Le soleil se levait encore une fois sur la plaine blanche. Une fois de plus, comme chaque jour depuis deux semaines. Le convoi serpentait dans une dépression qui avait dû contenir une rivière, quelques millénaires auparavant. Pas âme qui vive à plusieurs kilomètres à la ronde. Une lumière blanche à vous rôtir les yeux dans les orbites, et l’occultation des parois n’y faisait pas grand chose. Kestrel était assis à l’avant, les pieds posés sur tableau de bord, où il avait passé le voyage à bouffer des dossiers. Beaucoup de dossiers, parce qu’apparemment les types pour qui ils bossaient tous avaient réussi à ponctionner les archives vieilles de 40 ans d’un paquet de services de renseignement gouvernementaux. Kestrel hallucinait, il y avait même des dossiers du SSE, son ancien employeur. Des trucs qui ne devaient pas sortir du quartier général. Il avait un peu sous-estimé ce dans quoi il se lançait.

Une notification et une voix vinrent couvrir la musique.

« — Quand est-ce qu’on arrive ? »

Turkey, au volant, éclata de rire en entendant Iridia se plaindre dans le communicateur.

« — Du calme, ma grande, ce sont des véhicules de recherche, pas des voiture de course.

— Si les américains se traînaient à ce point, normal qu’ils se soient fait rétamer en Iran.

— Comparé à des turbines à gaz, c’est clair que les moteurs électriques manquent de punch. Mais ne t’en fait pas, Hermès dit qu’on y sera demain matin, juste à l’heure du petit déjeuner. »

Une ceinture d’astéroïde, c’était joli la nuit, mais ça avait quelques menus inconvénients. En plus d’emmerder tous les astronomes de la planète, Kleiss-Sedan avait nettoyé l’orbite de tous les satellites, privant du même coup l’humanité de télécommunications aériennes, de renseignement et de géolocalisation. Il fallait s’en remettre à des logiciels rudimentaires, basés sur de vieilles cartes pré-impact. Et de temps en temps, des ballons à haute altitude, pas trop près des points de chute. Le Moyen-Âge, pour qui avait connu le GPS.

« — J’en ai ma claque. Je pue la transpiration et la crème solaire. Ça fait deux semaines que j’ai pas pris une douche. Et bordel je hais ce foutu désert, c’est pas mon truc le désert ! Je suis une citadine moi ! Mais qu’est-ce qui m’a pris…

— Dis-lui de se taire. »

Ce grondement de tonnerre, c’était la voix de Shadow sur sa couchette, là où il essayait de dormir après avoir conduit toute la nuit. Kestrel n’entendait rien au pilotage, ce qui obligeait ses deux compagnons à se relayer. Heureusement que les véhicules avançaient tous seuls, il ne fallait que quelques corrections de trajectoire toutes les heures. Le cyborg taciturne n’appréciait pas plus l’allure d’escargot que le convoi s’imposait, mais il savait savourer le répit entre les batailles. C’est pour ça qu’on l’avait sorti du programme de retraite pour combattants augmentés de l’armée australienne. Une intéressante histoire de cargo de patates russe et d’un passage de la frontière égyptienne par les tunnels palestiniens. La routine.

« — C’est une gamine, Shad. Et en plus, elle a un réacteur d’avion à la place du coeur. Elle tient pas en place.

— C’est quoi cette histoire de réacteur ? Elle a une prothèse ? » demanda Kestrel. Cette fille semblait pourtant en parfaite santé.

« — Nan, c’est plus compliqué que ça. Tout son métabolisme est surchargé. Un truc en rapport avec des nanomachines, j’ai pas tout compris. C’est pas trop mon domaine. Mais mec, quand tu la vois bouger… C’est pas pareil. Personne ne bouge comme ça. T’sais, j’ai vu des types qui tournaient aux boosters d’adré’, aux amphet’. Vraiment rapide, tu vois. Mais elle, c’est différent. C’est comme de la poésie. Comme si c’était lent, mais en face t’es pris dans la glace et tu peux pas bouger, donc tu te fais avoir à chaque fois. C’est pas que du combat, tu peux appeler ça de la grâce. »

Il, ou elle, question toujours sans réponse malgré les heures passées confinés dans l’habitacle des véhicules, posa les yeux dans le vide avec un sourire.

