Les crépitements de l’âtre remplissaient toute la salle d’un doux son monotone. Le feu se meurt, ce n’est plus que l’ombre du grand brasier qui, des heures durant, avait éclairé la pièce principale de la taverne. Les hommes du village avaient fui l’endroit et le grincement des pas de dance avait laissé place aux feulement d’un chat chassant des souris. L’ivresse était retombé et avait laissé comme seule trace de son passage un paysans ivre mort, la naissance d’un énième enfant lui ayant servi de prétexte pour filer à l’auberge et maintenant, il était là, affalé entre deux tables, couché a même le sol. L’aubergiste réparait les dégâts. Ramassant les éclats de bols brisés, nettoyant les taches d’hydromel sur les tables de chênes, replaçant les chaises tombées après le départs des habitués, titubants sous les effets de l’alcool. Il répétait inlassablement les mêmes gestes. Se baisser pour balayer le sol, s’essuyer les mains, passer un coup de torchon sur le comptoir et éviter le regard de l’homme assit à la table du coin gauche. Theovin le tavernier savait pourtant qu’il n’avait rien à craindre de cet individu. Pour tout dire, ca présence le rassurait un peu dans les longues soirées d’hivers ou pas un des villageois n’osait braver le froid et la nuit pour une gorgée d’hydromel. Enfin le plus souvent il se sentait apaisé… Cela faisait deux ans qu’il payait ça chambre dans la taverne. Sans jamais un retard et jamais une avance non plus. L’argent semblait même ne jamais lui manquer et il réglait toujours ces comptes. Theovin c’était pourtant méfier les premiers jours, quand il était arrivé au-dessous de son enseigne, pied nu comme un vagabond. Mais le triste sourire et la profonde mélancolie que l’on pouvait voir à travers son regard touchèrent le cœur du vieil homme. Il lui ouvrit donc sa porte et grand bien lui en pris. Après qu’un bain lui fit perdre sa crasse, Theovin se retrouva devant une toute autre personne. Le regard du jeune homme était devenu espiègle, son sourire malicieux et son visage, avant recouvert de poussière, avait maintenant un beau teint pâle. Ces cheveux avaient retrouvé une couleur noire ébène. Une de ses mèches retombait presque sur son nez aquilin et ses pommettes saillante le faisait ressembler a un ancien dieu de marbre des ruines de Baim. Il paraissait avoir repris courage et semblait près à repartir dans l’heure. Ce qu’il ne fit pas. La nouvelle qu’un étranger était arrivé dans le bourg s’est répandu comme une trainée de poudre et l’aubergiste a vu sa clientèle féminine doubler en quelque jours. Car ou , l’étranger était beau. Les jeunes filles se battaient pour être sa cavalière durant les bals des moissons et de l’hivers et les dames rougissaient en entendant sa voix. Il se déplaçait chaque soir de tables en tables, changeant de conversation à chacune d’entres elles. Son pas était fluide et léger, le plancher pourtant grinçant ; n’émettait aucun son sous ses pieds. De nombreux garçons essayaient d’imiter cette démarche élégante mais tous finissais inlassablement par faire crier le plancher comme celui de vieille masures.

Le jeune homme était aussi svelte et faisait preuve d’une souplesse étonnante. Nombreux étaient ceux qui l’avaient vu, un soir de fête ou la boisson avait été abondante, monter sur les fines poutres de la charpente et sauter de l’une à l’autre en enchainant des jongleries. Puis, sans jamais perdre l’équilibre, il se laissait retomber sur le sol avec une grâce féline. Theovin était devenu fier d’héberger celui que l’on surnommait « l’étranger ». il était même venu à l’apprécier. Au début, cela avait été plus difficile. L’aubergiste voyait son client s’absenter pendant de longues heurs de marches, dans les bois qui bordent la montagne, d’où il revenait éreinté. C’était à la fin de ces « marches » qu’il rapportait les deux écus d’or pour la location mensuelle d’une chambre. Le tavernier avait eu peur de lui. Il lui semblait pouvoir apercevoir une autre personnalité derrière celle de l’excentrique égaré. Une qui serait beaucoup plus sombre. Mais au bout de ces deux années, Theovin n’avait remarqué que l’augmentation assez conséquente de son salaire. Il s’asseyait donc souvent à sa table le soir venu et il passait de longues heures a discuter sur la journée, le village ou les jolies filles. On pouvait surtout entendre parler de celle du meunier avec ses cheveux couleurs blés et son tendre sourire. Le jeune homme attirait aussi toujours un ou deux curieux de temps en temps. Et pour cause ! au bout de deux longues années, la seule chose que l’on savait de lui était son nom : Galiagne. Tout le monde avait essayé d’en savoir plus. Chacun à sa manière tentait de percer l’aura de mystère qui flottait autour de lui mais à chaque fois, celui-ci riait et répondait par une autre question.

