CHAPITRE SECOND

Fhey-tiddhe jette un regard langoureux à son acolyte en finissant de compter les profits faramineux qu’il lui restera de retour sur Dheytritt huss 23, une fois la transaction terminée. Ses yeux rouges et globuleux, brillent comme des lingots de Dryzhium au soleil. Ces lingots qu’elle va bientôt empocher avec un plaisir renouvelé. Ses clients étaient de riches investisseurs aux goûts spéciaux, à l’affût de nouveautés et ils paieraient le prix cher pour les pièces inestimables qu’elle leurs ramenait.
Le départ de la terre s’était bien déroulé. Le vaisseau filait maintenant à travers l’Infini et c’était tant mieux. Elle se dit que ça lui faciliterait les choses pour la suite. Dans tout les cas; si ces débiles terriens s’étaient aperçus de quoi que ce soit pendant leur visite, il était déjà trop tard. De toute façon, Fhey-tiddhe ne prévoyait revenir par ici que dans une dizaine de cycles. Seulement une fois qu’elle aurait engrangé et fait fructifier toute cette richesse. Alors, tous ces bâtards d’humains auraient sans aucun doute oublié cette histoire. Comme pour la première fois où elle avait visité cette fertile planète et prélevé quelques échantillons… Quoi qu’il en soit, elle nageait dans le parfait bonheur. La superbe nécrosoïde se rappelait la première fois où elle avait découvert sur une montagne éloignée de sa planète, les restes d’une sonde spatiale nommée « Voyager », une merveille venue d’un système solaire lointain. Les documents récupérés qu’elle avait pu traduire lui avait alors appris que cette race était parfaite pour ses projets d’expansion. Révélation! Mais encore plus, que ces humains, ainsi se nommaient-ils, n’étaient pas si éloignés de leur système solaire et bien moins avancés qu’eux sur le plan des voyages interplanétaires. Après quelques années de recherche, aidée des précieuses cartographies stellaires fournies par la sonde, Fhey-tiddhe imagina pouvoir rejoindre cet endroit étranger afin d’y développer son commerce florissant. À ce jour, son second voyage sur ce globe s’avérait être un succès sur toute la ligne. Chez-elle, la demande allait exploser pour les produits fins et de qualités qu’elle osait y ramener.
Fhey-tiddhe avait su, après cette découverte que faire sa place dans ce domaine féroce serait chose facile. Aujourd’hui elle est d’ailleurs une des rares femelles de sa colonie à briguer ce champ d’activité réservé autrefois et encore, en ces temps difficiles, au genre masculin…
La séduisante Nécrosoïde, que Pouritt-Urh désire tant, allonge un rictus diabolique. Un de ses trois boutons purulents odieusement disposés sur un de ses appendices nasaux se fend par la contraction du muscle. Il faut dire qu’elle ne sourit pas souvent. Un liquide sirupeux et verdâtre s’écoule lentement de la pustule située le long de sa gueule à la peau noire et rugueuse. L’odeur de cramoisie qu’il aimait tant, envahit alors en un instant toute la pièce. Pouritt-Urh sent alors monter en lui un spasme de bonheur. Il avale vite une autre gorgée de sa sombre mixture énergisante. Il en aura besoin.
Elle se lève ensuite et lentement se dirige, sûre d’elle, vers lui. Il soutenait son regard d’une façon langoureuse. Fhey-tiddhe savait trop bien ce qu’il voulait et elle le lui offrirait bientôt sur un plateau de Dryzhium, avant qu’il ne périsse enfin… Tant qu’elle vivra, personne ne découvrira son secret. Si un jour elle meure, elle s’était juré qu’elle l’emporterait avec elle dans sa fin ténébreuse. Si personne à part elle n’était revenu vivant de la première expédition, c’était une question pécuniaire… une question de sécurité aussi. Tout ce qu’elle avait raconté à sa seconde équipe n’était que mensonge. Elle les avait tous possédés et elle les liquiderait tous, comme elle avait liquidé les idiots du premier voyage. Mais cela, personne ne le savait… personne ne le saura jamais. Fhey-tiddhe savourait déjà ce moment en pensant qu’on la surnommerait bientôt sur sa planète; la reine du bizness. Son succès deviendra phénoménal. Elle obtiendra encore tout ce qu’elle veut de ces stupides mâles. En définitive, elle savait trop bien s’y prendre.
Fhey-tiddhe s’est assez tôt rendu compte qu’elle était pourvue de ce qu’on pouvait appeler, pour les mâles de sa race; de très alléchants attributs. En fait, La Commandante pouvait se vanter d’être une femelle odoriférante magnifique, désirée et pleine de ressources. Son corps ample et massif, garni de filaments dentelés vibrants, en témoignait. Par ailleurs, elle savait se servir astucieusement de ces charmes. C’est pourquoi Pouritt-Urh, fasciné par cette troublante femelle, imaginait la posséder pour ainsi prendre la direction de cette prolifique expédition. Cependant, Fhey-tiddhe pensait qu’il pouvait bien se mettre le tentacule dans la gorge jusqu’à l’estomac s’il le voulait. Car, malheureusement pour lui, il ne serait jamais maître à bord. En tout cas, pas tant qu’elle vivrait. Elle se félicita de si bien cacher son jeu. Cet imbécile s’en rendra bientôt compte, mais il sera hélas déjà trop tard pour lui. Elle ne déployait tout ces efforts et cette motivation que pour ces seules choses; richesse, gloire et renommée. Fhey-tiddhe était passée maître en ce domaine. D’ailleurs, sa progestéro-génitrice le lui avait souvent reproché dès sa plus tendre enfance. Fhey-tiddhe avait toujours eu horreur de partager… elle ira au bout d’elle-même, pour que personne d’autre n’y arrive.
