn. Elle inspirait le respect, et même les plus roublards ne lui cherchaient pas de noises. Éric l’avait vu grandir et affronter les épreuves que la vie lui avait imposées. La destruction de son château, la mort de ses parents, et la vie en reclus dans ce camp, caché au plus profond de la forêt de brume.

Les quatre hommes se trouvèrent donc fort confus, ployèrent le genou pour saluer la nouvelle venue. Le soulagement se peignit sur le visage de William quand les railleries s’arrêtèrent enfin.

« Je ne me souviens pas que mon frère ait demandé plus de deux sentinelles ici. Qui a failli à son devoir ? » demanda-t-elle d’une voix dure.

Jacques prit la parole en premier :

« S’cusez Madame, nous v’nons juste de rentrer de mission, nous prenions quelques répits. »

Les deux autres approuvèrent vigoureusement de la tête. Déotéria balaya les lieux du regard et s’arrêta sur le corps de la jeune fille, la face dans les feuilles mortes.

« Qui est cette fille ? Demanda-t-elle, intriguée.
— Moi et les cam’rades on explorait les sous-bois, on l’a vu qui chancelait comme un canard ivre, puis elle s’est écroulée à mes pattes m’Dame ! Les copains et moi, s’est dit que la ramener ne serait pas une mauvaise idée. »

Au fur et à mesure que le fantassin parlait, Éric le vétéran serrait les dents, espérant que sa souveraine ferait fi du langage du rustre. Au moins n’utilisait-il pas son patois. Cette dernière répliqua avec hargne :

« Les paysans de Mortefange ne se baladent pas dans les bois. Vous trois ! Levez-vous et suivez-moi ! Et vous, la prochaine fois, dit-elle en désignant Éric et William, ne laissez pas ces coupe-jarrets vous distraire.
— Cela ne se reproduira pas, madame, promit Éric. »

Les trois gaillards s’exécutèrent aussitôt, et ce fut Jacques qui se chargea du fardeau. Ils suivirent la jeune femme en silence, passant parmi les feux de camps mourants et les tentes endormies. Le campement s’étendait sur près d’un quart de lieue, sur le sol comme dans les arbres. Il était silencieux, bercé par le chant des grillons de la fin de cette saison d’été. Les bâtisses, toutes construites en bois n’étaient plus de première jeunesse. Les planches arboraient différentes teintes de brun, la plupart ayant été remplacées au fur et à mesure que la pluie, le gel et le vent s’acharnaient à éroder le bois. Des raies de lumières filtraient au travers des failles qui reliaient les planches entre elles. Planches elles-mêmes assaillies par le lierre, le lichen et les champignons. Parmi les fleurs sauvages et les mauvaises herbes avait fleuri un amas de casques, d’armes, de marmites, bottes, outils de jardinage et des boucliers aux couleurs des différentes maisons de Neufcâstel : chauvesouris Melian, poing Merrick, plumes Ebroïn, blé Croûtepain, et l’ours Arthis. Entre les cabanes de bois, quelques tentes avaient été montées. Celle du seigneur se trouvait à l’écart des autres, plus spacieuse, une allée de gardes la protégeait. Les protecteurs d’Ildibad s’écartèrent quand ils reconnurent Déotéria, et l’annoncèrent aux occupants de la tente, avant d’écarter le pan de la porte de tissu. Une lumière tremblotante égayait la pénombre, s’échappant de l’habitat seigneurial, trahissant de multiples bougies. Ils pénétrèrent le château de toile. Le seigneur Ildibad avait hérité de la même chevelure bouclée que sa sœur, et ses yeux vert vif donnaient l’impression dérangeante de lire dans les esprits. Il portait une tunique de cuir teinte en pourpre, couleur de sa maison, et deux plumes d’argent croisées étaient cousues sur son cœur. À ses côtés se trouvait leur oncle d’adoption, le seigneur Evrard Arthis. La mâchoire carrée, ses cheveux gris acier étaient coupés courts, et des cicatrices traçaient des sillons rosâtres de part et d’autres de son visage. Sire Regan Merrick, un homme au visage sympathique s’interrompit à leur vue et replia la carte sur laquelle ils étaient penché quelques secondes auparavant. Sage mesure, le camp étant régulièrement infiltré par des espions.

Déotéria et les soldats ployèrent le genou devant leur seigneur. D’un naturel peu loquace, Ildibad permit à Déotéria de parler d’un signe de tête.

« Mon frère, cet homme dit qu’il a trouvé cette fille dans les bois. Elle est inconsciente.
—Eh bien, Déo, qu’attends-tu de moi ? Tu connais la loi, elle accepte de servir, et elle vit. Elle refuse, et elle meurt.
— C’est que c’n’est pas une gômine d’chez nous ! Une saleté d’Aubépine ! un épène-bllaunche ! éructa Jacques.
— Nous n’avons pas jugé bon ton intervention … » le fit taire le jeune seigneur.

Jacques haussa les épaules et le regarda d’un air neutre.

« Il pourrait s’agir d’une espionne, c’est vrai, admit Déotéria.
— Je ne pense pas, réfléchit Ildibad. Nous l’interrogerons quand elle se sera remise.
— Les paysans de Mortefange n’approchent jamais la forêt, dit Regan. Je suis pressé d’entendre son histoire…
— Conduis-la à l’hospice, dit-il en désignant Jacques. Et disparait, avant que ta tête ne tombe de tes épaules. »
Le fantassin se mit au garde à vous, et décampa.

