Quelque fois, quand une immense douleur nous étreint, certaines nuits peuvent nous paraître encore plus longues et plus noires que toutes les autres… C’est un état de fait. Hélas, pour certains, une de celles-là, dans des circonstances exceptionnelles, ira jusqu’à ne plus jamais enfanter le jour.

Tiré du grand livre de l’ailleurs.
Lumi-tome 90,034, conduit-fibre 517,340, page- écran 17,007, verset 80, paragraphe 4b, alinéa 8.

Un étrange et long convoi s’amène.
Vu du ciel, les lueurs pâles de leurs feux et phares les font ressembler à une horde de chenilles aux têtes colorées. Elles arborent toutes des dizaines d’yeux luminescents qui repoussent au loin les frontières profondes de la nuit. Clarté furtive et brume volatile qu’elles laissent pour un court instant dans leurs sillages. Elles serpentent à la queue leu-leu dans les courbes de l’étroit chemin.
Ces rutilants engins à la puissante force de torque, tirent leurs charges dans les montées et compressent des freins moteurs dans les pentes. Les arbustes, éclairés pour de courts instants, ploient, couchés sous les masses d’air déplacées. Ces monstres crachent de leurs poumons d’acier des bruits et une fumée plus opaque que le jais, aussi noire que la nuit, hydrocarbure fossile qui alimente encore aujourd’hui les énergivores moteurs à explosion de ces flamboyants tracteurs. Toute cette pollution se dissipe toujours fatalement dans l’atmosphère.
La dizaine de camions semi-remorques roule à vive allure et perce, comme le glaive tranche, le cœur de l’obscurité. La nature s’anime dans les forêts qui entourent la route 485 en direction du Nord, vers la Baie James. De temps à autre, les yeux de feux de bêtes sauvages y sont illuminés. Elles fuient, en cavale. Ceux qui dirigent ce convoi s’en préoccupe et restent aux aguets. À l’abri dans les cabines chauffées. Le gravier, — sous les massifs pneus de ces colosses de fer et d’aluminium —, sautille et tournoie à travers la poussière soulevée. La horde gronde dans les ténèbres…
En tête du groupe, — l’éclaireur —, maintient une plus grande vitesse que les autres afin de garder un peu d’avance. Il doit procéder ainsi. Ordre de la Commandante. Ce voyage leurs a déjà coûté assez cher en capital vivant, il ne peut avorter au dernier moment. Le temps presse. Jamais, jusqu’à maintenant, ils n’ont foulés ce sol. Depuis le début des opérations, tout ne s’est pas toujours déroulé selon le plan. Pouritt-Urh, un personnage relativement détestable, n’a jusqu’à présent pas fait éclater trop de têtes. Pour le bon déroulement des opérations, la supérieure, l’instigatrice de cette dangereuse aventure, demeure en constante communication avec eux. Trop exigeante. Selon certains. Pourtant, elle connait cet endroit bizarre mieux que personne. Tout l’équipage s’en est rendu compte… Pour ça, elle n’a pas tort. Sa deuxième venue en ces lieux étranges lui donne une longueur d’avance sur l’équipe. Ses mises en garde sont fondées. Mais c’est une femelle… et… enfin, vous savez, l’orgueil du mâle en prend toujours un peu pour son rhume.
Ils ne sont pas les bienvenues par ici… juste pour ce qu’ils manigancent. La populace locale n’a jamais rencontré d’étrangers d’origine aussi lointaine. Encore moins des individus aussi différents d’eux. La Commandante relatait d’ailleurs, pendant un briefing, qu’à l’époque elle avait eu tôt fait de constater que la vie sauvage et même humaine, s’étendait jusque dans ces immenses forêts éloignées des cités. Elle a également raconté comment sa première équipe avait été décimée en sillonnant ces routes dangereuses.
Un accident peut si vite se produire… avait-elle relaté. Alors ce n’est pas le moment de tout foutre en l’air. Pour l’instant, la Commandante demeure au-dessus d’eux depuis le début des opérations. Cependant, elle doit déjà se trouver au sol. Au point de rendez-vous fixé pour recevoir la marchandise.
