La vie battait son plein parmi les étudiants parfois peu studieux de l’université de sciences de Paris qu’avait choisie Liv Hébras. Demoiselle à la carrure élancée, guère très grande et aux longs cheveux bruns tressés, aux reflets tirant sur l’acajou. Ses yeux émeraude détaillaient le plan du campus à la recherche du bâtiment D, lieu de son premier cours de la journée. Le soleil s’étirait et, dans toute sa splendeur offrait encore des jours d’accalmie en ce début de mois d’octobre. L’été de la jeune femme avait été assez chaotique et elle s’acclimatait difficilement à sa nouvelle vie. Encore lycéenne il y a une paire de mois, c’est auprès de sa famille d’adoption, les Aubray, qu’elle avait terminé l’année dans un état plutôt déplorable. En février, sa compagne de route, celle qui lui contait chaque jour des histoires inédites et qui l’encourageait dans chacun de ses choix, s’en était allée. Sa mère était décédée d’un mal que les médecins n’avaient su définir puisqu’elle n’avait jamais voulu se faire soigner, ni ausculter. Adepte des médecines douces, sa fille n’avait pas beaucoup fréquenté les établissements hospitaliers également. Et si l’adolescente avait supplié sa génitrice de se faire examiner, elle avait assisté à son déclin sans pouvoir agir plus. Peu de visiteurs avaient fleuri sa tombe, sauf ce groupe qui se tenait en retrait le jour des obsèques et qui pour seul indice laissa une étrange carte, accompagnant les fleurs. Celui-ci disait « que la fatalité n’entrave pas ta vie, que ton esprit fleurisse dans chaque étoile et soit le témoin permanent de l’univers que tu contemples. » Les mots intriguèrent Liv mais le chagrin l’emporta sur la curiosité.

Son été s’était donc résumé à des banalités : les glaces qu’elle vendait pour assurer ses études, les dîners silencieux au cours desquels les Aubray tentaient de lui extirper quelques paroles et les sorties incessantes de celle dont elle partageait la chambre, leur fille. Ils avaient tous fait preuve d’une patiente et d’une gentillesse extrême mais cela ne la ramènerait pas, elle ne reviendrait pas. Ils avaient pris soin de Liv comme de leur propre enfant et elle les en remerciait mais depuis qu’elle avait emménagé dans la résidence universitaire jouxtant sa faculté, la jeune femme respirait enfin. Le chagrin n’a pas entaché sa vitalité mais il a transformé son humeur, la rendant revêche et taciturne, plus que d’ordinaire. Pestant silencieusement contre les constructeurs de ce labyrinthe version 2018, les légendes urbaines devaient avoir un fondement. Combien de disparitions inquiétantes à la suite d’un plan trompeur ? Liv secoua la tête et prit la direction qui lui paraissait la bonne pour intégrer, plusieurs minutes plus tard, l’auditoire d’un amphithéâtre déjà bondé.

Posant son sac au milieu de la cour aux lions, la jeune diplômée s’assit et sortit ses affaires. Il était question de reptiles, des liens de parenté d’obscures créatures et autres joyeusetés. Pendant que l’assemblée étudiante soupirait face à la lourdeur du cours, elle en profita pour consulter ses mails, quelques entreprises avaient sélectionné son curriculum vitae et lui proposaient des entretiens. Il lui restait des économies et sa bourse couvrait ses dépenses mais il allait de sa santé mentale qu’elle ne reste pas seule à étudier et ruminer les weekends et soirs. Se perdre dans les soirées aurait pu le faire mais elle revoyait déjà sa mère la sermonner quant à l’importance d’avoir un avenir et la chance qu’elle puisse en profiter.

– Je peux t’emprunter tes notes sur le début du cours ? me lança une jolie blonde, en train de mâchouiller son stylo comme si sa vie en dépendait. Liv ne l’avait point vu entrer et alors qu’elle répondit par l’affirmative d’un hochement de tête, son interlocutrice prit place à ses côtés.
– Moi c’est Sam, ajouta-t-elle en jetant un sourire par-dessus son épaule.
– Liv, répondit l’intéressée sans plus ajouter grand-chose. La causette n’avait jamais été son point fort, plutôt méfiante de prime abord mais confiante lorsque les langues se délient. Je m’appelle Liv Hébras, crut-elle bon d’ajouter pour se montrer avenante.

Le cours défila et les deux échangèrent sur tout et rien. Sam croquait la vie à pleines dents et espérait devenir la nouvelle Marie Curie, Liv était inscrite en sciences car ses notes étaient convenables dans cette matière et qu’il n’y avait rien qui la passionnait réellement. S’étant toujours sentie en marge de cette société imparfaite, sa nouvelle amie réussit cependant à la convaincre quant à ses plans pour la soirée, cette fête était celle où les deux femmes devaient se trouver, c’était sans équivoque.

Les cours défilèrent et la journée se déroula sans anicroche si ce n’est le manque de saveur de son repas à moitié froid du midi. Il était dix-sept heures trente lorsque Liv quitta le campus non sans avoir échangé son numéro avec Sam qui la harcèlerait probablement jusqu’au soir.

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