Elle pouvait sentir dans l’habitacle, malgré le silence confortable, une légère vibration due à l’accélération du vaisseau. Ce petit inconvénient se résorberait dans les prochaines unités de temps. Il fallait dire que le fret qu’elle ramenait sur son monde augmentait de beaucoup le poids initial du cargo. Les stabilisateurs inertiels contrebalanceraient bientôt cette variation. En attendant, ce serait encore tout de même un long voyage avant son arrivée au bercail. D’ici là, elle aura tout son temps pour régler les derniers détails de son ingénieux et funeste plan.
Arrivée à quelques pas de Pouritt-Urh, elle expulse hors d’elle un de ses longs appendices souples mais solides, surmontés d’une ventouse cartilagineuse et cornée qui va s’agripper violemment sur le corps du mâle en pâmoison. Ce sera le baiser de Rhey-Vulsf (2), pense-t-elle.
(2) Le baiser qui fût donné au Christ par Juda Iscariote ressemblerait le plus, selon toute vraisemblance, à ce genre d’expression de trahison Nécrosoïde, si l’on se réfère aux écrits bibliques du Christianisme dont on retrouve encore la trace aujourd’hui sur terre.
Celui-ci se laisse faire et entre au bout de quelques minutes dans une période d’innombrables convulsions débridées. Son corps, de teinte sombre et d’aspect coriace, se recouvre d’une mince couche d’un liquide transparent, visqueux et dégoulinant. Et ce même liquide, qui envahissait le sol tout autour, l’empêchait de plus en plus, selon toute vraisemblance, de remuer ses membres embourbés. Elle le regarda alors fixement avec ses grands yeux rubis sans pupilles, lui qui se vautrait déjà dans le plus profonds de ses bas instincts.
D’une façon tout à fait provocante, Fhey-tiddhe, lèche son corps lustré de sa langue longue et gluante, une langue rétractable à volonté semblable à celle d’un caméléon, qui attise la faim de satisfaction de son compagnon. Ses deux appendices nasaux virevoltent dans l’air étouffant et sa grosse gueule puante ouverte, qui découvre une dentition à découper un gigot en une seule bouchée, frôle maintenant la face agitée de son amant.
Aux gargouillements grotesques de celui-ci, Fhey-tiddhe sait qu’il apprécie. Pouritt-Urh se tord, a du plaisir, beaucoup de plaisir. Il jubile même. La masse tentaculaire maintient toujours son étreinte tandis que la déesse Nécrosoïde reste là, devant lui, sans bouger. Son sourire narcissique figé sur sa figure boursouflée. Ses yeux macabres jurent dans la pénombre de l’espace vaste. En cet endroit lugubre, jonché de quelques hublots dont les étoiles suspendues à la toile ténébreuse, pétillent de milles feux, les corps s’agitent. On aurait même dit, qu’elle savait observer un certain détachement. Qu’elle ne participait que partiellement à tout ce cirque rituel. Elle ne se détournerait pas de son ultime but. Bientôt, un bruit de pompage se fait entendre à travers les spasmes du mâle et un liquide jaunâtre — sa semence, — commence à monter vers elle à travers les veinules de son long cordon distendu à son maximum. Des senteurs qu’un humain trouverait ignobles et infectes empestent toute la pièce. À la grande surprise de Pouritt-Urh, c’est à ce moment précis que Fhey-tiddhe lance un autre tentacule. Celui-ci, fouette l’air, empoigne une arme dissimulée sous le siège sur sa gauche et décrit un demi-cercle rapide pour revenir en un éclair le mettre en joue, transis et sans défense.
Son faciès croupissant et tout son corps se glacent d’effroi. Pouritt-Urh n’oubliera jamais le regard froid et sans pitié de sa désormais décevante Fhey-tiddhe. Il connaissait dorénavant la triste vérité, à son grand étonnement. En définitive, il ne profitera jamais de cette fabuleuse richesse qu’il convoitait depuis le début du voyage. Elle s’était bien jouée de lui…
Après le coït interrompu, vint l’éclair aveuglant du coup fatal… Puis, tout son corps se relâcha comme un lourd sac qui s’affaisse sur le parquet métallique. Peu après, le voile de la nuit étouffante et opaque qui enveloppe dans une profonde noirceur, qui emporte vers un endroit hermétique et glacial dont on ne revient plus. Pouritt-Urh Sentit ses dernières parcelles de vie le quitter. Tout finit par s’éteindre en lui. Pour toujours…
***

Fhey-tiddhe, la mine patibulaire, se rend par la coursive centrale vers l’entrée des salles de mûrissage où le dernier membre de tout l’équipage devait s’occuper de contrôler la température des chambres de conservation selon des périodes cycliques. D’une démarche légère, malgré sa massive constitution, elle repensa aux événements de tout à l’heure. C’avait été tout de même une mort originale et méritée pour ce scélérat. La puissante déflagration de l’arme sonique lui avait finalement fait exploser sa tronche d’obsédé, juste au moment où il atteignait l’orgasme. « J’ai souvenance qu’un humain récalcitrant m’ait dit autrefois, lors de mon premier voyage sur terre, qu’une mante religieuse n’aurait pas réalisé son dessein plus froidement que moi. Je lui avais alors demandé ce qu’était une mante religieuse. Son explication sur cet insecte terrien sans pitié, s’avéra pleine de sens. Il avait tellement raison le pauvre. Mais aujourd’hui, il n’était plus là lui non plus pour apprécier cette véracité des faits. Que le grand vide interstellaire les avales tous, autant qu’ils sont, ces imbéciles de mâles »
Elle vérifie une autre fois que son pistolet soit bien réglé à la puissance maximale. Il se trouvait dissimulé sous son ample pagne de tricot aux couleurs criardes nécrosoïdes. Fhey-tiddhe ricane sordidement en silence et s’approche avec circonspection du sas d’accès étanche qui s’ouvre sur le bureau de contrôle des chambres froides. Puh-Tridd se trouvait certainement de l’autre côté. Il doit surveiller les fragiles appareils qui maintiennent sa précieuse cargaison en état. C’était les ordres qu’il avait reçu. Il serait le dernier à mourir. Ensuite, elle le balancera comme elle l’avait fait pour tous les autres dans l’immensité de l’espace par les tubes lance-ogives. Ohr-Durh, Ghan-Grhenn, Pouritt-Urh, Rheysid-Duhh, Imp-Urh et quelques autres, dont elle avait oublié les noms. Ni vu, ni connu, leurs corps seraient perdus dans l’immensité, pour l’éternité. Elle inventera encore une fausse histoire à son retour. Fhey-tiddhe savait si bien mentir. Ces rustres félons étaient si crédules.
