Le soleil n’était même pas encore visible dans le ciel que la caravane avait déjà replié ses tentes et s’était mise en marche. Eshe marchait parmi les autres esclaves, fer aux pieds et aux mains. Le dos courbé, ils avançaient, encadrés par la bande d’Ishaq le marchand d’esclave. La jeune fille avait eu le droit a de l’eau et un crouton de pain avant de dormir avec les autres esclaves, et encore de l’eau avant de se mettre en marche. Ensuite, on l’avait attachée à un des poteaux et laissée ainsi toute la nuit. Durant le reste de la soirée, elle n’avait cessé de sentir le regard d’Ishaq sur elle. Elle l’avait d’ailleurs vu parler avec ses compagnons tout en la fixant. Tant d’intérêt pour quoi exactement ? Ses yeux ? Ses cheveux ? Elle n’en savait rien. N’y avait-il pas d’autres personne comme elle ?
– Avancez ! Hurla une voix derrière eux.
Le fouet claqua si près qu’Eshe sentit le souffle d’air la frôler. Lorsqu’elle releva les yeux pour jeter un coup d’œil au paysage, elle surprit une nouvelle fois Ishaq en train de la regarder. Il détourna lentement le regard et lui tourna le dos. La troupe marcha toute la matinée. Le soleil finit par se lever et le désert ne tarda pas à se réchauffer jusqu’à atteindre des températures insupportables. A ce moment, la caravane s’arrêta et les marchands d’esclaves installèrent les tentes. Apres quelques heures, les hommes donnèrent à boire à leurs prisonniers qui étaient installés à l’ombre d’une grande tente rudimentaire. Eshe était assise comme les autres a même le sol. Elle but comme tout le monde à la louche qu’on lui tendait. En courant d’après-midi, le soleil descendit lentement et finit par passer derrière une dune, répandant ainsi un peu d’ombre sur le campement. La nuit venait, froide à en faire mourir les plus faibles. Emmenant dans son sillage les animaux du désert, profitant de la fraicheur pour sortir de leurs cachettes. Le jour suivant fut tout aussi horrible. La jeune fille tomba une fois, en courant d’après-midi. Une pierre qu’elle n’avait pas vue était enfouie juste en dessous de la surface du sable et lui avait profondément éraflé le pied. Cela lui couta un coup de fouet. Eshe se souvenait toujours du bruit claquant du cuir sur son dos, de la douleur aigu et instantanée qui été remontée jusqu’à sa tête et lui avait arraché un cri de souffrance qui résonnait toujours à ses oreilles. Le reste de la journée avait alors été une torture de chaque instant. Son dos, en feu, la faisait souffrir le martyre. Chaque mouvement lui arrachait une grimace de douleur. Depuis, elle pouvait sentir la croute durcir sur son dos. Cela faisait moins mal. Le soleil tapait fort chaque jour. Il arrivait parfois que des esclaves, à bout de forces, fassent un malaise. Les hommes arrivaient alors sur leurs chameaux et lançaient leurs fouets, tentant de faire comprendre aux malheureux ce qu’ils endureraient s’ils ne tenaient pas plus longtemps. La marche était donc rude et aucun répit n’était accordé aux esclaves. Lors de l’incident, c’était une après-midi comme les autres. Apres avoir marché toute la matinée, la caravane s’était arrêtée pour la nuit au creux des dunes. Les feux avaient été allumés et les esclaves attachés comme chaque soir. Le soleil n’avait pas encore disparus à l’horizon et les derniers rayons lumineux créaient un effet de toute beauté dans le paysage. Un vent doux apportait les premières fraicheurs du soir et les effluves des grillades destinées aux hommes de main d’Ishaq. Eshe était assise en tailleur parmi les autres, ses pensées vagabondant et ses yeux scrutant les dunes lorsque l’incident arriva. Le cri retentit dans le campement, résonnant dans le désert. C’était un cri de peur, de terreur, un cri à vous glacer le sang et à faire hérisser vos cheveux sur votre nuque. Eshe se crispa et se retourna pour voir d’où venait la plainte déchirante. C’était une jeune fille, à peu près son âge, les cheveux noirs emmêlés et la peau tannée par le soleil et noircit par la crasse de la marche. Les fers qu’elle portait lui avait meurtrit les poignets et les chevilles, et on pouvait voir les croutes de sang sur sa peau. Elle reculait, le plus vite qu’elle le pouvait, loin … d’un serpent ! Le cobra en face d’elle était droit, sa tête se balançait doucement de façon hypnotisant, encore, encore … la bête tenta une attaque et lança ses crocs empoisonnés vers la jeune fille. Mais cette dernière réussit in extremis à éviter le cobra. Entravée par ses chaines, elle ne tarderait pas à se faire mordre. Eshe savait bien qu’a grande dose, le venin du cobra pouvait être mortel … il suffisait d’une morsure longue et profonde et s’en était finit de la fille. Un mal de tête prit soudainement la jeune fille. Comme si elle assistait à la scène de très loin, elle se vit se faufiler entre les esclaves apeurés et se placer entre le serpent et sa proie. Ses yeux dans ceux de la bête, elle lui fit face. L’attaquerait-il ? Sans aucun doute. Elle s’accroupit sans cesser de fixer l’animal, tentant de ne pas esquisser de mouvements brusques. Pourquoi ? Elle n’en savait rien. Elle sentait juste qu’il fallait qu’elle le fasse. Cela fait, elle tendit lentement