Ce soir-là, le Café de la Paix dans le 9e arrondissement de Paris était plein. Les serveurs ne pouvaient pas se permettre de prendre leur pause habituelle pour fumer une cigarette ou se détendre quelques minutes, car ils n’arrêtaient pas une seconde. Aller à une table, prendre la commande, retourner au bar, demander la commande, se dirigeait vers les clients, servir. Et ça, encore et encore. Les billets ainsi que les pièces sans compter les cartes de crédits se passaient de mains en mains. Tellement que les cocktails se faisaient limite à la chaîne. Les bouteilles n’avaient pas le temps d’être exposer à la vue des clients. Par la pensée, le patron se félicita plusieurs fois d’avoir fait le ravitaillement cette semaine. Sans ça, sa clientèle serait allée chez la concurrence et c’était hors de question que ça se produise.
Parmi la foule, un homme se tenait au bar. Vêtu d’un costume noir, sa cravate se trouvait au fond de sa serviette. Les deux boutons de sa chemise détachée laissaient entrevoir quelques poils de son torse. Ses cheveux blonds en bataille, une main qui tenait son verre, son regard noir était perdu dans les vagues de son scotch. Il avait passé une mauvaise journée. Directeur d’une chaîne de marketing, il se demandait parfois s’il devait reformer toute son équipe. Que des bons à rien. Le directeur devait s’expliquer par trois fois avant que ses employés comprennent le sens de ses phrases. C’était décevant et tellement énervant. En cette fin de semaine, il était au bout du rouleau. Ayant fini tard, il ne voulait pas rentrer chez lui. Même si prendre un bain lui ferait du bien ainsi qu’une bonne nuit de sommeil, il avait besoin d’un verre ou deux, peut-être même trois avant de devoir affronter les vestiges du marchand de sable.
Au moment où il leva la tête pour demander un autre verre de son breuvage favori, il vit une ravissante jeune femme avançait vers lui. Son regard n’arriva pas à se détacher de cette belle créature qui venait de faire son entrée dans la foule. Elle portait un joli chapeau noir, ses cheveux relevés en dessous devaient être noir également. Ses yeux étaient d’un bleu inimaginable, on avait envie de se perdre dans cet océan sans fin. Vêtue d’une robe moulante, accompagné d’escarpins assortis au chapeau, elle s’installa au bar, à quelques mètres de lui. Il sortit de sa transe et demanda enfin son verre.
_ Garçon ! Un autre, s’il vous plait.
Le serveur prit la bouteille de scotch et le servit. Puis, il s’éloigna sans dire un mot. Avant de boire une gorgée, l’homme d’affaire s’autorisa à regarder encore une fois la femme assise près de lui. Elle le fixait déjà. Puis elle détourna le regard avec un sourire au coin.
_ Vous êtes venu seul ?, demanda-t-elle.
L’homme se ressaisit car sa voix était angélique. Un autre serveur approcha.
_ Un gin tonic, s’il vous plait.
Tandis que l’employé la servit à son tour, l’homme se demandait si elle lui avait parlé à lui et non à un autre. Au risque de passer pour un fou, il répondit :
_ Maintenant que vous êtes là, je ne le suis plus.
La femme sirota une gorgée.
_ Où est votre alliance ?
Il se figea. Pour plusieurs raisons d’ailleurs. Tout d’abord, il ne la connaissait ni d’Eve, ni d’Adam donc comment elle sut qu’il était marié ? Puis, il trouvait que cette question était étrange venant d’une inconnue.
_ Dans la poche de ma veste, répondit-il.
_ Mettez là, ordonna-t-elle.
Il hésita un moment puis s’exécuta tout en la regardant. Comme si elle avait des yeux sur le profil de sa tête, elle leva son regard vers lui au moment où l’alliance reprit sa place à son doigt.
_ Iris, dit-elle au tendant sa main.
_ John, répondit-il en rencontrant la main qu’elle venait de lui tendre.
_ Eh bien, ravi de vous rencontrer John, déclara-t-elle avec un sourire.
L’homme se jura que c’était le sourire le plus magnifique qu’il est vu aujourd’hui, peut-être même de sa vie.
*
Le nouveau couple fut connaissance pendant presque deux heures. Ils parlaient de tout et de rien, comme si ils se connaissaient depuis toujours. Pendant la conversion, John admirait Iris. Il la trouvait très belle. Chaque trait, chaque mimique, qu’il observa chez cette femme, lui plut.
Vers deux heures du matin, le bar commençait à se vider. La foule se dispersait aux quatre coins de la capitale. Soit pour aller continuer la fête dans une discothèque, ou tout simplement rentrer chez soi après cette dure journée. Les plans de John avaient changé. Il ne voulait plus rentrer chez lui. Il désirait rester avec Iris.
_ Avant que tu ne poses la question, lui dit-elle, oui je suis libre cette nuit et oui ça serait un plaisir de prendre un dernier verre chez moi en ta compagnie.
Voilà, pensa-t-il. Elle avait tout dit. Ni plus, ni moins. John acquiesça, déposa quelques billets sur le comptoir et donna son bras à Iris. Elle l’accepta avec un sourire. Dieu, qu’il ne se lancerait jamais de ce geste tellement chaleureux.
