— Bonjour, Auguste Amherst, je présume ? Miléna Michel, chevalier-aventurière. Je suis venue vous débarrasser de votre poltergeist.
L’homme, la quarantaine et à la dégaine flegmatique, pour ne pas dire négligée, baissa le nez vers ma main tendue. Sa voix était aussi expressive qu’un distributeur de talismans automatique :
— Oh, vous avez fait vite.
Il fit mine d’ajouter quelque chose, mais expira longuement, les yeux dans le vague. J’attendis qu’il trouve ses mots et le silence s’éternisa.
— Vous… vous allez m’inviter à entrer ?
Tout dans son allure fonctionnait au ralenti, comme s’il était engoncé dans dix anoraks. Les pupilles dilatées, la peau du visage diaphane… mon client donnait tout l’air d’un consommateur de résine de mandragore. Allons bon, il ne me manquait plus que ça ! Un halluciné paranoïaque.
— Pourquoi, vous êtes un vampire ? articula-t-il avec hésitation.
— Non.
— Alors vous devriez être capable d’entrer sans mon autorisation.
Je poussai le portillon de sa courette sans me formaliser davantage. Cette mission à la prime gouleyante empruntait le chemin du canular : autant en finir rapidement. Je commençais l’interrogatoire dans la courette ornée de quelques rangs de salades masquant habilement des pieds de mandragore, les semelles plantées devant une façade de trois étages, assez décatie et couverte de moulures, balcons suintants de mousse et vigne vierge. Le genre d’habitat parfait pour les fantômes.
— Cette maison a-t-elle des antécédents de meurtres ou disparitions inexpliquées ?
— C’est la maison de ma grand-mère. Elle y a toujours vécu tranquille.
— Et votre grand-père ?
— Pas connu.
— Vos parents ?
Il haussa les épaules et entreprit de se ronger consciencieusement l’ongle du pouce.
— Vous vivez ici ?
— Oui.
— Quels sont les agressions que vous avez subies ?
Auguste Amherst leva ses deux bras rachitiques comme pour mimer une créature grimaçante :
— Des couinements aigus, et ça gratte derrière les murs et le plafond. Le matin, les objets sont déplacés. Les rideaux fermés ou ouverts. Et la nuit ça m’a arraché mes couvertures. J’ai crié et ça m’a giflé. Alors j’ai allumé la lumière et il n’y avait rien. Ma couverture était dans le couloir, toute griffée.
Son regard devint vague, puis effroyablement perçant alors qu’il me saisit par les épaules, provoquant une moue de dégoût de ma part : son haleine empestait la résine !
— Et j’ai vu une dinde verte dans le jardin !
— Une dinde ?
— Elle était bizarre, avec le cou cassé, et elle sautillait d’un pied sur l’autre. J’ai pas bien vu, il faisait nuit. J’étais terrifié.
— Bon bon, cela ressemble en effet à un poltergeist, concédai-je en libérant mon survêtement de sa poigne acérée. Ce genre d’apparition est tout à fait classique. Si vous le permettez, je vais inspecter la maison.
— Pourquoi, vous êtes un vampire ?
Je marquai un temps d’arrêt pour saisir la pertinence de sa remarque, puis décidai que je pouvais m’en passer.

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