Si ce coup fumant foire, aucun d’entre eux ne pourront être payé pour le travail accompli. Certains y perdront beaucoup au change. Puh-Tridd en particulier, qui risquait plus que tous les autres dans cette tumultueuse affaire.

Passager du convoi de tête, le visage méprisant et imperturbable, il écoute. Les unes après les autres, il savoure les infos du bulletin de nouvelle de nuit, que l’animateur à la voix mielleuse, — à la radio provinciale —, lit laconiquement. Son bras braque une arme bizarre sur la tempe du conducteur qui est visiblement effrayé. L’otage a les yeux injectés de sang. Il est fatigué. Il fixe, sans relâche, la chaussée droit devant qui défile à vive allure. Comme les moments marquant de sa vie y passent eux aussi; le visage de ses enfants, sa femme qu’il aime, ses parents et amis, ses coéquipiers qui conduisent les autres remorques derrière et, la maison familiale qu’il ne reverra probablement jamais s’il ne fait pas ce que cet atroce individu lui demande. Sur son visage, ce regard absent, vitreux, dans sa bouche entrouverte aux lèvres et à la langue desséchée, il avale cette route avec révolte comme on ravale sa propre existence. Quand la vie vous prend toutes les personnes qui vous sont les plus chers. Lorsqu’une circonstance alarmante survient. Un événement plus grand que soi, quelque chose d’inéluctable et d’effroyable à la fois…
De la sueur coulent sur son front et sur ses pommettes. Sa gorge est serrée et son cœur s’emballe. Les battements qu’il émet veulent défoncer sa poitrine. Ses narines ont gardées, par l’entremise de son cerveau, l’odeur infecte de ce qu’elles ont respiré tout à l’heure, au moment du début des incidents, aux premières heures qui précipitèrent son départ… leur départ à tous vers l’inconnu. Il a vu l’horreur. Une ignominie sans nom. Maintenant qu’il sait, qu’il vit cette fatalité, il s’est bien gardé de tenter quoi que se soit pour mettre fin à ce cauchemar. Ce cirque grotesque. Ses deux mains, soudées au volant du monstre, bras en avant comme des ressorts, sont devenus à la longue son prolongement. Il s’est fondu à la conduite du puissant véhicule, pour ressentir, tel les amortisseurs du fardier, chacun des nids de poules, chacune des flaques d’eau. Son corps en symbiose presque parfaite avec le robuste bolide. Rien n’importait plus, pour lui, qu’amener le convoi à destination. Le cœur plein de haine, il fixe la route bien plus pour préserver la vie de ceux qu’il aime que pour la sienne propre. C’était quand même étrange, comme l’existence de quelqu’un pouvait basculer en un instant… Conduire, il avait apprit à le faire tout jeune et depuis des années il roulait sa bosse sur les pavés de la province et même hors frontière. Son dossier de conduite impeccable le prouve encore, hors de tous doutes. Mais aujourd’hui, il n’est plus question de boulot. Plutôt une affaire de vie ou de mort. Ses ravisseurs ne lui laissent plus tellement d’autres choix…
Au dehors, le colosse, suivi de sa flotte infernale, rugit, fonce et repousse toujours plus profondément la distance qui les sépare du point d’arrivée où son agresseur l’oblige à le conduire. Un endroit dont il ne sait que peu de chose encore, un rendez-vous, avait-t-il compris. Mais il s’en doute un peu tout de même. Après la scène incroyable qu’il a vue… « Ces… immondes miasmes putrescents n’ont pas élaboré un projet d’une telle envergure pour plaisanter ! » Par cette réflexion, il essaie de se convaincre qu’il n’est pas fou. Non, il ne l’est certainement pas. Il fera seulement ce qu’on lui demande. Mais attention ! C’était la condition sine qua non, s’il voulait revoir sa femme et ses enfants vivants, lui a lancé tout à l’heure ce dégoûtant simulacre d’enfant de salaud. D’ailleurs, l’arme qu’il pointe toujours en sa direction depuis leur départ, en dit assez long sur le sérieux de leurs menaces. Il a eu d’ailleurs le privilège de voir ce pistolet en action… « Pauvre Georges ! Il est toujours allé au devant des ennuis… Dieu ait son âme ! S’il existe… »
Le conducteur sort de sa transe un instant pour jeter un coup d’œil méprisant vers son geôlier. Vincent en a vu des truands au cours de sa longue carrière de « trucker, » et il sait de quoi ils sont capables. Tous la même race de bâtards, d’où qu’ils viennent. Ceux-là ne sont pas très différents, sauf qu’ils… Vincent déglutit, afin de maîtriser son envie de vomir.