Mais pas ce soir là. Galiagne ne riait pas. Ce soir là le jeune homme avait le visage fermé, les yeux dans le vide, il contemplait les flammes mourantes de l’âtre. La neige tombait dehors et avait recouvert le perron d’un épais manteau blanc. Ce village de montagne aux marches de l’empire avait l’habitude de ces hivers rigoureux, ou des pieds de neige pouvaient tomber en quelques jours sans jamais laisser le soleil percer. C’était un région isolée et paisible depuis plusieurs années. Malgré la guerre qui avait opposée l’empire au royaume d’Arklan, dix ans plus tôt à cause de l’assassinat du vieil empereur, le commerce avait recommencé dans la. Le village avait pourtant beaucoup souffert. La frontière entre les deux belligérants n’était qu’a quelques jours de cheval derrière les montagnes et les raides des deux armées pour se réapprovisionner avait été fréquent. La guerre est maintenant terminée depuis la sanglante bataille d’El Afrem ou les troupes impériales ont écrasé la chevalerie d’Arklan. Le royaume vaincu paie dorénavant un lourd tribu à l’empire, et les couleurs de l’empereur Malkin II flottent à Septinia, la deuxième vile du royaume d’Arklan, exigé en dédommagement par les principaux généraux vainqueurs. Le bourg s’était alors relevé de ses cendres et les marchants avaient retrouvé petit a petit le chemin de ce petit village où ils échangeaient les denrées précieuse des villes contre le peaux des bêtes de la région. Une statue avait était érigé au centre du village commémorant la bataille décisive comme l’avait mandé l’empereur en personne et aucun n’osait contredire son autorité. il n’était donc pas rares de voir des étrangers en quête de fortune ou tout simplement d’une bonne affaire s’arrêter à l’auberge pour passer la nuit. Mais ce soir là, quand Galiagne releva la tête sur les trois personnes qui avaient pénétré dans son antre, il sut en un seul regard qu’il n’avait pas a faire a de simples marchants. La porte avait grincée et des pas brisèrent le silence qui c’était peu à peu immiscé dans la pièce. L’homme qui était entré dans la pièce tapait des pieds au sol pour enlever la neige tout en retenant la lourde porte à ses compères qui ne tardèrent pas à rentrer. Galiagne baissa le regard et fit semblant de somnoler, pourtant son esprit lui était bien réveillé. Il savait que le nouveau venu ne l’avait pas encore vu. Il prenait toujours la table la plus éloigné de l’âtre, où l’ombre pouvait cacher ces traits. Mais si lui était caché dans l’ombre, cela ne le gêner pas pour voir tout ce qu’il se passait dans la pièce. Les habitudes ont la vie dures se dit il. De l’ombre qui l’entourait, il aperçut directement l’épée batarde cachée sous la cape de l’inconnu. Une sueur froide coula le long de son dos et il se tendit comme un arc. Il savait que pour manier une telle arme il fallait être un épéiste doué, la plupart des bretteurs préféraient porter des épées plus courtes et plus légères car seul un entrainement vigoureux et quotidien permettait de savoir se battre avec une si longue épée. Pourtant, même après cette constatation, rien dans l’attitude de Galiagne ne changea et si on l’avait regardé à cet instant on l’aurait pris pour un ivre en train de rêvasser. Deux autres personnes entrèrent à la suite de l’homme encapuchonné. La première silhouette était maigre, une longue tresse de cheveux gris lui descendait sur le torse et il semblait à peine tenir debout. Il s’appuyait sur un grand bâton décoré avec de petites gravures qui semblaient l’œuvre d’un enfant. La seconde ombre était élancée, c’est elle qui s’approcha du tavernier avec une démarche sure, relevant la tête avec fierté et noblesse.
