Ce fut à ce moment que les choses devinrent de plus en plus floues pour le journaliste.
Un léger son, ressemblant à une alarme sortit Dawson de l’état horrible dans lequel l’avait plongé sa découverte sur la tapisserie. Une chose inexplicable suivit ce bruit, la disparition de toutes les personnes dans la salle à l’exception d’une seule: l’homme derrière le bar. Néanmoins, Dawson ne semblait pas réagir à cela, la chose l’ayant poussé à sortir de son appartement et qui l’avait conduit jusqu’ici paraissait altérer la vision du journaliste, un filtre devant ses yeux semblait l’empêcher de réussir à différencier le mal du bien. Cette chose avait tout préparé, le piège se refermait peu à peu sur Dawson, sans aucun espoir pour lui de s’en soustraire.
L’esprit vide, Dawson se retourna vers le barman comme s’il venait d’oublier la tapisserie sur le mur:
« Que s’est-il passé? Où sont passés les hommes assis à ces tables? Questionna Dawson.
– Après tout, tu as entendu l’appel, je n’ai donc plus aucune raison de te cacher la vérité.
– Quelle est donc cette vérité? Demanda-t-il.
– Tu es ici, dans un repère, notre repère. Je viens d’un monde tout autre que celui des Hommes et ce que tu viens d’entendre ordonnait aux miens de revenir dans notre monde. Chez moi, la magie coule dans les veines de chaque individu.
– Tu es donc un magicien, rétorqua froidement Dawson, comme si tout cela lui était familier. »
Un éclat de rire se fit entendre et résonna dans la salle. Dawson fut soulevé dans les airs par une force invisible qu’il ne pouvait ni affronter ni repousser. Après quelques instants passés dans les airs, Dawson retourna à terre grâce à la même force ayant lâché prise. Puis, le barman, toujours derrière le comptoir, expliqua:
« Un magicien joue de la stupidité de son public, moi, je suis un sorcier. J’altère la réalité et la façonne à ma guise. Mon peuple est à l’origine de toute chose, créateur des astres et des galaxies. »
À ces mots, quelque chose s’anima dans l’esprit de Dawson, comme si une lueur de vie venait d’échapper à ce qui l’empêchait d’éprouver des sentiments:
« Votre monde, je veux le voir, dit Dawson d’une voix remplie de curiosité, emmenez-moi!
– Je peux vous emmener dans mon monde mais, êtes-vous sûr de vouloir partir? Laisser derrière vous toute votre vie passée ici. »
Dawson était comme hypnotisé par les paroles de l’homme. Il hésita un court instant et répondit d’une voix vidée de toute vie:
« Oui. »
La chose avait repris le dessus.
L’homme regarda sous son bar, en sortit un petit manuscrit et une petite lame en fer qu’il tendit au journaliste. Dawson parut surpris lorsqu’il vit la lame:
« Ce n’est pas un jeu. Il me faut une trace unique vous appartenant, ne pouvant pas être confondue avec celle de quelqu’un d’autre. Seul votre sang respecte cette condition. » Lança le barman en posant le manuscrit sur le comptoir, en face de Dawson.
Après cela le barman recula. Dawson fit une petite entaille sur la paume de sa main droite, laissant couler sur le manuscrit quelques gouttes de sang.
Mais rien ne se passait jusqu’à ce qu’un horrible ricanement provenant de l’hôte du bar se fasse entendre. Le journaliste releva la tête et vit les pupilles du barman devenir, peu à peu, deux fentes noires. Puis, le visage de celui-ci se fendre en deux par un sourire carnassier laissant paraître les mêmes crocs que la créature qu’il avait vue sur l’illustration. Dawson reprit tout à coup ses esprits et hurla autant que ses poumons lui permirent de hurler, ne pouvant plus tenir sur ses jambes, il s’écroula. L’homme sortit de derrière le comptoir, s’approchant à pas lents de Dawson, lui, essayant de ramper vers la sortie.
« Dans les mythes et les légendes, commença le barman, il est dit que quiconque croisant le regard de la Bête, voit par les yeux du Démon pendant quelques instants. Cette vision était si terrifiante que tous moururent peu de temps après.
– Je vous en prie, laissez-moi, implora Dawson. »
L’homme continua sans prêter attention aux paroles du journaliste:
« Il est également dit que le Démon vit la naissance du monde mais était destiné à le voir mourir. Voila ce que disent les récits sur la Créature. Certains la nomment «Diable», d’autres pensent qu’elle représente l’enfer à elle seule. Mais le nom de la Bête n’a que peu d’intérêt. Monsieur, voulez-vous savoir ce qui est réellement important à savoir à propos de la Créature? »
Dawson ne sut que répondre, il était bloqué, et il n’était pas le seul. Le temps, lui aussi, semblait s’arrêter lorsque le barman parlait.
« Eh bien, poursuivit le barman, la réponse est simple, il est important de savoir ce que recherche la Créature, quel est son objectif? À votre avis, que recherche un monstre âgé de plusieurs milliards d’années? Ce même monstre n’ayant jamais vu que les cadavres de ses victimes déchiquetés par ses crocs acérés? La réponse est à nouveau évidente: la mort. Le monstre veut mourir, il veut pouvoir trouver le repos. Malheureusement, il ne sait que trop bien qu’il est impossible de tromper la mort. Le seul moyen pour lui de pouvoir mourir est de céder son fardeau. »
Le barman marqua une pause, cette dernière phrase parut raviver en lui d’horribles remords.
« Heureusement, un jeune homme parvint à la Bête. Mais cet homme n’aurait pas dû faire confiance à la Bête, car celle-ci est vile, perfide et dépourvue de toute pitié. La Créature déforma la réalité et força l’homme à pactiser avec elle. Ce pacte lui promettait les plus belles choses auxquelles il pouvait rêver. Malheureusement pour l’homme, la vérité était tout autre. En signant le pacte, l’homme accordait à la Bête le repos éternel, mais devait abandonner son humanité pour devenir lui-même la Créature. C’est ainsi que l’histoire du Monstre se perpétue à travers le temps et les époques. »
Des larmes coulèrent, interminables, des yeux du barman avant de dire ces quelques derniers mots:
« Le Mal est immortel. »
Dawson hurla et implora de l’aide mais il le savait, il était trop tard, son destin était à jamais scellé.
Prêtez attention aux bruits, vous entendrez sans doute les hurlements infernaux des hommes devenus monstres. Puis, si vous écoutez encore, les cris de douleur du monstre, éternellement torturé par les remords.

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