À la fin du bulletin de nouvelles, l’homme armé, comme soulagé, s’empresse de couper le contact de la radio. Il prend soin de garder en joue son prisonnier. Mais l’animateur reprend soudain d’un ton plus qu’animé:
« Chers auditeurs, voici un bulletin spécial. Nous venons de recevoir cette missive à l’instant : Des informations du public à l’effet qu’un OVNI ou encore une météorite géante aurait pourfendu notre ciel ce soir aux environs de minuit et qui se serait écrasée quelque part au nord du cinquantième parallèle ici au Québec, ont alimentés certains médias et centres d’urgence de différents coins de la province. Ces personnes dispersées un peu partout sur le territoire, affirment tous avoir vu tomber cette chose à peu près vers la même heure. Cependant, tout laisse croire à un canular monté de toute pièce, puisqu’une porte-parole de la base de Bagotville à Saguenay, vient à l’instant de confirmer que leurs écrans radar, ainsi que ceux de Val-Cartier, n’avaient rien remarqué de suspect dans le ciel aux environs des heures mentionnées. Le NORAD corrobore aussi ces dires. La responsable des relations publiques, le lieutenant Rita Patry, ajoute même que ces phénomènes sont plus fréquents en cette période de l’année et qu’il s’agit toujours de débris provenant de satellites périmés qui se crashent dans l’atmosphère ou encore de phénomènes magnétiques dus aux activités plus intenses du soleil. Rien à voir avec l’arrivée d’envahisseurs de l’espace dans leurs soucoupes volantes… Voilà pour ce bulletin spécial, ici Carl Savard, de retour en musique avec « Radiation, » de la formation UKZ qui sera en spectacle à Montréal le 24… »
L’agresseur au visage livide, coupe la radio et éclate soudain d’un rire qui déconcerte le chauffeur. Un rire plein d’arrogance, voir même abject. Des espèces de gargouillements gutturaux venus d’un endroit encore inconnu jusqu’à nos jours. Vincent aurait bien voulu qu’il s’étouffe avec, si cela avait été possible… Mais il n’en fût rien.
L’homme corpulent, inconfortable sur son siège, se redresse enfin. Il reprend à nouveau son souffle. Il n’est aucunement habitué à se laisser aller comme ça. Pourtant, ça lui fait le plus grand bien. Les tensions du voyage s’amenuisent. Il regarde son otage avec condescendance et sa voix rauque, dégoûtante et grave, claque aux oreilles de Vincent comme un son caverneux d’outre tombe.
— Quand je pouvoir raconter à conne de patronne à moi ce que venir entendre à votre information réseau, probablement aller marrer elle à rouler son corps à terre et tordre elle à extase de jouissance !
Il jette un rapide coup d’œil en avant, satisfait, et en rajoute.
—Pauvres de demeurés en bandes. Dirigeants à vous pas savoir même reconnaître vaisseau étranger quand avoir sous un nez. Heureusement, vous avoir peu des autres rares qualités! MOUAH, AH, AH, AH !!