« — Si je pouvais déjà, ça c’est un truc qui me ferait bander, je te le dis. »

Cette remarque fit complètement sortir Kestrel des fiches dans lesquels il s’embourbait. Pas tant parce qu’elle était incongrue, mais surtout parce que c’était la première fois que Turkey laissait échapper une remarque personnelle. Son truc c’était plutôt la discrétion d’ordinaire, planquée sous un barrage de répliques anodines.

« — Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Rien. Laisse tomber. Truc perso, vieille histoire. J’te raconterai à l’occasion. Bon, on roule encore un peu et on fait une pause. J’en ai marre de rester assise.

— Journée en L, Turkey ? »

La tête de Shadow qui se relevait sur sa couchette à l’arrière. Dans l’ombre de la cabine, ses yeux avaient pris une teinte écarlate. Kestrel pensait qu’ils étaient naturels, mais c’était des augmentations pour le combat nocturne. Les pupilles auraient eu besoin d’une bonne révision.

« — Ouais, en L c’est bien. Bon, on devrait pas tarder à atteindre les cailloux. On aura une meilleure assise pour les chenilles. On ira un peu plus vite. S’agirait pas d’être en retard sur le planning. »

Turkey fourra sa main derrière son siège pour en sortir une gourde isotherme. Elle la tendit à Kestrel.

« — Ça te dérangerait d’aller la remplir ?

— Aucun problème. »

À l’arrière du véhicule, on avait installé un gros ballon d’eau relié au système de recyclage/récupération. Un système développé par la NASA pour la station spatiale internationale, et qui fonctionnait d’autant mieux sur Terre, là où on pouvait toujours trouver un peu de rosée le matin. En traversant le couloir, Shadow lui attrapa le bras et pointa du regard la couchette en face de lui. Kestrel comprit qu’il avait un truc à lui dire. Assis face à face, Turkey pu voir que le cyborg avait eu une nuit courte. Il paraissait peser quatre tonnes sous ses prothèses en ferraille, qui mettaient du temps à se réveiller après leur auto-diagnostic quotidien.

« — Un problème ?

— Non. Mais tu dois comprendre quelque chose. Rapport à Turkey. Elle aime pas en parler, mais ça la dérange pas que j’en parle. »

Kestrel se tourna vers l’intéressée qui n’avait pas bougé de la vitre. Ouais, pas plus dérangée que ça, clair.

« — Ouais, et donc ?

— On va faire simple : il y a les journées en L, il y a les journées en M. Tu t’adaptes. Un jour elle est comme ci, l’autre il est comme ça. Tu suis, c’est tout. »

Qu’est-ce que c’était que cette histoire ? Kestrel n’en comprenait pas une miette, mais il y avait sur le visage d’acier de Shadow un air dur, limite méchant, un air du genre à dissuader de poser des questions. Un air qui disait qu’il n’était pas le bienvenu pour s’en mêler.

« — Euh ouais. Okay. Faisons ça, comme tu veux mon pote. C’est vous qui voyez.

— Bien. »

Sans rien ajouter, Shadow se recoucha et lui tourna le dos. La leçon était terminée, et Turkey n’avait pas lâché un seul mot. Tout en remplissant la gourde au goutte-à-goutte du réservoir, Kestrel se disait qu’il devrait se méfier de ces deux là. Il y avait un truc entre ses deux compagnons de voyage. Pas comme s’ils étaient ensembles, non, simplement ensemble. Comme s’ils marchaient côte à côte, en couvrant leurs arrières. Il y avait des histoires anciennes derrière tout ça.

Le voyage se poursuivi jusqu’à midi, où ils s’arrêtèrent et tendirent une toile entre les deux véhicules. Assis autour de la table, chacun se rassasiait comme il le pouvait en ingurgitant des rations de survie sans le moindre goût, et pleines d’eau. Kestrel s’était assis en compagnie de Myrddin et Morgane, un couple d’américains qui avaient tout de rednecks profonds, avec leurs casquettes des Cowboys de Dallas et leur bonne humeur à toute épreuve. Mais cette bonhomie apparente masquait deux anciens pirates professionnels qui autrefois avait mis à genoux plusieurs grosses boîtes du Nasdaq et de Wall Street. Au moins l’un d’entre eux avait une formation militaire. Iridia les avait recrutés personnellement alors qu’ils se prélassaient sur une île privée et sur un gros matelas de billets verts. Kestrel ne comprenait pas pourquoi son contact l’avait faite dirigeante de l’équipe, malgré son caractère de merde et son âge.