« Deux chambres aubergiste, dit l’ombre d’une voix qui ne pouvait être contredite, mes compagnons et moi-même aurions besoins aussi d’un repas chaud et qu’un bain soit préparé dans ma chambre. »
Seule une femme pouvait posséder un tel timbre de voix et Galiagne n’en fut que plus intrigué par le petit groupe. Le bretteur et le vieillard semblait l’écouter alors que tout deux semblaient bien plus vieux que la jeune femme. Il était assez rares de voir une femme en dehors de sa maison dans l’empire, leurs droit ayant nettement régressés depuis l’avènement du nouvel empereur, très peu osaient sortir de chez elles et affronter la réalité. Pourtant tout dans l’attitude de celle-ci reflétait son autorité et même un aveugle aurait pu voir que c’était elle qui commandait le groupe. Celui-ci se dirigea vers l’une des tables à l’opposé de celle de Galiagne , gardant leurs capuches et leurs longues capes, baissant leurs visages de sorte que l’on ne puisse distinguer leurs traits. Le jeune homme était piqué de curiosité. Qui était ses hommes et cette femme aux allures nobles ? Que faisaient-ils dans une région si reculé de l’empire ? La curiosité est un défaut qu’il n’avait pas réussi à résoudre même après vingt-deux ans d’ennuis que sa vie lui avait fournis à cause de ce tare. Il s’était retrouvé dans des situation très embarrassantes et c’est aussi un peu à cause de cela qu’il se retrouvait ici, terré dans les montagnes… Mais il se laissa encore emporté par sa jeunesse. Il se leva en titubant et marcha d’un pas chancelant vers le groupe qui venait de s’installer. Il avait pris un broc d’hydromel et souriais de toutes ses dents pour parfaire l’illusion. L’ivrogne et la gente dame, un de ses meilleurs rôles dans le théâtre quand il était encore dans la cité de Vanish, il y a quelques années. Il avait maintenant l’air d’un parfait fêtard qui aurait bien abusé de la boisson. Il se dirigeait dans pas lourd vers les nouveaux venu quand la femme l’aperçu enfin. Elle le regarda et glissa un mot à l’homme robuste assit à sa gauche avant de détourner les yeux et d’ignorer complètement Galiagne. Elle se replongea dans une discussion à voix basse avec le vieil homme à sa droite. Tandis que Galiagne s’approchait d’eux, toujours en chancelant, le guerrier c’était levé et posa la main sur la poignée de son épée :
« Ne fais plus un pas. Retourne t’assoir et ne fais plus de bruits. »
L’ordre avait fusé, impétueux, et comme pour appuyer ses propos, le bretteur avait sorti d’un pouce l’épée de son fourreau, produisant un tintement glacial. Galiagne, tout en continuant à sourire, s’approcha encore et tendis les bras, l’étreignant dans une parodie d’une retrouvaille amicale. Surpris, le soldat mis quelques secondes à réagir avant de repousser violement le faux ivrogne. Celui-ci alla s’écraser sur une table à côté. Il se releva et se retourna l’entement. L’assaillant le toisait avec un regard froid. Il le dépassait bien d’une tête et ses poings étaient crispés, près a en découdre.
« Je lève ma coupe… en l’honneur de sa royale altesse.. Non non, excusez moi.. sa magnificence.. Malkin II ! Bégaya Galiagne, toujours excellent dans son rôle. Le publique l’aurait ovationné pour ça à une époque se dit il le sourire au lèvre.
– Dégage. Répondit son auditeur d’une voix glaciale.
– Vos plaisir… sont des ordres… »
Il était déçu au fond que son travail ne soit pas reconnu à sa juste valeur, mais il avait fait ce qu’il y avait à faire. Il continua à tituber vers la sortie, toujours en titubant et en zigzagant entre les tables. Il ouvrit violement la porte et la claqua derrière lui, sans un mot à Theovin qui le regardait avec de grands yeux ébahies. Une fois dehors, il cessa tout de suite le jeu son jeu d’acteur et sortit de sa manche la bourse qu’il avait subtilisé durant l’accolade. Il y a des habitude que l’on ne perd pas, se dit il, tout en soupesant l’objet dans sa main. Maintenant il fallait soutirer toutes les informations possibles de cette bourse puis la redonner discrètement à son propriétaire, il ne voulait pas d’ennuis, il ne voulait même pas que l’on remarque la disparition d’une seule piécette. Il faisait un suspect de choix et il n’aimait pas qu’on fouille dans ses affaires. Il ouvrit donc délicatement la poche de cuir et renversa quelques écus dans sa paume. S’approchant de la torche qui brulait devant la porte, il se pencha sur les pièces et les regarda plus attentivement. Elles étaient majoritairement en or, ce qui semblait aller dans le sens de l’hypothèse de Galiagne comme quoi ces individus seraient de sangs nobles. Il devait y avoir une petite fortune dans ce sac se rendit-il compte, assez pour acheter toute l’auberge presque. Une pièce d’or est ce que gagné en moyenne un paysans de l’empire et il devait en avoir une dizaine rien que dans sa paume. Les pièces étaient frappées des sceaux des différentes villes du pays, mais celles marquées du dragon étaient majoritaires. Ce sceau était celui de l’empereur et de sa capital, Malkinirusafeme. Il conclut que les voyageurs venait de la métropole ou de ses alentours. Il allait se résigner à ranger la bourse et à la remettre discrètement dans un de leur sac quand un objet attira son regard. C’était une bague, simple, en argent. Le voleur, curieux, la regarda de plus près. Une simple étoile à cinq branche était gravé. Galiagne eu un instant de stupeur, son cœur rata un battement. Il releva lentement la tête et vit des torches au loin, sur la route qui mène au village. Une vingtaine d’hommes se dirigeaient vers eux, à environ une demi-heure de marche, la neige devaient bien les ralentir.