Vincent ne détourne même pas les yeux de la route. Son visage est trop tendu, rouge de colère. Il aurait volontiers frappé la gueule de merde de cet avorton, s’il n’avait vu surgir, — en sortant d’une courbe prononcée —, une épaisse colonne de fumée blanche en travers de la route. On n’y voyait que dalle dans ce dédale. Vincent s’entend crier de peur et son sang se glace dans ses veines lorsqu’il voit la déchirure qui, trop rapidement s’amène sur eux. Elle coupe net l’étroite route en deux. Le sombre individu qui prend place à côté de lui saisît alors le microphone du radio transmetteur FM afin de prévenir le reste du convoi de l’imminence du danger. Sa voix rauque beugle, sa main s’agrippe fortement à la poignée fixée au haut de la cabine. Garder en joue le prisonnier n’est tout à coup plus une question de priorité.
— CHEF, SI VOUS ÊTRES À L’ÉCOUTE, STOPPEZ CONVOI TOUTE URGENCE, FOUTU PROBLÈME IL Y A SUR ROUTE !!
Vincent, — littéralement pris de cours, — plaque les freins de toutes ses forces, sa jambe, raidie comme une barre de fer, qui bloque toutes les roues, tandis que le camion tangue dans un bruit d’enfer en arrachant le sol rocailleux de la vieille route. Sa vitesse est trop rapide et il le sait. Il s’applique donc à réagir promptement. Dans un dérapage époustouflant, la longue remorque de quarante huit pieds se replie sur elle-même jusqu’à ce que le train arrière, — qui couvrait maintenant toute la largeur de la mince route — fracasse et puis renverse plusieurs gros arbres en bordure du fossé. Un massif et puissant mur qui se déplace. Il nivèle et pulvérise tout obstacle sur son passage. Il ne reste derrière, que la froide mort elle-même, que résidus de matières éparses. Vincent, dans une poussée d’adrénaline, rétrograde en même temps
les vitesses et le moteur gémi de douleur dans un bourdonnement de plus en plus affolant. Dans la cabine, les deux passagers rebondissent et se frappent un peu partout. Le halo faiblement éclairé des feuillages avance trop vite. Il devient terriblement menaçant. Dans un geste inopiné, le conducteur braque de toutes ses forces dans l’autre sens. Il espère ramener le fardier en équilibre. Les pneus surchauffent tandis que le métal se tord dans des crissements à vous faire grincer les dents. La poussière grise de gravier soulevée du dessous vers le dessus du camion a bientôt rejoint la nappe de fumée blanchâtre qui émane du gigantesque cratère. Le vide se déploie devant eux. La vie de Vincent ne tient désormais plus qu’à un fil. Celle de l’autre, accroché aux poignées du plafond, est le dernier de ses soucis. Il peut bien crever les pieds dans la bouche, ça lui sera foutument égal…
Le lourd fardier finit par s’immobiliser enfin, à quelques longueurs de pare-chocs du gouffre qui s’ouvre sur plusieurs centaines de mètres de circonférence. Devant, et tout autour, un spectacle ahurissant de désolation. Les freins à air du camion crachent l’air emmagasiné dans un dernier sifflement. Le moteur ronronne encore et l’on peut sentir sa chaleur à l’intérieur du cockpit, ainsi que l’odeur de la céramique des freins chauffés à bloc, les vapeurs de diesel et celle du caoutchouc surchauffé. Ces relents lui brûle les narines. Vincent coupe le contact. Une drôle de sensation s’empare de lui. Une impression de relâchement mêlée à celle de l’inquiétude toujours omniprésente.
L’énergumène pourvu du flingue regarde vers l’endroit où la route s’est envolée. Il dissimule mal une mine déconfite. Il fait descendre la glace de sa portière et en sort la tête afin d’y humer l’air ambiant. L’expression de son regard devient mesquine. Il attrape à nouveau le microphone de la radio en même temps qu’il foudroie Vincent de son regard. Il pointe du doigt l’étrange cratère rempli de fumée et il appuie sur le communicateur.
— À toutes équipes unités roulantes, prendre notes bonnes, arrivés nous être. Voilà point contact. À vous, chef.
Une voix rauque semblable à celle du premier interlocuteur répond aussitôt.