D’ailleurs, c’est le moment qu’elle choisit pour se lever et étaler une carte sur la table pliable.

« — Avant qu’on commence, j’aimerais que Kestrel nous fasse part de ses découvertes. Deux semaines à lire, il doit bien en ressortir quelque chose.

— Des rapports vieux de quatre décennies et des fantômes dans la machine, rien d’autre.

— Autant pour le fleuron des analystes du SSE, hein… »

Il devait renverser la vapeur en vitesse avant qu’ils ne commencent à se mettre sur la tronche dans le genre méchant.

« — Mon boulot, c’est de trouver l’aiguille dans la botte de foin. Pas de dire s’il y en a une ou non. Et je ne sais toujours pas ce que vous cherchez. Bordel, je sais même pas pourquoi je suis là. »

Iridia laissa passer l’éclat de colère, puis repris, un ton plus bas, plus cool.

« — Reprenons du début. 2018, les plus âgés d’entre nous s’en souviennent peut-être. Plus précisément, le 25 Mars à 4h du matin, heure de Greenwich. En un instant, plus de communications, plus d’Internet, plus de données, plus rien. Les noeuds principaux tombent en premier, puis l’infection se répand, jusqu’aux plus petites machines. Et pendant que mamie pleure les photos de son chien sur Facebook, tout le monde panique. Ça vous rappelle quelque chose ? »

L’Infocrash était enseigné dans toutes les écoles de la planète, il avait entraîné ce que le 21e siècle avait connu de plus proche d’une guerre mondiale. Pour sûr qu’on s’en souvenait.

« — Là-dessus, Google arrive, ramène ses potes et ils disent qu’ils s’en occupent. Mais personne n’a jamais su ce qui s’était passé. Jusqu’à aujourd’hui. Le Crash a été provoqué par un programme viral évolutif, intelligent et très vilain. Un logiciel conçu pour foutre la merde à grande échelle. Et c’est là que ça nous concerne. »

Elle s’interrompit un moment, le temps de préparer son effet. Là, c’était cool, dans le genre mythique. Le genre d’occasion que Kestrel attendait pour enfin consacrer ses talents à une activité à la fois utile et mémorable.

« — Ce programme est toujours actif, et pas qu’un peu. Il a contaminé la plupart des satellites en orbite. Lorsqu’on a commencé à démanteler les datacenters au sol, il y a trouvé refuge, et l’impact deux ans plus tard n’a pas tout détruit là-haut. Il a évolué, il est devenu intelligent. Et il nous parle.

— Bah au moins comme ça c’est plus clair… »

Kestrel se renfonça dans son siège et réfléchit deux secondes aux dossiers qu’il avait lu. La plupart des personnes informées considéraient cette… chose, quoi qu’elle puisse être, comme une menace. Vu les dégâts qu’elle avait causé, c’était pas étonnant. Mais personne n’avait jamais essayé de savoir ce qu’elle était devenue.

« — Si elle est là-haut, pourquoi on ne pointe pas une parabole en l’air et on ne la télécharge pas ici, dans un serveur sécurisé ?

— On a essayé, tu penses. On a même envoyé un navire au point Nemo, le coin le plus paumé de toute la planète, pour avoir du réseau. Et que dalle, quelque chose la coince là-haut. Et comme par hasard, la source de ce blocage se trouve à trois kilomètres d’ici, derrière ces collines. »

Bon, au moins on savait désormais le pourquoi de ce voyage dans le désert. C’était toujours ça. Cela dit, avant ça aurait été mieux. Histoire de se préparer un minimum. Cette opération sentait pas bon, un peu. L’odeur de la hâte et du manque de préparation. Puis Kestrel se souvint qu’il avait affaire à des civils et des mercenaires, pas des personnes habituées à la discipline.

« — Il s’agit d’une ferme à énergie solaire opéré par Makita Electronics pour le compte du gouvernement lybien. Ou de ce qu’il en reste. La sécurité est gérée par Lightstorm Security Service. Vu l’ambiance, ils ont de quoi repousser une armée. »

Elle tapa du doigt sur la carte pour zoomer sur le champ de panneaux solaires, cinquante hectares de piquets en acier et de transformateurs à moitié enfouis, reliés au monde réel par une poignée de câbles qui partaient vers le Nord.