La nécrosoïde éjecte un autre de ses longs bras cylindriques sur la surface de la cloison froide de métal. Il faut dire qu’elle en a plusieurs. L’adhérence est nette mais incroyablement précise. La paroi est glacée, comme le sang noir qui coule dans ses veinules. Le sang d’une battante. Celui d’une gagnante. Tandis que les circuits du tableau d’autorisation s’illuminent, elle ressent de plus en plus l’étrange souffle de la victoire, ce frisson d’excitation qui la parcoure de la tête aux extrémités de ses long bras fusiformes. Une sensation qu’elle vécue lors du retour de son premier voyage. Rien à voir, par contre, avec celles de ses acolytes masculins, les pauvres. Ce moment particulier la rend un peu fébrile. Ses paupières clignent à la verticale sur ses globes oculaires proéminents. Fhey-tiddhe va bientôt être la femelle nécrosoïde la plus riche qu’on ait jamais vu sur son monde. Son rêve le plus cher approche son dénouement. Elle y touche presque. Une lutte à finir avec un dernier obstacle pour mener à bien son incroyable périple, ensuite, l’apothéose. Un triomphe flamboyant. Quelques respirations profondes font se gonfler ses alvéoles pulmonaires. Cet exercice lui procure un certain bien-être. Cependant, le calme recherché ne revient que par intermittence. Son enthousiasme était déjà si profondément enraciné en elle, qu’elle ne put s’en défaire que partiellement.
Les quatre ventouses eurent bientôt sélectionné les codes de sécurité qui déclenchent l’ouverture du panneau d’ouverture. L’air ici, était filtré. Elle sentit la décompression. Un environnement clos. Son bras tentaculaire, de retour à l’intérieur de son vêtement, serre son arme avec une rassurante fermeté. Elle entre prudemment dans la pièce baignée dans la pénombre. Sur ses gardes. Son premier regard se fixe sur le fond de la salle, vers la baie vitrée qui abrite la forme du soldat. Il est coloré de plusieurs teintes lumineuses, reflets dues aux cellules et aux écrans de contrôle de l’ensemble des composants de surveillance du système frigorifique. Puh-Tridd ne fait aucun cas de son entrée. Elle trouve cette situation bizarre. Au premier coup d’œil, il semble figé et il regarde fixement sur sa gauche. La nécrosoïde commence à longer, — les nerfs à vif, — le mur qui se termine à l’entrée de l’espace de contrôle. Plus elle s’approche, plus sa crainte du début s’intensifie. Le corps de Puh-Tridd reste là, suspendu en dehors du temps. Absent de la réalité. La sienne.
Lorsqu’elle franchit enfin l’entrée de la petite salle, son pistolet déflagrateur pointé en direction de son contrôleur, elle pousse un juron nécrosoïdien et passe bien prêt de perdre toute sa conscience en voyant le bas du corps de Puh-Tridd arraché, qui laisse s’écouler les dernières gouttes de son fluide vital dans une grande flaque noirâtre éparpillée sur le plancher d’alliage nickel. Une à une. Il avait été empalé sur un cylindre de métal horizontal servant à l’arrivée des denrées alimentaires qui avait été dévié de son axe original. L’autre partie de son corps, — ce qui avait été son tronc et ses jambes, — était étendue en une masse informe sur le bas du mur opposé. Partout sur les cloisons, des éclaboussures de son sang goudronneux.
Fhey-tiddhe n’appréciait pas du tout cette scène morbide même si elle s’était habituée au crime à la longue. C’était monnaie courante dans le domaine des affaires sur sa planète de régler ses différents par le meurtre. Elle aurait eu un haut-le-cœur violent si son système nerveux et olfactif avait fonctionné comme celui des humains, mais ce n’était pas le cas. La nature et l’évolution les avaient conçus différemment et c’était tant mieux. Elle pensait que c’était d’autant plus choquant que cet assassinat aurait dû être son œuvre… Fhey-tiddhe se sentit très déçue de la tournure des événements et cette déception, entremêlée d’une peur grandissante et d’une inquiétude profonde due au fait qu’elle se voyait perdre en un instant tout contrôle sur les événements, ne pouvait que la rendre plus anxieuse.