— Être pas trop tôt ! Commencez ouvrir remorques et rassemblez précieuse marchandise. Après, préparez descente. Son rire sordide résonne au haut-parleur. « Nuit à nous, tous avoir rendez-vous avec richesse !! »
Le ravisseur revient à son otage. Il gesticule avec son arme. Il lui ordonne de descendre du camion. Le chauffeur s’exécute sans hésiter. On ne rechigne pas devant un pistolet d’une telle puissance. De plus, ses nerfs mis intensément à vif ces dernières minutes, n’ont plus beaucoup de résistance et il pourrait bien devenir dangereux de trop le brusquer. Vincent le sent dans tout son corps. Heureusement, il sait à qui il a affaire. Il fera donc de son mieux pour se contrôler. Les autres membres du convoi arrivent lentement derrière eux. Lorsqu’il pose le pied sur le sol au bord du précipice, sa main qui serre encore la poignée de sécurité de la cabine de son solide Kenworth, Vincent réalise avec stupeur combien il s’en était fallu de peu pour qu’il engloutisse son tracteur et la précieuse cargaison qu’il contenait dans ce trou incroyablement profond. Il songe : « Ahurissant ! »Ce gouffre s’étend sur plusieurs centaines de mètres devant nous et il plonge plus profondément encore…Qu’est-ce qui s’est passé ici ? » L’énorme fardier, immobilisé tout juste à un mètre du gigantesque cratère, fume sous le capot. Vincent essuie son front avec la paume de sa main qui tremble. L’air, constate t-il, est anormalement humide et plus chaud par ici. Pour une nuit automnale, dans ce secteur nordique, cela semble inhabituel. Une faible mais déjà âcre et désagréable odeur y règne. Une odeur qu’il a déjà sentit, il en est certain. Toute cette situation le rendait encore plus anxieux.
L’individu armé réapparaît de l’autre côté du chaud bolide. Il s’aperçoit de la proximité du camion, lui aussi. Il s’essuie le visage. Un visage si terne et si morne qu’il n’a rien de commun avec ceux de l’humanité. Vincent l’a, — avant leur départ —, découvert bien malgré lui. Un masque stupide et grotesque qui affiche tellement peu d’expression qu’il l’a toujours trouvé ridicule. Dire qu’il ne peut encore rien faire pour lui régler son compte à ce fumier.
Au cœur de la nuit, son agresseur, l’air de n’avoir pas du tout apprécié la fin de la balade, n’a de cesse de regarder le camion, puis le trou et Vincent, encore et encore… Son infâme instrument de mort s’agite avec la nervosité certaine qu’ont les névrosés ou les psychotiques en manque de médication. Il pointe à nouveau son arme sur Vincent. L’étranger se méfie de lui. Il se surprend à penser que sa chance peut bien tourner au cauchemar, arrivé si près du but. S’il avait fait cette embardée avec le chauffeur et dégringolé tout au fond, qui sait quels dommages irréparables il aurait pu faire subir à toute cette manne enfermée dans cette remorque… et… le vaisseau. Et les autres. Il s’en est fallu de peu. Les cargaisons sans prix que contiennent ces camions, aurait sûrement été détruites ou bien endommagées. Son supérieur dans la hiérarchie ne lui aurait jamais pardonné cette grossière erreur. Cependant, une chose était claire. Lui, n’aurait certainement pas goûté à la colère de son chef, parce qu’il se serait indubitablement éteint à l’heure qu’il est dans l’écrasement du camion tout en bas. Mais sa famille, elle, qui grandissait sur son monde lointain, aurait payé le prix cher pour cette stupide erreur. Telle était la loi des contrebandiers sur Dheytritt Huss 23. Sa planète. Sa Commandante le lui avait trop bien rappelé avant leur départ.
Il se sent bientôt s’emporter dans un élan de fureur et se met tout à coup à crier, invectivant Vincent, dans un français écorché.
