Lola

Le soleil, l’aube rougeâtre, filtrait à travers les cent doigts d’argent d’une main métallique. Des étoiles lointaines à ma fenêtre boisée, ses rayons chutaient avec une douceur réconfortante. J’avais pris l’habitude de m’éveiller avec ces rayons de lumière pourpre qui frappaient mon front seul, dépassant de la couette.
Sempiternelle routine, elle m’apportait l’illusion d’un quelconque réconfort divin.
Une fois levé, je scrutais la ville, douce bête endormie, en pensant à ces distractions néfastes et éphémères. Il serait plus juste de dire que ces distractions venaient à moi contre mon gré.
Il y avait cette statue, trônant sur la place grise et laide, au bas de ma fenêtre.
Je la surnommait Lola, j’ignore pourquoi. Sans doute la simplicité, la sensualité de ce prénom évoquaient au mieux l’image voluptueuse de cette statue.
Lola était une guerrière, incarnation d’Athéna ou d’Artémis, sa lance pointée vers le ciel dardait avec insolence les constellations des plus anciens guerriers mythologiques, son bouclier, léger, ne faisait qu’un avec son bras faussement fragile.
Elle était pour moi telle une muse, dont la parole transpirait de la pierre. Souvent je descendais lui parler mais sa fierté l’empêchait de me répondre. Divine et muette.
Les gens riaient de moi sans prendre la peine de se cacher, je leur retournait ces rires avec une violence qui les faisaient fuir, marionnettes aux bras incontrôlables.
Un jour je discutais avec Lola à propos de l’ombre immense qui était enchaînée à son socle, quand un homme, chapeau cachant son regard et trench-coat usé, vint m’aborder.
« Magnifique n’est-ce pas… »
« Bien plus, bien plus… Divine » dis-je.
« A vos yeux sans doute, moi j’y vois le reflet de son sculpteur. »
« Vous connaissez le père de Lola? » demandais-je.
« Sa mère plutôt, ma défunte femme… Lola, en voila un étrange prénom pour une statue, pourquoi l’appelez vous ainsi? »
« Je l’ignore, mais j’aime ce prénom » répondis-je
« Etrange… » chuchota l’homme. 
« Bien, je vais vous laisser jeune homme. Au revoir. » me fit-il.
« Au revoir ».

Plus jamais je ne revit cet homme, mais qu’importe, je préférais discuter avec Lola plutôt qu’avec mes semblables.
Nous ne faisons pas assez attention aux statues, elles sont pourtant une source de fascination intarissable au milieu d’une ville rongée par le marasme et la déchéance. Lola comme ses sœurs incarnait la fierté du genre humain, elles sont cette image déformée, béatifiée de l’homme laid et avachi.
Les jours passaient identiques, sous le même rituel incessant. Ma réputation de fou, déglingué, ou tout autre terme inapte à me décrire réellement, grandissait, bulle proche de l’implosion. Maintenant les enfants venaient se moquer de moi, me jeter des pierres, me cracher dessus… Je ne voulais pas les laisser approcher de Lola car un enfant ne sait pas grandir sans briser ce qu’il tient entre ses mains. Ils prenaient des photographies et riaient en chœur, ils ne comprendront jamais le lien unique et spirituel qui m’unissait à Lola, tous autant qu’ils sont aveuglés et débiles, se moquant de l’extravagance que procure l’amour. Je souhaitais en ces moments qu’ils meurent ces rebus dégénérés, ces bâtards impurs. J’en parlais à Lola, elle restait stoïque, son cœur de pierre passait au-delà de ces préoccupations de mortels.

Seulement un matin alors que je descendais lui dire bonjour, ma tête faillit heurter le sol, mon cœur était suspendu au dessus d’un vide insondable… Jamais je n’oublierais ce spectacle.
Lola était barbouillée de sang, sa lance luisait de rouge et à son socle gisaient les cadavres des enfants tant haïssables, amas vulgaire de membres.
Devais-je être heureux ou terrifié?

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