Elle plisse le visage et montre des dents à la manière des nécrosoïdes. Ce qui n’est pas très beau à voir. Beaucoup de choses se bousculent dans son cerveau, pareilles à une tornade qui envahit les plaines tranquilles de sa vallée natale sur Dheytritt huss 23, et qui bouleverse tout, mettant sens dessus dessous, ses idées dans sa tête calculatrice.
— Quel gâchis !
Maugréer-t-elle, et se gratte l’occiput, déconcertée. Il faudra en plus qu’elle nettoie toute cette merde avant l’inspection frontalière. Le premier poste de contrôle est situé sur Mhoasiss-Urrh 06, une des lunes gravitant autour de leur globe. Malheureusement, ce problème d’importance survient à un très mauvais moment et le temps file. Fhey-tiddhe n’avait surtout pas l’intention de finir ses jours déguisée en paquet cadeau pour le vide interstellaire… « Je ne me suis quand même pas donné tout ce mal pour rien! », se dit-elle, qui essayait de reprendre ses esprits.
« Mes complices dérivent tous comme des poussières cosmiques dans l’immensité du cosmos, je les y ai tous projetés, j’en suis certaine. Mais le dernier —Puh-Tridd— gît là, froid comme un glaçon. Quelque chose m’échappe, là… Qui est alors, le mystérieux auteur de cette boucherie ? Puh-Tridd n’était pourtant pas du genre à se faire avoir par le premier venu, bon sang !! Ce combattant, qui ou quoi qu’il soit, doit être très intelligent et sauvage à la fois… Est-ce que ce petit futé sait ce qu’il fait ? Au premier coup d’œil je dirais que oui. Et il erre certainement encore autre part dans quelques recoins reculés du vaisseau — j’en suis persuadée, — attendant le moment propice pour frapper à nouveau. Et qui deviendra sa prochaine victime ? »
Son sang se figea presque dans ses veinules, comme la glace s’empare d’un cours d’eau. Elle devait pourtant être la toute dernière passagère sur ce grand vaisseau…
« Tous mes projets d’avenir et tous mes rêves de grandeur pourraient bien basculer en un éclair, si je ne met pas un terme à cette aberration. Ce mystère. Une fois à l’extérieur de cet endroit, je changerai tout de même les codes d’accès et j’emprunterai prudemment les coursives qui me mèneront tout droit au poste de pilotage. Tous mes sens devront être alors en éveil. Oui, je devrai rester forte malgré tout. Ne surtout pas céder à la panique. Ce n’est pas parce qu’un pépin survient à l’improviste, que tout va nécessairement s’effondrer! »
Hélas, Fhey-tiddhe sentit un froid s’installer dans son dos et, pour la première fois de sa vie d’adulte, une peur atroce l’envahir… mais elle n’y pouvait rien. Son regard soucieux s’arrêta encore une fois sur son ex-acolyte démembré avant de quitter la petite salle souillée par la mort. Elle y reviendrait un peu plus tard après avoir réglé son compte, — espérait-elle, — à ce petit fumier. Qui qu’il soit. La nerveuse Fhey-tiddhe fixa son arme tremblante avec inquiétude. Elle la serrait avec un peu trop de fermeté…
***

Les compensateurs inertiels avaient dû, — à ce stade du voyage, — faire leur travail puisque les vibrations de tout à l’heure s’étaient tues et que, depuis un instant, un silence glacial enveloppait l’espace du centre de commande. Mais non. Fhey-tiddhe savait bien qu’il n’en était rien. La commandante regarde par le hublot. Les étoiles ne défilent plus. Elle a commandé elle-même, — en toute connaissance de causes, — un arrêt brutal du système de propulsion. Les roto-turbines magnétiques se sont toutes tues. Un calme inquiétant règne dorénavant partout sur le pont, dans les soutes et dans les plus profondes coursives du cargo. Le vaisseau s’est immobilisé. Seul, il flotte dans l’insondable et sombre ventre de l’espace…
En route pour se rendre au centre de contrôle des chambres froides, Fhey-tiddhe veut ne pas se faire prendre en embuscade par l’agresseur inconnu. Elle prend donc à peine le temps de s’arrêter un instant, histoire de reprendre son souffle. Une sueur moite descend de chaque cotés de sa face hideuse. Du sang noir commence à injecter les multitudes de veinules qui se déploient sur les parois de ses globes oculaires. La fatigue s’empare d’elle, peu à peu…
Arrivée à l’entrée, — exténuée mais tout de même encore sur le qui-vive, — elle entre et se dirige vers les écrans, son tentacule qui tremble. L’arme qu’elle tient est prête à faire feu à la puissance maximale. Elle n’a pas du tout envie de finir en brochette comme Puh-Tridd.