—TOI AVOIR PU TUER NOUS TOUS, ESPÈCE IMBÉCILE !! MOI PAS ME RETIENT DE PULVÉRISER TOI, COMME VULGUAIRE VLOGH PUANT!! (1)
(1) Plante géante nuisible, colorée et d’arôme parfumé qui ressemble à la vanille de la terre, sur Dheytritt Huss 23
Puis, il se crispe. Se dirige d’un pas décidé, — son arme au poing —, vers son prisonnier. Il se laisse envahir, — dans une prérogative lancée quelque part dans les méandres de sa volonté —, comme une impulsion électrique qui chemine irrémédiablement, en un instant, une fraction de seconde, vers son point d’arrivée pour accomplir sa tâche, pour laisser son dessein fortuit se réaliser. Vincent voit l’enveloppe humaine de son geôlier se dissoudre pour à nouveau révéler sa vraie nature au grand jour. Sa face presque rigide et sans vie tombe… L’inconcevable et lugubre réalité se dévoile à nouveau dans la zone bizarrement éclairée tout autour par les dizaines de séries de phares des camions stationnés ici et là… L’être abject n’a maintenant plus rien de ce que les hommes ont de si particulier, de si unique. Vincent voit maintenant de ses yeux horrifiés, sa masse noire, molle et flasque s’avancer vers lui.
Un corps difforme comme il n’en a jamais vu en ce monde; une peau sombre, lustrée et rugueuse à la fois, qui semble tomber en lambeau, rongée par on aurait dit quelques mystérieuses maladies inconnues des hommes. Corps gélatineux en mouvement, recouvert partout de pustules dégoûtant, certains fissurées qui évacuent un liquide vert putrescent.
Une odeur insoutenable se répand comme une traînée de poudre au abord du précipice et Vincent, qui inspire cette puanteur infecte qui lui rappelle fortement les œufs pourris des bombes puantes de son enfance, croit bien avoir pour une seconde fois l’impression qu’il va perdre conscience, tellement l’air devient vicié et irrespirable. Son cœur veut sortir de ses entrailles.
Vincent reçoit la réprimande comme une tonne de brique.
Un coup de… tentacule l’atteint au visage en le fouettant sans qu’il ne puisse riposter. Il se retrouve par terre, projeté par la force de l’hideux individu. Il secoue la tête pour reprendre ses esprits, se frotte la mâchoire. Un mince filet de sang glisse de sa lèvre inférieure. Il a du mal à respirer. En plus de l’avoir pris en otage, de les avoir menacé, lui et sa famille, et catapulté dans cette horrible et plus qu’inquiétante tragédie vers il ne savait quel atroce dénouement, ce porc nauséabond osait le frapper en plus de le traiter d’imbécile… Ses poings se serrent de même que ses dents endolories par le choc. Il se sent tout à coup défaillir. Trop, c’en était trop ! Malgré la peur et la grande fatigue qui l’oppresse, il se relève, il chancèle, et réplique sur un ton semblable en crachant toute la salive maculée de sang qu’il peut de sa bouche en direction de son agresseur.
— IMBÉCILE TOI-MÊME ET TOUS TES SEMBLABLES MORIBONDS, TOUS AUTANT QUE VOUS ÊTES !! VOUS N’AVEZ MÊME PAS ÉTÉS FOUTUS D’ATTERRIR, SANS ENGLOUTIR LA ROUTE ! IL AURA FALLU QUE VOUS ANÉANTISSIEZ LE SEUL PARCOURS QU’IL Y AVAIT À DES KILOMÈTRES À LA RONDE. CELUI OÙ NOUS ROULIONS EN PLUS !! TOUT DE MÊME, IL FALLAIT LE FAIRE !! ENFIN DE COMPTE, VOUS N’ÊTES TOUS QU’UNE BANDE DE PAUVRES TARÉS, TOI ET TES P’TIT COPAINS !! QU’EST-CE QUE VOUS NOUS VOULEZ À LA FIN ? À QUOI CELA RIME T-IL ? MOI J’AI HONORÉ MA PART DU CONTRAT, JE VOUS AI MENÉ À VOTRE POINT DE RENDEZ-VOUS, NON ? ALORS, LIBÉREZ MA FEMME ET MES ENFANTS COMME VOUS ME L’AVIEZ PROMIS. POUR QUE NOUS PUISSIONS FUIR CETTE IMMONDE TRAGÉDIE !
