Je regarde l’eau à mes pieds. Je ne la vois pas, pas plus que le reste du monde. Je ne suis plus ici, je m’élève, je grandis, je gravis. Ce soir je suis au sommet. Enfin je quitte la cime des plus grands arbres. Mon aigle ne vole plus dans les cieux, il n’y a plus de cercles, plus de noblesse. Où est mon serpent aujourd’hui ? Voilà cent jours maintenant que le soleil se couche sans que la moindre ondulation n’agite la terre. Morts. Leur corps n’est plus. Leur vie s’est éteinte. Ils ont été rongés, entièrement détruits.

Je suis le lion, ce lion que j’ai toujours rêvé de devenir, le reflet de la grandeur, l’image de la force. Je suis le feu destructeur, je suis le créateur. Je voulais m’éteindre dans les flammes, m’assombrir enfin dans les voiles brûlants du bûcher. Pourtant j’avance, l’étreinte glaciale de l’eau étouffe mes pas, je m’enfonce dans un abysse, il gèle mon sang. Mon sang, mon trésor, le gardien de ma vie. Il se refroidit, il se répand et le froid asphyxie mon corps. Je tombe encore, ma nuque se paralyse, l’eau m’endort. Je vis toujours, je ne suis pas vaincu. Pas encore. Je brandis mes dernières armes. Je les ai gardé secrètes, polies patiemment, par amour, je les ai caressé par plaisir. Elles sont ma dernière action. Elles sont ma plus grande action !

Mes armes ! Mes armes enfin ! Sans n’émette aucun son, j’hurle à la mort. Voilà mon dernier combat, la fin de la plus grande des guerres. Mes armes. Elles quittent le rivage de mon regard, plongent avec moi. Elles sont si belles. Les dernières. Elles brillent. Elles sont les dernières larmes chatoyantes de mon existence. Des larmes.

J’inspire.

L’eau froide pénètre jusque dans mon cœur. Il n’y a nulle surface. Nulle rupture. Tout est un et je suis loin. C’est mon dernier élan, je m’évanouis dans le cosmos. Les étoiles sont dans le ciel, dans l’eau et maintenant dans mes yeux. La pesanteur m’asphyxie. Elle ne peut plus l’emporter. J’ai vaincu. « Victoire ! » est mon dernier soupir. Le monde s’éteint. Nulle vie.

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