Maintenant que le navire était stoppé, — c’était une bonne idée qu’elle avait eu tout à l’heure, — il lui reste tout le temps voulu pour régler les détails de ce fâcheux incident. Fhey-tiddhe ne veut surtout pas se farcir les patrouilleurs des frontières du système avant d’avoir fait le ménage par ici. Il y a dans son espace vital, en ce moment, quelque chose qui l’irrite. Une chose qui l’indigne… un être qui lui ressemble un peu trop, de par sa sauvagerie. Sa cruauté. Quoi ou qui qu’il soit, il devra disparaître. Et ce, à tout jamais…
Une vérification méticuleuse du système de survie lui assure que tout baigne. Le troupeau dort d’un sommeil profond dans les chambres de stase. Les instruments de mesures et de surveillance des compartiments tempérés fonctionnent normalement. Pas un ne manque. Leur nombre est le même qu’au départ de la terre. Deux mille, pour être exact. Les systèmes de détections des appareils vitaux de chacun le confirment.
La commandante fixe de nouveau froidement la carcasse inanimée de son ex associé. « Pauvre abruti! Immond-hiss, la déesse de la mort, pourra bien s’en repaître à jamais, une fois que son corps sectionné tournera dans le vide du cosmos. »
La situation était pour elle tout à fait déconcertante. Elle dû faire un effort soutenu pour revenir à son problème immédiat. Lorsqu’elle voyait ses plans ainsi dérangés, sa colère s’attisait. Comment savoir qui menace mon existence? Qui vient foutre le bordel dans mon projet? Une hargne qui surpassait de beaucoup sa peur de l’inconnu bouillonnait au-dedans d’elle. Fhey-tiddhe sombra une fois de plus dans un dialogue intense avec elle-même :
« Le salaud devra revenir par ici et il devra encore composer avec un obstacle majeur s’il veut s’emparer de cette manne vivante… Il m’y trouvera moi ! Moi et ma profonde détermination.»
Fhey-tiddhe perçoit un sentiment belliqueux remonter du plus profond de sa gorge. Ses dents acérées, engluées, claquent et sa face gélatineuse remue sans cesse en convulsions spasmodiques. Elle actionne la delle du système de communication qui dessert tout le vaisseau. Elle gonfle son corps fusiforme et massif pour emmagasiner l’air vicié de cet environnement morbide, puis, laisse surgir de sa gueule un cri affreux. Un mugissement guttural. Une plainte qui ressemble aux appels sauvages de quelque étrange animal enragé. Cet effrayant appel se propage en un instant, tel un écho, à l’intérieur des cloisons étanches de l’ensemble des salles de l’immense navire. Fhey-tiddhe invitait, par cette plainte extraordinaire, le mystérieux trouble-fête à livrer un combat à finir.
Une onde interne remonte le long de son échine et laisse surgir un peu partout sur son dos musclé des éperons osseux tranchants, signes avant coureur de l’arme puissante que pouvait devenir son corps nécrosoïde lorsqu’il était ainsi stimulé. La commandante signifiait ainsi qu’elle était prête pour l’affrontement. Le dénouement ultime de cette lutte ne pourrait que s’inscrire dans la mort inéluctable et froide de l’un d’entre eux…
***

…Au même instant, perdu dans un recoin éloigné d’une autre partie du navire, quelqu’un de tout aussi déterminé que Fhey-tiddhe avait sursauté en entendant ce hurlement. Mais il s’était vite rassuré. Sa maîtrise de lui-même le mettait totalement en confiance. Après tout, cette confiance lui avait bien permis de se débarrasser de l’autre… Tout comme lui, il éliminerait la commandante. Il la balaierait pour toujours hors de cette existence, la projetterait dans un monde où elle ne causerait plus aucun tort à personne. Il jouerait le tout pour le tout, même s’il devait y laisser sa propre vie. Cela, il se l’était juré.
Il respire profondément, vérifie une dernière fois ses armes, son armure et il se lève d’un coup pour se lancer, mal à l’aise dans ce bizarre accoutrement, vers son destin. Il était déterminé à franchir un corridor de plus, afin de se rapprocher encore de son objectif final, sa cible ultime; celle qui avait pourri sa vie…
***

Fhey-tiddhe apparaît soudainement devant une cloison, tantôt disparaît derrière une porte close. Depuis un bon moment, elle longe le couloir qui, tantôt l’avait menée aux chambres de stase contenant son superbe troupeau d’humains. La souplesse de ses mouvements surprend, malgré sa corpulence. Chacun des sas et chambres étaient soigneusement inspectés. La sauvage diva nécrosoïde encaisse un coup de nervosité. Elle qui prévoit toujours tout dans les moindres détails, doit maintenant improviser.
