— Et le plus frustrant dans tout ça, c’est que je ne peux même pas le ficher aux stups pour consommation de drogues parce qu’il fait pousser lui-même ses mandragores !
— Ça arrive à tout le monde, les canulars, il faudra t’y faire, me raisonna Agathe.
Ma meilleure amie et moi-même nous étions donné rendez-vous sur un petit banc ensoleillé du parc de la Tête d’Or pour y déguster une paire de sandwich. Accessoirement, je lui racontai mes déboires de la veille. Sur le chemin du retour, il avait fallu que mon bus tombe en panne, que le suivant soit bloqué par des contrôleurs et que, une fois rentrée dans mon luxueux F1 de vingt-deux mètres carrés coupé de tout réseau, je m’aperçoive que ma réserve de jus de litchi était vide – bien évidemment le seul jour où le magasin bio était fermé.
— Journée de merde, hier, conclus-je en mordant dans mon thon-tomates.
— Au moins, tu as résolu son problème, tempéra la jeune fille en remontant sur son nez ses énormes lunettes. Tu fais quelque chose ce soir ? Les Black Banshies passent à la MJC du vieux Lyon… je me suis dit que ça pouvait t’intéresser.
— Oh, heu… c’est gentil mais…
Comment lui annoncer que je n’avais même plus de quoi payer ma facture de minitel sans qu’elle ne se sente obligée de m’offrir une place de concert ?
La sonnerie de mon minitel de poche me soustraya au dilemme :
— Allô ?
— Mme Michel ? C’est Auguste, vous vous souvenez, vous êtes venue hier pour…
Mon cœur fit un bond dans ma poitrine en même temps que mes entrailles se nouèrent. Autant j’étais ravie de pouvoir toucher la prime si mon verdict d’hier se révélait incomplet ; autant la perspective de me retrouver de nouveau chez le junkie et la grand-mère psychopathe ne m’enchantait guère.
— Oui M. Amherst, je me souviens de vous. Avez-vous fait venir le dératiseur ?
— Il est venu mais il n’a rien trouvé. Il a laissé des pièges au cas où, et ce matin le fantôme les avait disséminés devant ma porte et dans la cuisine… j’ai bien cru que j’allais perdre un orteil…
Je fermai les yeux et expirai lentement, sous le regard patient et interrogateur d’Agathe.
— Restez dans votre chambre, j’arrive.
Je raccrochais.
— Je suis désolée Agathe, je vais devoir y retourner.
La magicienne de lumière aveugle plongea dans son sac-à-main et en ressortit un sachet en papier ainsi qu’un sourire complice :
— Tu as bien le temps pour un petit dessert ?

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