la main vers le cobra. Une tension énorme s’était installée sur le campement. Le monde semblait avoir retenu son souffle et le silence était de plomb. Toute l’attention d’Eshe était focalisée sur le serpent en face d’elle. Elle crut qu’une éternité s’était écoulée avant que la bête s’avance. Lentement, glissant sur le sable … D’abord hésitant, l’animal prit de l’assurance. Mais contrairement à ce qu’elle s’attendait, il ne l’attaqua pas. Il se glissa vers sa main, ondulant comme le font tous les serpents, passa sa tête en dessous de sa paume et commença à s’enrouler autour de son bras jusqu’à atteindre son coude. De là, il se releva. Son museau frôlait désormais le nez de la jeune fille. Ainsi, yeux contre yeux, les deux adversaires ne bougeaient plus. ‘’Non, pensa Eshe, pas adversaires … alliés !’’. Alors, dans un mouvement parfaitement coordonné, les deux êtres baissèrent leurs têtes en signe de respect et leurs fronts se touchèrent. Peau contre écailles, sang froid contre sang chaud … Puis, le serpent se déroula et s’en allât. Eshe en resta patoise, comme vidée de ses forces, les bras ballants … Elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Elle tourna la tête et aperçus les esclaves, les hommes et même Ishaq, yeux agrandit, bouche ouverte, complètement stupéfaits, en train de la fixer. Son souffle s’accéléra et son cœur se mit à battre plus fort. Le temps reprenait son cours. Ishaq sembla alors sortir de sa torpeur et, se reprenant, lança :
– Amenez-la-moi dans ma tente …
Comme personne ne s’exécutait, il répéta plus fort.
– Tout de suite !
Les hommes se dépêchèrent de venir la chercher, mais au moment de la toucher pour la soulever, leurs mains n’osèrent pas entrer en contact avec elle. Un coup d’œil suffit à Eshe pour deviner les sentiments qui les animaient : peur, admiration, curiosité … Mais la peur dominait les autres sentiments. La peur de l’inconnu. La peur du nouveau, de ce que l’on ne connaissait pas … ‘’Je me pose exactement la même question qu’eux, se dit alors la jeune fille, qui suis-je ?’’ Mais ce n’était pas la bonne question. ‘’Non, QUE suis-je ?’’ A cette pensée, un frisson parcouru l’échine d’Eshe. Une terreur sans nom s’enflamma dans son ventre. Et si elle était un monstre ? Pétrifiée, elle se leva et se laissa guider par les marchands d’esclaves jusqu’à la grande tente rouge située au centre du campement. Ce fut un soulagement pour la jeune fille de pénétrer à l’intérieur. Dehors, l’air était lourd, pesant et brulant. Il vous écrasait malgré la fraicheur du soir et par moment, vous aviez du mal à respirer tant c’était insupportable. Ici, c’était doux, ni trop froid, ni trop chaud, une odeur d’encens et de tisane flottait dans l’air ainsi que celle des parchemins et des vieux tapis poussiéreux. Dans un coin, des coussins étaient empilés près d’une couchette toute simple et une multitude de papiers, de babioles, de pièces et de rouleaux étaient posés sur une table en bois juste à côté. Au fond de la tente, Ishaq était debout juste devant son bureau, passant la main sur son visage pendant que son autre main, posée sur le meuble, semblait le soutenir. Eshe crut même voir ses doigts trembler légèrement.
– Laissez-nous, ordonna-t-il d’une voix imposante.
Une fois seuls, il se tourna vers la jeune fille. Ses sourcils noirs et broussailleux étaient froncés, traçant des plis dans la peau de son front, tannée par les longues marches dans le désert. Ses yeux noirs la fixaient avec intensité, pesants … Eshe pouvait imaginer le trouble qui devait l’assaillir à l’intérieur en ce moment même. Rien qu’à regarder son visage, elle pouvait deviner que l’homme réfléchissait à ce qu’il allait faire d’elle. ‘’Et s’il décidait que je suis un danger pour eux et qu’il m’attachait ? Réfléchit-elle, Et s’il décidait de m’infliger la punition divine ?’’ La jeune fille fut prise d’une peur mordante. Une sueur froide coula le long de son dos meurtrit, glissant d’une lenteur torturante. La pire torture infligée dans le désert consistait à attacher une personne sur le dos, les quatre membres écartés, a même le sable. Peu importait l’endroit, mais si on voulait plus de souffrances, on choisissait de préférence un endroit exposé à la lumière. Plusieurs jours horriblement douloureux attendaient la victime qui devrait supporter le soleil ardent. La boule de feu dans le ciel le brulerait lentement, à petit feux, cloquant sa peau et chauffant son corps à des températures insupportables. Les animaux du désert, tels que les rapaces, les reptiles ou les carnivores seraient attirés par l’être sans défense et le dévorerait vivant. Et il resterait ainsi, sans eau ni nourriture et, longtemps, aussi longtemps qu’il pourrait tenir et finirait par mourir dans d’atroces souffrances. On appelait cela la ‘’punition divine’’ car la victime subissait le châtiment du Dieu Soleil. Comment savait-elle cela ? Elle-même n’en savait rien … Une vieille connaissance remontée du fin fond de sa conscience, un savoir oublié … Mais c’était déjà trop tard et la jeune fille vit avec horreur Ishaq se redresser pour déclarer sa sentence.

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