Elle s’éloigne de son butin, mais, à chaque pas, elle sait qu’elle se rapproche un peu plus de ce salopard. Sa peur augmente, comme la chaleur à l’intérieur du bolide. Un soleil tout de même imposant brille à quelques milliers d’années lumière de son vaisseau et exerce une force d’attraction considérable sur sa masse. Sans les propulseurs magnétiques qui fournissent toute l’énergie nécessaire aux systèmes de propulsion et de survie en oxygène, de même qu’aux contrôles de la température de l’air ambiant, la réserve était limitée. Beaucoup trop de ressources aussi, devaient être absolument déviées vers les chambres de stase. Les produits fins qu’elle ramenait ne devaient surtout pas s’abîmer pendant son voyage. Pour sa part, Fhey-tiddhe supporte très bien la chaleur. Elle s’entraîne depuis longtemps à Bhôge, sur son monde, afin de parfaire ses talents de guerrière. L’étranger, dissimulé comme une mauviette quelque part sur son navire, n’est peut-être pas aussi résistant. Du moins, c’est ce qu’elle espère…
Après moult fouilles parcimonieuses mais fatigantes, la mine déconfite, elle finit par déboucher sur une intersection où trois autres couloirs cylindriques semblables aboutissent. C’est un vaste carrefour. Elle y entre. Fhey-tiddhe renifle une odeur faible, mais tout de même étrange, qui brûle un instant ses naseaux. Elle se méfie. L’endroit avait été conçu pour recevoir tous les membres de l’équipage. Aujourd’hui il avait l’air désert. Le contraire eut été étonnant, puisqu’elle s’était débarrassé elle-même de tout ses partenaires. Un étourdissement soudain la plaque contre le mur. Cela se passe lorsqu’elle avance derrière les sièges qui meublent l’emplacement lugubre. La nécrosoïde s’arrête encore un instant et observe la pièce. Ce point de jonction des coursives principales leur permettait de décompresser pendant les longs voyages extrasolaires. Une vaste pièce for bien aménagée, qui dispose de tout le confort nécessaire à la détente. Salon luxueux, grands hublots pour la vue sur le cosmos, salle de jeux, bar et salle à manger ne sont que quelques-unes des installations dont était équipé ce grand appareil. Un endroit rêvé pour tendre une embuscade et désintégrer un combattant adverse sans trop de dégâts. Une idée vint à Fhey-tiddhe. Puisqu’elle avait ratissé l’entière coursive menant à sa cargaison et qu’elle n’avait rien trouvé jusque là, elle se dit que si ce fumier voulait mettre un terme à sa vie, il devrait fatalement passer par une de ces trois autres voies d’accès. Elle devait donc être embusquée au bon endroit pour le pulvériser lorsqu’il apparaîtrait.
Sa vue s’embrouilla un instant…
La fatigue ? L’air ? Probablement du surmenage, se dit-elle. Pourtant, son endurance physique et psychologique avaient fait leurs preuves par le passé. Elle respira profondément. Après son appendice nasal, c’était maintenant l’intérieur de sa gorge qui brûlait comme un fer rouge. Elle se ressaisit. Peut-être un problème avec les arrivées d’air ? Sans doute. Elle se colle, prudente, contre la surface du mur pour rejoindre le tableau des analyses en oxygène et ne trouve rien d’anormal elle y collecte les données primaires. Quelque chose n’allait pas… mais quoi?
Ces quarante huit dernières heures l’avait particulièrement marquée. Fhey-tiddhe fouille quand même d’abord la grande pièce. L’arme solidement pointée, elle se déplace avec beaucoup moins de souplesse. Elle sonde tantôt un placard, tantôt l’entrée d’un conduit d’arrivée en oxygène ou bien encore l’embouchure d’une trappe d’élimination alimentaire. Dans l’espoir que rien ne lui échappe cette fois-ci. Tout endroit susceptible de contenir un corps d’une stature semblable à la sienne était passé au crible. Elle cherchait aussi un endroit qui l’abriterait elle-même. La dissimulerait à son opposant. Fourbue, elle s’installe derrière le comptoir du bar. Elle observe ses tentacules qui tremblent. Ses paupières tombent, lourdes comme des poutres de métal. Elle lutte, du mieux qu’elle le peut, pour ne pas sombrer. Difficile. Quelque chose dans l’air l’irrite. Un relent qu’elle ne connait pas et qui la consume par en-dedans… très lentement…
Fhey-tiddhe rêva.
«Son vaisseau se posait lentement sur Dheytritt huss 23, et le groupe d’acheteurs était au rendez-vous. Elle appréhendait ce moment depuis si longtemps, eux aussi d’ailleurs. Elle contemplait leurs regards de businessmans affamés de profit et descendait de son bolide de l’espace encore fumant. Debout à travers les brumes qui tourbillonnaient, elle se sentait triomphante. Elle, la riche reine noire des nécrosoïdes, ses mouvements empreints de légèreté et de suffisance. Elle claquait ses masses tentaculaires sur son corps gluant. Mais plus elle s’avançait vers eux avec hardiesse, plus son assurance la quittait. Plus la méfiance s’emparait d’elle. Quelque chose n’allait pas. Un élément du décor jurait. Comme si une pomme pourrie se trouvait parmi eux. Dissimulé. Un visage, une expression qui ne lui était pas inconnu la fît pâlir. La fît s’arrêter. Une arme prête à faire feu était pointée en sa direction. Le regard de ce sale avorton, de marbre, la fixait. Figé dans une expression haineuse. Son tentacule sur la gâchette. Les autres avaient tous disparus, emportés dans les vapeurs de la nuit. Au ralenti, image par image, elle se retrouvait seule, face à son ennemi. Fhey-tiddhe voulue dégainer son arme pour défendre sa vie. L’ennemi avait déjà tiré. Il était trop tard. La boule d’énergie l’atteignit et la douleur fût immense…
Fhey-tiddhe se réveille en sursaut, le souffle court. Qu’avait-elle fait, que lui était-il arrivé? Combien de temps s’était-il écoulé depuis qu’elle s’était endormie ? …Et son ennemi ? Elle voulu se relever et brandir son pistolet désintégrateur mais il avait disparu de son bras lombricoïde. Ses deux cœurs bondirent alors dans sa poitrine à un rythme effarant. Ses éperons dorsaux; déployés à leurs pleines capacités, comme dans toutes les situations hautement dangereuses. Mais elle ne pu bouger que partiellement. Chacun de ses mouvements la brûla, en-dedans. Elle se retourne alors doucement pour voir qui était derrière elle. C’est alors qu’elle aperçoit la silhouette diffuse d’un nécrosoïde. Elle se frotte les yeux pour mieux le voir. Sa vue est encore partiellement embrouillée. Cependant, elle la devine revenir peu à peu. La forme inquiétante se précise. Enfin. Sombre et menaçante.