La face de l’infâme balèze puant se met à remuer dans de multiples convulsions, comme une soupe épaisse en ébullition. Il doit posséder une panoplie de muscles extrêmement souples pour pousser ainsi les variations de son faciès déjà repoussant à son paroxysme. Ses yeux d’un jaune vitreux fixent Vincent et son expression n’a pas un air reposant. L’être bascule de nouveau dans une colère noire.
—ARROGANCE VA COÛTER CHER À TOI, INSOLENT MINUSCULE ! Réplique t-il. Son long bras filiforme tendu, sa courte ventouse prête à faire feu avec son arme.
Entre-temps, un de ses semblables arrive en trombe d’un autre camion. Il avait constaté, d’un peu plus loin, que la situation dégénérait. Il s’interpose entre les deux parties. Lui, avait gardé sa forme humaine.
— PUH-TRIDD !! Toi complètement être cinglé ou quoi? Vouloir toi panique des otages ? Moi permettre de rappeler toi que sans lui dividende à toi disparaître et notre aussi. Avec lui, bon état, par contre, dividende augmenter. Toi faire bien rentrer ça dans crâne de nécrosoïde et modéreration tes humeurs, car moi et équipe pas avoir envies priver nous de aucune partie chargement à cause tes élans guerriers. Si nous perdre maîtrise par faute de toi, nous, faire payer durement à toi conséquences. BIEN COMPRIS !! Allez calmer toi, et reprend forme terrestre. Ces satanés humains ont inclination étranges à crises bizarres quand nous approcher trop eux sous vraie nature à nous. Range-moi artillerie et commençons sortir butin pour descente!!
Le dénommé Puh-Tridd, toujours en colère, veut à nouveau s’élancer vers Vincent, mais l’autre insiste en le retenant par son faux bras humain. En fin de compte il abdique, non sans résistance…
—C’est lui faillir tout faire foireux en nous avoir presque envoyé dans trou !!
—Laisse tranquille lui à la fin ! Toi penser vraiment avoir fait meilleurs si toi conduire bizarre engin alimenté à hydrocarbure? Toi même pas foutu piloter cargo transport vidanges à Dheytritt huss 23. Je rappeler toi faire commerce pas légal ici, pas guerre ! C’est planète que nous avoir découvert, planète à nous, cache milliards de merveilleux individus. Moi et autres laisserons quiconque promettre contre bonne marche de organisation et richesses qu’elle procurer aujourd’hui et dans futur. C’EST DERNIÈRE FOIS LE DIRE À TOI ANDOUILLE !!
Puh-Tridd se relâche et fait demi-tour, tandis que Vincent dégueule sur le sol humide garnis d’herbages estivaux.
— D’accord chef! Bonne raison… Continua l’horrible créature. Moi croire que chargement peser trop lourd sur système. Il été dur de constituer, trouver-toi pas, Pouritt-Urh ? Plus, je sais pas habitué porter ridicule enveloppe humain. Sentir moi bien étroit.
Son supérieur lui réplique d’un ton hargneux.
— Toi dire qu’il été pour nous aussi tous, crétin sombre ! Avec années qui te passe dessus, tu prendre poids et longévité doit… ALLEZ, DÉGAGE !! Préparez descendre nous. Rester boulot encore avant départ. Faudrait pas surtout que soldats terriens, qui volent dans rustiques engins à propergol, repèrent nous en haut dans ciel. Sinon début c’est, notre butin, et notre fin !! Toi pas oublier surtout, demander tout le monde veiller que des prisonniers chacun n’avoir plus effet personnel aucun sur lui. Soin prenez de placer en sûr lieux dans soutes. Je moi-même disposer à retour à Dheytritt huss 23.
Pouritt-Urh, invite un autre de ses semblables à s’occuper du chauffeur. Le faux humain, qui répond au nom de Ghan-Grhenn, arrive armé, mais plus calme que son prédécesseur. Il amène Vincent plus loin, vers un autre camion.
Le prisonnier, regarde vers Puh-Tridd, plus loin et lui crie ces mots en crachant à nouveau par terre, il invective, le cœur plein de rage, sachant maintenant que ces salauds ne tiendraient aucunes de leurs promesses.