« — Le point qui nous intéresse se trouve quelque part dans l’un des trois bâtiments au centre, sur cette butte. Faut déjà y parvenir, le champ est truffé de capteurs de pression et de caméras. La butte elle-même est défendue par quatre nids automatisés, contenant chacun une mitrailleuse de 5,56 et quatre roquette à charge creuse. Il faut un badge pour pouvoir passer sans se faire aligner.

— Alors quoi ? On a qu’à pointer une parabole et foutre en l’air leur réseau. » lança Myrddin.

« — Filaire et laser, tu penses, ya rien qui sort. Au moindre problème, ils se planquent dans leur carapace et tirent sur tout ce qui bouge. Mais tous n’est pas perdu. Ils s’attendent à se faire attaquer par une bande de djihadiste en goguette, ou un quelconque seigneur de guerre. Du low tech, au sol. Ils n’envisagent pas vraiment une attaque aérienne.

— Ah, parce que tu vas nous sortir un bombardier du coffre ? » répliqua Kestrel. Iridia sourit.

« — C’est à peu près ça. Turkey, tu lui montres ? »

L’intéressée se leva et fit signe à tout le monde de la suivre. Sur le toit de leur char, il y avait un gros paquet recouvert d’une bâche noire retenue par des tendeurs. Elle rejeta la toile au sol pour dévoiler une silhouette trapue équipée de deux ailes rétractables et d’un compartiment de stockage à l’arrière, devant un gros réacteur qui faisait penser à celui d’une fusée. Le tout monté sur un rail de lancement électrique.

« — C’est quoi, un missile ?

— Un drone. RQ-87 Goshawk pour l’USAF, mais tout le monde l’appelle le Stuka. Rapport à son mode d’attaque. Tu vois ces ailes ? Il monte très haut et redescend en flèche juste au-dessus de son objectif. Là, il te plante une charge perforante et remonte pour un second passage. Et sympa comme tout, pas plus difficile à manipuler qu’un jeu vidéo.

— Mettons. Alors, on fait ça comment ? »

Iridia revint, une mallette en plastique à la main.

« — On attend l’aurore, quand ils seront bien fatigués et qu’ils auront le soleil dans les yeux. On envoie le drone faire un trou dans leur périmètre, on neutralise les gardes et on charge le programme. On entre et on sort, comme si c’était chez nous.

— Ouais. Bien sûr. Ok, pas de problème, qu’est-ce qui pourrait mal tourner ? Faisons ça, attaquons une place forte à six guignols. Facile.

— Quatre, en fait. Turkey reste ici avec Myrddin pour la protéger. Faut bien que quelqu’un pilote. Quoi, c’est pas ta première balade ? »

Pas exactement, non, Kestrel avait eu sa part de terrain. Et après quelques missions, il avait fait le nécessaire pour ne plus jamais y mettre les pieds. Il n’avait même jamais tiré sur quelqu’un. Son truc, c’était de classer des fichiers dans un bureau à présent.

Ouais, c’est ça, Stéphane. Et pourquoi t’y es pas au bureau alors, hein ? Qu’est-ce que tu fous en plein désert ? À 43 ans, mec c’est pas sérieux franchement. Tu veux te la jouer star de film d’action sur le tardif, genre Ellis Andrew ou Chris Woo, les derniers Evans et Renner ? Tu veux pas être Stéphane, hein, tu veux être Kestrel, le pur opérateur, hyper pro et tout. Tu veux te taper la gonzesse à la fin aussi, tiens, pourquoi pas celle-là ? En plus elle t’aime pas encore, ça rajoute du piment. Mais bon voilà, t’as peur, et tu vas te défiler, en plein désert. Qu’est-ce que tu fous là en plein désert, Stéphane ?

« — Mais ferme ta gueule… » marmonna Kestrel.

« — Pardon ? »

Iridia darda sur lui un regard inquisiteur. Il leva la main en signe de dénégation et hocha la tête.

« — Ouais, c’est cool, on se le fait. Pas bien le choix, non ?

— Nan, pas vraiment. Shadow avec moi à l’avant, Morgane en couverture. Des questions ?

— On a une stratégie de sortie ? »

Morgane était en train de desserrer les sangles d’un gilet pare-balle sur la table. Trop fin pour son imposante musculature. Elle avait été championne d’haltérophilie deux années de suite, une passion curieuse pour une pirate informatique de haut vol. D’ailleurs, c’est ce qui avait été à l’origine de leur capture : un bête article d’un journal local, bonne pioche pour le FBI.

