Royaume-Uni, 2030, Coally Alkan

Les peaux de carotte s’effilochaient rapidement dans son seau. Ses mains fripées avaient la tremblote, et elles ne pouvaient pas être sûres qu’au prochain coup de lame, l’éplucheur ne les entaillerait pas. Et puis il faisait froid. Si froid. Jamais le vieil homme n’avait vécu pareil printemps. L’abondance des légumes qu’il avait réussi à faire sortir de terre ne tenait qu’à sa longue expérience de jardinier et à un soupçon de chance aussi. Lui, c’était Oleoduke.
Bientôt, une ombre longiligne enveloppa son dos. Quelqu’un se tenait debout derrière lui.
« Donne-moi la moitié de tes légumes, une boîte d’allumettes et tout ira bien.»
Elle pointait une arme sur le vieil homme assis sur un banc, courbé à la tâche. Surpris, le vieillard affable se retourna lentement et dévisagea la voix confiante et féminine qui lui avait adressée la parole. Sacré personnage que voilà, pensa-t-il immédiatement. D’ailleurs, il se coupa légèrement le pouce avec la lame en métal tant sa réaction fut vive.
Une belle fille, il n’y avait pas à dire. Mais pas aussi innocente que les princesses des contes de fée. Une épaisse veste kaki à épaulettes traçait son buste solide et épousait sa silhouette fine d’environ un mètre quatre-vingt. Un pantalon noir, sale et par endroit décousu, muni de nombreuses poches, prolongeait sa posture infaillible sur des bottines de randonnée recouvertes d’aiguilles de sapin. Enfin, un robuste et lourd sac en bandoulière balafrait sa poitrine.
Oleoduke se leva sans discuter, tout en continuant de l’observer du coin de l’œil. Comprenant qu’il coopérait, elle ouvrit son sac et le posa sur la table.
« Dépêche-toi !».
Il exécuta ses ordres sans se presser pour autant, simulant un bassin en vrac et une toux gênante pour prendre le temps de l’analyser de haut en bas. Son visage était dissimulé d’une part par un foulard pourpre à moitié transparent et d’autre part par des lunettes ovoïdes réfléchissantes. Une grande casquette solide coiffait des longs cheveux châtains aux mèches vertes. Ceux-ci s’accompagnaient d’étranges rubans bleu et violet qui ondulaient avec le vent, semblables à son écharpe qui tombait jusqu’à ses hanches où elle se trouvait nouée à la ceinture. Autre singularité surprenante, elle s’appuyait sur un bâton en bois.
« Tu cherches à rejoindre la cité de Telford, n’est-ce pas ? demanda-t-il en sondant discrètement le rebord de sa cuisine à la recherche d’un objet en particulier.
-Parait-il, lâcha-t-elle vaguement en jetant un coup d’œil par la fenêtre. »
Le type maigre aux quelques cheveux blancs masqués par un béret termina par la boîte d’allumettes qu’il déposa délicatement dans son sac plein de boue et de neige.
« Je croyais tous les hommes partis pour le sud. »
Elle tira la fermeture éclair coriace avant de prononcer ces quelques mots :
« Les vieux comme vous ont toujours cru beaucoup de choses. Il serait peut-être temps de savoir. »
Sur ce, elle claqua la porte grinçante et s’en alla sans faire de bruit, laissant dans la cabane vétuste une odeur de sève et de chlorophylle.

A peine sous les frondaisons blanches des arbres, la jeune femme jeta un œil à ce que lui avait légué l’ancien, ne pouvant attendre une minute de plus pour assouvir sa faim gargantuesque. Tandis qu’elle mordait une poire juteuse à pleine dents, elle aperçut entre les mailles du tissu, un petit objet métallique dépasser entre les allumettes. Elle le fit glisser dans le creux de sa paume. C’était un médaillon taillé dans la pierre. Une plume orange et grise. Fronçant les sourcils, elle observa minutieusement son propre collier. A l’exception de la couleur, le sien était identique. Comment était-ce possible ?

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