Galiagne reprit ses esprit. Respira un grand coup et essaya de calmer les battements de son cœur. Une étrange sensation l’envahie, comme si une vielle amie revenait a l’improviste après des années d’absence. Il était temps se dit-il, voila déjà deux qu’il essayait de l’éviter par tout les moyens, se cachant et attendant que les temps changes. Mais a l’aube de ses trente ans, il était peut être trop jeune pour laisser tomber. L’aventure venait à nouveau frapper à sa porte, et il était près à retrouver sa gloire.
Il renta dans la taverne comme un diable, laissant de côté son personnage d’ivrogne. Surpris, les inconnus se sont levés et ont dégainé leurs armes d’un seul mouvement. Apres un instant de stupeur, la femme rangea sa longue dague en apercevant le jeune homme. D’un geste fluide, elle la replaça dans sa botte. Cependant, ces deux autres compères ne semblaient pas vouloir ranger leurs armes qu’ils pointaient toujours vers lui. Galiagne fut étonné de voir l’homme qu’il croyait faible et malade tenir sur ses deux jambes, tendre son long bâton dans sa direction en murmurant d’une voix caverneuse. Ses yeux était vitreux et il entonnait une mélodie dont la langue semblait être perdu. Le jeune homme réévalua tout le groupe, impressionner par leurs vitesses de réactions et leurs aisance à manier leur armes. Le vieil homme s’arrêta subitement en voyant que le fauteur de trouble n’était que l’ivrogne qui s’était comme par enchantement remis sur pieds. L’air des montagnes devait avoir quelque chose de magique se dit-il.
« Que veux tu ? Et par ma barbe qui es-tu ? A quel manège joues tu petit… dit-il d’une voix menaçante.
– On n’a pas le temps. Répondit vivement l’intéressé. Des hommes descendent des montagnes et ils sont nombreux. Je suppose qu’ils viennent pour vous à cause de ‘’ça’’ »
Il avait parlé comme il le faisait cinq ans plus tôt aux hommes dont il avait la charge. Il était un meneur d’homme dans l’âme et il jeta, tout en parlant, la bourse sur la table. Il y eu un profond silence dans toute la salle, le temps c’était arrêté et le groupe fixait intensément Galiagne. Soudain, après ce qui semblait une éternité, la femme pris la parole et sa voix brisa le silence :
« Merci. Qui que tu sois. Ces hommes doivent être effectivement à notre recherche. Nous avions cru les avoir définitivement semés mais nous avons été trop confiants. Elle se tourna vers la brute qui avait repoussé Galiagne un peu plus tôt. Kyrian, refais nos sacs, nous partons immédiatement.
– Mauvaise idée, ces hommes connaissent certainement mieux la région que vous et vous êtes épuisé, vous ne tiendrez pas deux heures. Vous vous cacherez ici, pendant que je les occuperai.
– Comment pouvons-nous faire confiance à un étranger, qui plus est à un voleur. Rétorqua le dénommé Kyrian. Attendre ici serait un grosse erreur et…
– Et sortir serai vous jeter dans la gueule du loup ! la montagne est dangereuse, surtout de nuit. Vous auriez tôt fait de tomber dans une crevasse et vous n’avez aucune idée des bêtes qui peuvent roder dans la région.
– Et que nous proposes-tu ? La taverne est petite et ils auront rapidement fouillé de fond en comble cette bâtisse.
La jeune femme paraissait de plus en plus inquiète, son assurance venait d’en prendre un coup après avoir été si négligente et ainsi permis à leurs poursuivant de se rapprocher considérablement de son groupe.
– Les villageois ont pris l’habitude de cacher certaines chose depuis que les raides des différentes armées ont mis la région à feu et à sang dix ans plus tôt. Theovin !
Le tavernier qui avait écouté la conversation derrière son comptoir releva la tête et foudroya Galiagne du regard.
– Je ne veux pas d’ennui petit…
– Et tu n’en aura pas. Montre à nos invités ton petit secret et je te promets que tu seras entièrement dédommagé.
L’aubergiste soupira, puis il se retourna vers ses ustensiles de cuisine derrière lui et tira un grand coup sur une louche pendue à un crochet. Un faux mur coulissa à côté de lui, laissant apparaître un petit escalier qui plongeait dans les profondeurs, encore plus bas que les fondations.
– Attendez que l’on vienne vous chercher et ne faites pas de bruit. Ordonna Theovin en poussant les trois inconnus vers le passage secret.
Le tavernier referma le battant derrière eux, les laissant descendre dans le noir. Il se retourna vers son client et l’interrogea du regard.
– Moins tu en sais mieux ça vaudra. Maintenant préparons nous à l’arrivée de tes nouveaux clients. »

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