— TROU DUC!! TU N’ES QU’UN SALE TROUILLARD SANS HONNEUR, TOI ET TOUTE TON ENGENCE DE MERDE !!
Ghan-Grhenn le frappe lui aussi avec rudesse. Vincent gémit une seconde fois, mais il reste debout ce coup-ci. Le gardien l’entraîne plus loin, hors de la vue de Puh-Tridd. Celui-ci fait mine de n’avoir rien entendu, mais ses organes sonores ultra sensibles ont tous trop bien saisit la force de l’insulte de Vincent. Pour l’instant, Pouritt-Urh est son seul supérieur, après la Commandante. De toutes les planètes qu’il a visitées, il n’a encore jamais vu des faibles triompher. C’est une loi de l’Univers qui semble immuable. Les plus forts exploitent toujours les plus faibles, les plus imaginatifs et débrouillards s’en tirent toujours beaucoup mieux que les lâches et les paresseux et les plus malins finissent toujours par obtenir ce qu’ils convoitent et c’est son cas. Il tourne les talons, si l’on peut dire ainsi, et il regarde son chef d’une drôle de façon. Il rechigne. Personne ne le voit serrer ses mâchoires garnies d’une rangée de longues dents acérées et jaunies.
Par on ne sait quel subterfuge, il reprend sa simili forme humaine pour se diriger derrière le camion de Vincent afin de constater l’état de sa précieuse cargaison. Le conteneur arrière a été quelque peu malmené. Mais la marchandise semble intacte. Il se dit que pour le moment, il vaut mieux faire profil bas. Sa revanche viendra, tôt ou tard. Peut-être même… un combat à tentacule nu avec ce larbin d’humain. Il n’en fera qu’une bouchée. Le temps venu…
Pouritt-Urh, quant à lui, nerveux et toujours mal à l’aise dans ce déguisement qui cache sa vraie physionomie, s’est tourné vers le profond précipice. Il y fait maintenant face. Le trou béant descend d’au moins cent cinquante mètres de profondeur et possède au moins un quart de kilomètre de circonférence. De cet abîme ténébreux s’élève une odeur qui lui est familière. La terre fume encore par la force de l’impact qui s’est produit récemment et des éclats de matières gisent un peu partout autour. Tout au fond, la masse sombre et opaque au trois quart ensevelie, devient peu à peu plus lumineuse. Pouritt-Urh se gratte le sommet du crâne. Sa partenaire d’affaires, — l’acheteuse, l’instigatrice de ce fabuleux périple —, est finalement arrivée à destination. Non sans quelques dégâts, constate t-il, mais avec tout de même une certaine promptitude. Fhey-Tiddhe a du caractère tout comme lui. De l’ambition. Il l’avait remarquée le premier jour, alors qu’il la rencontrait au Ch-Arhr-Rhogn, un resto huppé d’Immhond-hiss, la ville des plaisirs du gratin des affaires sur Dheytritt huss 23. Elle possède même plusieurs autres atouts, ces choses spéciales que les mâles apprécient tant. Il se remémore aussi l’odeur de son parfum avarié, si subtil, qui avait eu, par le passé, tant d’effet sur lui. Son intention, profiter d’elle amplement quand il va la revoir tout à l’heure et qu’ils trinqueront tous deux au succès de ce lucratif prélèvement sur ces luxuriants pâturages terrestres. Un dangereux voyage, certes, mais qui tire déjà à sa fin. Grand bien nous fasse. L’équipe commence à sentir des signes de fatigue… Et il songe encore aux bénéfices qu’il va en retirer et qui en valent le coup… Il sourit de bonheur comme le font les nécrosoïdes en pareille situation. Cependant, à travers son masque humain, l’expression donna un résultat tout à fait déconcertant. Pouritt-Urh s’en retourne à ses occupations. Pour l’instant il a encore des ordres à donner. Ces imbéciles sans envergure aux cerveaux ramollis, peuvent bien encore tout faire rater!

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