« — Trouver cette chose et neutraliser tous ceux qui nous empêche de le faire, c’est ça notre stratégie.

— Réjouissant…

— Allez, au travail. »

Dans le coffre du second véhicule, on avait rangé une véritable armurerie. Des fusils, des armes de poing, un lance-grenades à la gueule béante. Kestrel n’avait pas tiré depuis une décennie, c’était le moment de reprendre la pratique. Iridia s’y était mis, elle aussi. Elle avait ouvert sa boîte en plastique pour en sortir un pistolet massif, comme taillé dans un bloc de métal, tout en angle. Elle sortit le chargeur de sous le canon, et entreprit d’y ranger de petites fléchettes de six centimètres de long. Arme à rail magnétique, très vilain.

Et très semblable à quelque chose qu’il avait déjà vu.

« — C’est un Hurleur, n’est-ce pas ?

— Ouais.

— Tu savais qu’ils n’en avaient fait qu’une centaine de ce modèle ?

— Ah. Non, je ne savais pas. »

Concentrée, elle nettoyait avec précaution le bloc d’alimentation. Les vieilles séries Hurleur avaient tendance à prendre la poussière. Dans le désert, le sable pouvait les foutre en l’air en un rien de temps. D’ailleurs, plus personne n’essayait de faire des armes de poing à rail, on préférait des modèles plus massifs, où on pouvait protéger les parties sensibles.

« — Le dernier que j’ai vu, c’était il y a vingt-deux ans, au large du Cameroun…

— Je sais, sur Odyssée. C’est le même.

— Comment ça ? »

Elle le dévisagea et il comprit qu’il n’avait encore rien compris.

« — C’était celui de ma mère et oui, on parle bien de la même personne.

— Alors tu es la fille de Léa Fontaine.

— Quelle perspicacité. Oui, et celle de Diana Fary Nyobe aussi. Elles m’ont adoptée quand j’avais cinq ans.

— Hey, attends une minute… »

Les dossiers s’assemblaient, des noms, des sociétés écrans. Des fantômes offrant des vérités à d’autres spectres.

« — Lightdust Security Service. Makita Electronics. Ce sont des prête-noms, j’ai lu les fichiers. Si on remonte de quatre ou cinq rangs, c’est à la Diamond qu’on s’attaque.

— Ouais, et alors ? Ça te pose un problème ?

— Quoi, attaquer le Directoire de la Cidade ? Non, ça va, déclarer la guerre à une puissance mondiale, c’est la routine. Je fais ça tous les matins.

— Tourne pas autour du pot et accouche. Tu sais ce qu’il y a là-bas. C’est une arme qui peut mettre à genoux l’économie mondiale, causer la panique, déclencher une guerre nucléaire ou je ne sais quoi encore. Tu penses vraiment qu’une chose pareille peut rester entre les mains de Sarah Diamond et sa famille de cinglés ? »

Vu comme ça… Kestrel n’était pas certains qu’une bande d’explorateurs allumés ferait un meilleur chaperon. Mais Nyobe avait prouvé qu’elle était plutôt sensée et digne de confiance.

« — La question que je me pose, c’est de connaître tes raisons. J’aimerais savoir si tu fais ça par principe, ou pour continuer la guerre que menait ta mère. Je crois savoir que ça ne lui a pas réussi. »

Le regard que lui décocha Iridia était si féroce qu’il crut qu’elle allait lui planter une flèchette dans le crâne. Un instant, il se demanda s’il n’était pas allé trop loin avec cette gamine. Mais où était donc passée cette si gentille fille du bar ?

« — Va te faire foutre. Si après tout ce chemin, t’es toujours pas convaincu, t’as qu’à rentrer chez toi. Vas-y, je ne te retiens pas ! On trouvera bien un autre analyste une fois rentré, pas de problème !

— Tu parles d’un choix. Non c’est bon, merci mais je passe. Mais que ce soit clair : je vous ai à l’oeil. Et si cette chose est un peu trop remuante, je lui colle une cartouche dans le disque dur, c’est clair ?

— C’est ça ouais… »

Énervé, il se leva et préféra aller se pieuter, plutôt que d’exploser. Faudrait qu’il soit en forme pour le lendemain. Peut-être qu’il allait mourir, ça réglerait tous ses problèmes. Ou peut-être qu’il serait encore là pour voir tous ses compagnons devenir dingues une fois les armes en main.

Qu’est-ce que tu fous dans le désert, Stéphane ?

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