Peu avant les premières lueurs du jour, nous remontions l’avenue principale d’un pas plus que chancelant pour rentrer au palais profiter des dernières heures avant le début de la journée d’entraînement pour dormir un peu et essayer de retrouver un peu de contenance.
– Sérieux, tu veux pas utiliser ta magie pour nous débarrasser de cette gueule de bois? Suis chur que t’en es cap’! Marmonnait Victor pour la quinzième fois en dix minutes.
– Nan, je t’ai dit que je pouvais pas faire ça aussi près du palais, on se ferait choper à coup sûr, et c’est un coup à ce que je me fasse passer un savon par le général, et ça il en est hors de question pour mon premier jour de service.
Une fois arrivés sur la place du palais, nous prîmes la ruelle par laquelle nous avions quitté le palais. Les gardes postés à l’entrée du rempart nous laissèrent passer avec des regards amusés et allumèrent les escaliers pour nous éviter de trébucher dans la pénombre. L’escalier en colimaçon semblait ne plus finir tant nous avions du mal à grimper chaque marche. Je laissais Victor devant le couloir menant aux chambres des recrues et continuait mon chemin vers la chambre d’officier que je partageais à présent avec Céline. En m’approchant, l’appréhension de sa réaction fit presque totalement disparaitre mon ébriété. Elle avait beau être mon âme sœur, elle détestait que je boive de l’alcool ou que je rentre tard. Je restais un instant dans le couloir désert à regarder la porte derrière laquelle elle devait m’attendre. Après cinq bonnes minutes, je pris mon courage à deux mains et abaissait la poignée en laiton.
À l’intérieur, je la trouvais couchée au pied du lit, endormie profondément. Soulagé, je me détendis un peu et m’accordait un petit instant pour la regarder dormir. Le va-et-vient de sa respiration faisait miroiter ses écailles dont elle était si fière. Elle était la seule dragonne en vie à posséder des écailles rouges, dont certaines avaient des reflets dorés qui formaient de magnifiques arabesques le long de son dos et de chacune de ses pattes et qui scintillaient lorsqu’elle se déplaçait. Au-delà de sa beauté, elle était également l’une des plus puissantes dragonnes de la troisième génération, et depuis que nous avions été réunis, nous avions ensemble dépassé toutes les espérances de nos instructeurs. À tel point que c’était l’empereur lui-même qui nous avait remis notre insigne quelques heures plus tôt.
Je ne pris pas la peine de me déshabiller et m’affalais sur le lit dont j’accueillis le moelleux avec un bonheur incroyable. Tout d’un coup, j’étais épuisé, et je sentais mes yeux se fermer quand mon cœur fit un bond familier. Céline s’adressait à moi de cette façon lorsqu’elle ne prenait pas sa forme humaine, elle modulait les battements de mon cœur afin que le sang battant à mes tempes résonne dans mes oreilles et me fasse entendre sa voix.
– Eh bien, ce n’est pas trop tôt, je commençais à croire que Victor t’avait enlevé pour de bon, tu aurais pu me prévenir avant de partir!
Son mécontentement s’insinuait en moi comme si je ressentais ses émotions.
– Bref, pendant que tu picolais avec ton ami, le général nous a confié une mission, tu dois te présenter devant lui dans deux heures pour recevoir ton ordre de mission.
Je me redressais d’un bond.
– Comment? Une mission? Déjà? Et dans deux heures? Mais il est à peine deux heures du matin, normalement le réveil n’est qu’à sept heures main-tenant que nous ne sommes plus des recrues! M’exclamais-je à voix haute.
Je sentis Céline user de sa magie et d’un coup mon ivresse était complètement dissipée, mais elle se garda d’agir sur mon état de fatigue, probablement pour me donner une leçon.
– Merci. Dis-je malgré tout.
– De rien, si le général te voyait dans cet état, je ne donne pas cher de ta peau, et on peut dire adieu aux missions pour un bon bout de temps. Apparemment, il veut que nous commencions la mission dès demain matin, et il va falloir voyager un peu pour nous rendre sur les lieux. Il n’a pas voulu m’en dire plus sur le moment. Maintenant, dors un peu, histoire de pouvoir tenir debout quand tu se-ras devant lui.
Je me recouchais en grognant, maudissant Victor et son enthousiasme, et cherchais à ne pas penser à cette première mission qui m’attendait. Et forcément, à force de vouloir ne pas y penser, je me mis à imaginer toutes sortes de gestes héroïques, et fut absolument incapable de trouver le sommeil.

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