— Puh-Tridd !?! Toi ? Mais… tu es mort ! grogne-t-elle avec difficulté. Sa gorge en feu. C’est… tout à fait impossible!
Puh-tridd ne bronche pas. Il se tient immobile, debout devant Fhey-tiddhe étendue parterre, le bout de son bras souple et allongé enroulé autour d’un mystérieux flacon, prêt à verser au sol le liquide qui se trouvait à l’intérieur. Fhey-tiddhe essaie de se maîtriser. De reprendre ses esprits. Sa respiration, difficile et bouillante, la maintenait presque paralysée au sol. Pourquoi? Elle ne savait pas. Que s’était-il passé lorsqu’elle était entrée dans cette maudite pièce? Elle réfléchit encore un peu… l’odeur, oui, l’odeur était différente. D’où sa difficulté à respirer. Et c’est encore pire. C’est à ce moment que tout a commencé. Que m’a-t-il fait? C’est impossible ! Comment m’a-t-il ainsi bernée et maîtrisée ? Aurais-je été victime d’une hallucination quand j’ai trouvé son corps mutilé dans la salle de contrôle des chambres de stase ? Il n’est pas vrai que ma vie va finir ici, au milieu du cosmos avec ce voleur de butin ! Il faut que je lutte. Si Puh-Tridd le décapité que j’ai trouvé là bas n’est pas Puh-Tridd, alors qui est-il ? Il faut qu’il parle. Il faut qu’il m’explique. Après cela, je le tuerai de mes propres tentacules avec le peu de force et de détermination qu’il me reste. Je crois que j’en ai encore la puissance.
Les questions se bousculent dans sa tête. Il aurait pourtant pu me tuer dans mon sommeil ! Comment se fait-il qu’il ne l’a pas fait ? Où est mon arme ? Il tient ce flacon bizarre comme un bien trop précieux. Ce liquide serait-il dangereux ? Et puis non! Ce dégénéré de Puh-Tridd m’aurait déjà tué il y a longtemps, lui. À moins que…
Fhey-tiddhe rassembla toute son énergie pour tenter une manœuvre d’intimidation. Il n’était pas vrai qu’elle concède la défaite sans livrer combat. Elle s’agite et fait ramper vers lui, sur le sol froid, ses trois bras oblongs. La douleur est presque intolérable mais elle tient bon.
Puh-Tridd recule.
— Ne bouge surtout pas ! s’écrie-t-il, et il verse une goutte du mystérieux liquide. Quand il se disperse sur le sol, Fhey-tiddhe s’arrête net. L’odeur entre en elle et ses poumons se mettent à siffler. Puh-Tridd renchérit : « Espèce de vermine puante. Tu vas bientôt regretter d’être venue au monde. Mais laissons pour l’instant durer encore un peu le plaisir. Tu aimes ça le plaisir à ce que je vois, n’est-ce pas ? Je constate que tu as eu tout le loisir de te débarrasser de ton équipage… » Le long bras filiforme tenait le mystérieux flacon et montrait maintenant la baie vitrée, où, de temps à autre, à la lumière d’un soleil qui se rapprochait, des corps monstrueux et démembrés passaient et repassaient dans une elliptique constante plus ou moins éloignée autour du bolide. … « Eh bien, c’est moi qui vais me défaire de toi, dans un moment. Il faut que tu paies pour tout ce que tu as fait. Il faut que tu ne profites en aucun cas du projet que tu as si malicieusement élaboré. Non ! En aucun cas. Et je serai l’instrument de ta torture. Je serai ton bourreau! »
Déçue, Fhey-tiddhe désormais entre les mains d’un ennemi qu’elle ne pouvait cerner, dû se résoudre à essuyer une première défaite. Mais la partie n’était pas encore terminer pour autant…
Elle poursuivit :
— Belle supercherie que le simulacre de ta mort un peu plus tôt. Mais tu m’as l’air un peu trop sûr de toi. D’abord, oui, j’aime le plaisir et il sera suprême quand je te découperai en rondelles, tout à l’heure. Ce n’est d’ailleurs pas avec le minable contenant de verre que tu exhibes là devant moi, que tu peux espérer te défaire de mon existence. Sa douleur interne, avec l’évaporation des relents toxiques, s’était apaisée depuis peu. Elle préparait lentement, au-dedans d’elle, sa contre-attaque.
— Ne crie pas victoire trop vite, immondice scélérate. Regarde-toi, étendue sur le sol, comme un vulgaire déchet que tu es. Tiens, je vais te faire goûter encore un brin à la médecine des tiens. Il y a beaucoup trop longtemps que je souffre à cause de toi.
Sous le regard soutenu de la Commandante, Puh-tridd se dirige lentement vers la bouche principale d’arrivée en oxygène. Il verse à travers la grille trois gouttes de son étrange liquide et il revient vers elle, qui gisait encore presque inerte sur le sol métallique. Arrivé près d’elle, il décroche avec difficulté un appareil d’aspect luisant de la ceinture de son pagne. Il faut dire que des tentacules munis de ventouses n’étaient pas des membres dont il avait l’habitude de se servir. Il appuie enfin sur le commutateur et le laisse tomber sur le sol. Puh-tridd s’était envolé. Le vrai visage de son adversaire apparut derrière le rideau des effets spéciaux nécrosoïdes. Fhey-tiddhe, prisonnière, ses yeux écarquillés, n’en revenait tout simplement pas. Un humain que son équipe avait capturé sur terre se tenait devant elle… et c’est probablement lui qui avait assassiné Puh-tridd et qui l’avait presque maîtrisé, elle, d’une façon qu’elle ne s’expliquait pas.