***

CHIMÈNE

Il lui semblait que son cerveau se tordait en tous sens depuis toujours. Elle grimaçait en se retournant sur sa paillasse et poussait de petits gémissements. Une femme lui parlait dans sa tête, la même voix que dans ce temple. Elle n’arrivait pas à saisir ce qu’elle lui disait. Elle lui montrait des choses. Des visions d’étendards flottants sur des châteaux hauts dans les montagnes, de grands vaisseaux aux voiles blanches sur les flots, une bataille terrible au pied d’un bois, un homme à la peau noire, ou encore un vieux seigneur borgne aux longs cheveux de neige. Un groupe d’hommes et de femmes dans un souterrain, l’épée au clair. La voix délivrait son message, sans interruption, et incompréhensible. Au fur et à mesure de sa convalescence, Chimène commençait à distinguer les mouvements autour d’elle, puis prit conscience de ses membres et parvint à remuer les orteils. Les bruits de son entourage se mêlèrent au monologue de la femme, qui s’estompait peu à peu.

« Va-t-elle cesser de geindre ? Râla un homme.
—Arrête Alaric, tout te met sur les nerfs, c’est agaçant.
— J’ai passé une mauvaise journée. »
Chimène ouvrit ses yeux noisette, mais ne distingua que des formes gris foncé sur un fond noir. Elle paniqua pensant avoir perdu la vue et tenta de remuer sur sa paillasse. Elle en fut incapable. Les hommes continuaient de parler et elle entendait le bruit dû à leurs activités. L’un d’eux semblait imposant, alors que l’autre n’était qu’une ombre mince.

« Elle ouvre les yeux, elle semble complétement paumée. Oh ! Tu m’entends ?
» demanda le plus maigre avec véhémence.

Elle distingua la forme du dénommé Alaric et essaya de toutes ses forces de répondre, mais ne put bouger.

« Elle doit être complétement débile, diagnostiqua l’homme.
— Tu en sais pas ce qu’elle a eu, juge pas, compatit l’autre.
— Oh oui, Germain le moralisateur ! J’oubliais ! Bah occupe t’en toi-même !
dit-il, rageur.
— Sors, ton acariâtreté m’assomme.
— Quoi, tu veux rester tout seul avec la fille ? Étrange, il me semblait qu’il lui manquait un des attributs que tu chéris tant, le railla Alaric.
— Dégage ! s’énerva Germain. »

Elle l’entendit quitter la tente avec fracas et mauvaise humeur.

« L’écoute pas, petite. Cet abruti a moins de cervelle qu’un moineau. » Elle le sentit qui s’approchait. « Je pense que te laver ne te fera pas de mal par contre, tu es toute terreuse. » Il s’agenouilla près d’elle :
« Est-ce que tu m’entends ? Enfin si oui, cligne des paupières. »

Elle s’exécuta.

« Tu peux bouger quelque chose ? »

Pas de réponse.

« Bien du coup … t’inquiète pas, je ne te ferai pas de mal. »

Elle sentit alors des doigts boudinés délier les lacets de son bliaud, lui ôter ses souliers et même sa robe de lin. Elle trembla de peur et sa respiration s’accéléra. Son corps réagissait désagréablement au contact des mains calleuses de l’homme. Il lui retira sa chemise et elle se retrouva nue dans la paille. L’homme dût sentir son malaise.

« Ne crains rien petite, je ne te ferais rien. » essaya-t-il de la rassurer une seconde fois.

Quelque chose d’humide lui aspergea la poitrine. Le liquide dégoulina le long de son corps. L’homme lui enlevait la crasse avec un linge imbibé d’eau. C’était rugueux et froid, et il ne prenait pas vraiment de précautions. La chair de poule recouvrit son corps. Elle sentit qu’il la frottait désormais avec une espèce de brosse, qui lui irritait la peau. Puis il la retourna sur le ventre sans ménagement.

«Sacrebleu ! jura-t-il, bouge pas ! je reviens !»

Bouger… si seulement elle avait pu ne serait-ce que remuer un peu ses bras… Que se passait-il ? Et Jacob, il faisait quoi ? Il lui avait promis de la ramener chez elle avant la nuit. L’homme semblait être complètement abasourdi pour une raison inconnue. Elle faillit retomber inconsciente en attendant qu’il revienne.

« Elle est là, Madame. »

Le colosse avait ramené quelqu’un. Elle sentit des doigts passer doucement sur son dos. Des doigts de femme. Elle frissonna ; sa peau était chatouilleuse, et trouva le contact désagréable.

— Effectivement, c’est étrange. Elle peut parler ? Pourquoi est-elle nue comme un ver ? s’étonna la femme.
— Je lui donnais le bain, puis je l’ai retournée, y avait cette marque dans son dos.
— Les habitants de Mortefange ne se tatouent pas, et je n’ai jamais vu rien de pareil… Et par pitié, habille là !
— Bien sûr, Madame, autre chose, Madame ?
— Tiens-moi juste informée quand elle se réveillera, j’espère ne pas perdre mon temps… »

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