Elle aurait pu tout envisager. Toutes les possibilités. Sauf celle-là. C’était un dur coup qui venait d’être porté à sa fierté nécrosoïde.
L’humain poursuivi :
— Alors, en voilà une surprise pour toi, abjecte pourriture vivante. Maintenant, pour le bien de l’humanité, tu vas respirer l’air que j’ai préparé tout spécialement pour toi. C’est une recette bien de chez-nous. Tu vas voir, tu l’apprécieras dans un instant.
Fhey-tiddhe rassembla toutes ses forces et se dressa debout avec difficulté, sur ses grosses jambes. Cette fois-ci, l’ennemi ne recula pas d’un iota. Il parla haut et fort avec émotion et conviction.
— Mon nom est Vincent, je suis le conducteur qui ouvrait le convoi qui amenait tout mes compatriotes humains à l’abattoir. Je suis celui que vos comparses ont refusé de libérer après les avoir conduit à votre vaisseau, comme il était convenu. Je suis celui qui respire votre odeur infecte depuis que celui que vous appelez Puh-Tridd s’est dressé contre moi sans son appareil de camouflage. Pas très difficile à utiliser d’ailleurs. Je suis aussi celui qu’il a réveillé durant votre voyage de retour vers votre planète. J’ai trafiqué les appareils de sommeil profond pour que personne, surtout pas vous, ne s’en aperçoive. Je suis celui contre qui il voulait sa revanche pour assouvir sa fierté personnelle de combattant. Je suis, de même, celui qui l’a massacré dans un combat qu’il pensait à arme égale. Car j’ai compris une chose en côtoyant votre engeance pestilentielle, votre espèce nauséabonde sans âme. J’ai compris que certaines odeurs ont un effet extrêmement dangereux sur votre physionomie. Comme votre odeur est intolérable pour nous tous, humains. J’ai donc retrouvé, par hasard, des effets personnels que votre imbécile de complice avait gardés pour lui lors des fouilles de mes congénères. J’ai donc risqué le tout pour le tout, quand il eut le dos tourné, afin de subtiliser le contenant en question. Lorsque j’ai pu l’en asperger, sa respiration est devenue immédiatement perturbée. Son corps s’est mis à se convulser et finalement, il a éclaté. Enfin, je suis celui qui vient juste d’en verser quelques gouttes dans l’arrivée d’air de l’endroit où nous nous trouvons. Vous comprenez ? Ne vous sentez-vous pas faiblir ?
— In…ingénieux ! Répondit avec peine la nécrosoïde qui titubait sur ses courtes pattes. Sa respiration était saccadée. Un feu de braise la dévorait chaque fois qu’elle inspirait. Elle voulut soulever sa masse tentaculaire et la diriger vers son antagoniste pour l’achever, mais la douleur était devenue trop intense. L’infâme Fhey-tiddhe, finalement reine de rien du tout, s’affaissa à nouveau sur le plancher comme un lourd sac de sable.
Vincent reprit :
— Tu vas maintenant mourir, ignoble monstre répugnant de l’espace. Tu vas crever comme tes copains qui sont venues sur ma planète. Pour les milliers de mes frères et sœurs que tu as emportés sur ton navire de l’espace, en leur mémoire, tu vas sombrer dans les enfers.
Vincent laisse alors tomber le mortel flacon qui répand tout son contenu liquide sur le plancher non loin de l’ignoble Fhey-tiddhe qui se tordait dans la douleur. La fragrance hautement parfumée envahit, en un instant, toute la pièce. Alors, le cri le plus effroyable qui soit, jaillit de sa gueule dentelée avant qu’elle ne crève enfin quand son corps explosa.
Vincent contemple encore une fois la scène avec dédain. Il éprouvait une certaine satisfaction en sachant que ces atrocités venues d’un autre système solaire ne causerait plus aucun tort à l’humanité. Il les avait vaincus. De sa propre volonté. Quant à lui, en plus des autres, incluant sa femme et ses enfants endormies quelque part dans les chambres de stase, cette infâme aventure lui coûtera peut-être, comme pour eux, la vie. Mais la terre, elle, serait sauve. Dorénavant, seul éveillé, debout devant la grande alvéole vitrée qui lui laissait entrevoir l’infini de l’immensité, il imagina que peut-être un espoir subsisterait… Peut-être était-il lui-même cet espoir. Le bolide inerte finira certainement par être engloutit par l’énorme pouvoir d’attraction du soleil lointain s’il n’est pas remis en route… Il avait tout son temps. S’il subsistait, il essaierait du moins…
Vincent quitte enfin la salle du personnel du vaisseau ennemi. Les murs maculés de sang nécrosoïdien nauséabond prouvait enfin sa victoire. Il enleva les bouts de tissus qui obstruaient et court-circuitaient ses sens olfactifs. Ça l’avait au moins empêché de sentir leur puanteur et de toujours vomir en leur présence. L’homme jette un dernier coup d’œil à l’arme ultime qui lui avait permis ce triomphe. Le flacon, par terre reposait. Il portait l’inscription en grosses lettres noires :
CHANEL NO 5.

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