Bras dessus dessous, Iris et John sortirent du bar et se promenèrent dans les rues de la capitale. La brise nocturne du printemps fit frissonner Iris et John lui prêta sa veste, qu’il déposa sur ses épaules. Malgré qu’il fût marié, il sut que cette nuit serait une nuit de péché. Et le jeune trentenaire s’en moquait. Il voulait partager le moment présent avec Iris, un point c’est tout.
La jeune femme habitait dans les quartiers chics. Ca n’étonna pas John. Après quelques minutes de marches, ils arrivèrent devant une grande porte en fer forgé. Elle l’ouvrit grâce à une carte magnétique. Puis ils traversèrent un grand hall pour se diriger vers l’ascenseur.
Une fois dedans, ils se retrouvèrent côte à côté face aux portes, effet miroir. John jeta de temps en temps des coups d’œil à Iris. Mais, comme plus tôt au bar, elle le regardait à chaque fois. Il y avait une telle intensité dans ses yeux que John fût charmé. Encore une fois.
L’ascenseur s’arrêta au septième étage. John suivit Iris. En sortant, elle prit à gauche mais il n’y avait pas de couloirs pour accéder à d’autres appartements. Il y avait seulement une porte. Iris constata son étonnement.
_ Mon appartement fait tout l’étage, lâcha-t-elle.
Mon Dieu, en plus de son charme et de sa beauté, cette femme devait être plus riche que lui ! pensa John.
La porte déverrouillait, ils entrèrent dans l’appartement. Un hall se présenta à eux, avec de la moquette rouge au sol. Les murs étaient blancs mais la décoration de style baroque coupait cette image classique.
Iris posa sa pochette sur la petite table à sa droite ainsi que ses clés. Elle ne regardait pas John. Ce dernier fit le même geste pour sa serviette et suivit la jeune femme. Ils allèrent en face, pour se retrouver dans un immense salon. Les couleurs dominantes étaient le bleu et le gris. Les tapisseries étaient bleu rois. Aux murs se trouvaient divers tableaux ainsi que des chandelles électriques pour éclairer la pièce. Celle-ci contenait au moins cinq fenêtres donnant sur le tout Paris ainsi que sa célèbre Tour Eiffel. Au centre, il y avait deux canapés de couleur argenté, accompagné d’une table basse en verre. Pas de meubles TV. Ce qui était étrange pour notre époque. Certes.
*
Iris l’invita à s’installer sur l’un des canapés. Il s’exécuta. Pendant qu’il continuait à admirer l’immense salon en passant par les bibliothèques anciennes gorgées de livres en cuivre ou modernes, Iris alla à son mini bar qui se trouvait dans un coin, juste derrière le canapé où était son invité.
Quel bel homme ! se dit-elle.
Ce soir, elle avait fait une belle prise. Non qu’elle se contentait d’hommes « haut de gammes » mais plus ils étaient beaux, plus ses petits bébés se régalaient, et quand le mariage suivait, elle devenait éblouissante. C’était comme ça, il fallait un juste milieu.
Parfois la vraie nourriture lui manquait. Compte tenu qu’elle n’était plus humaine, elle aimait autrefois, tester les nouveaux restaurants en vogue ou manger des friandises pendant les balades en parc. Malgré toutes ces années écoulées, elle se souvenait de tous ses souvenirs insignifiants. Pour les humains, ils pouvaient paraitre complètement absurdes mais pour elle, c’était une part de son humanité. Etant donné sa situation, ça comptait vraiment pour Iris.
_ Que veux-tu boire ? lui demanda-t-elle après être sorti de sa rêverie.
John se retourna pour lui faire face.
_ Oh ! Euh… un scotch, ça m’ira très bien, merci, répondit-il.
Tandis qu’il se remettait à sa position initiale, l’hôte prit deux verres afin que leur servir leurs breuvages. Tiens, il faudra racheter du gin.
Iris prit les verres et rejoignit son invité. Elle lui tendit son scotch pendant qu’elle prenait place à ses côtés.
_ Merci.
Il sirota une gorgée avec un air timide. Comme si il était gêné. Iris voulut entamer la conversation mais elle en avait déjà trop dit au bar. Au général, elle ne parlait pas énormément avec ces hommes mais celui-ci l’avait mis en confiance. Et puis, pourquoi ne pas s’autoriser quelques plaisirs ? Il n’y avait pas de règle. Enfin si, la seule et unique était : un par mois sinon elle pouvait dire adieu à la vie.
Finalement, après un long silence, elle but d’une traite son verre et décida de passer aux choses sérieuses. Après avoir déposé son verre sur la table, Iris prit celui de John et le posé à côté du sien. Sans qu’il puisse savoir ce qu’il se passait, Iris se jeta sur lui et posa ses lèvres sur les siennes.
Au début, John fut surpris mais ce sentiment dura une microseconde. Il répondu vite à son baiser en lui rendant son étreinte. Il glissa sa langue entre les lèvres d’Iris et commença une danse humide avec la sienne. La température était monté dans la pièce ou est-ce lui qui avait chaud tout d’un coup ? Surement.
Iris avait mis ses bras autour du coup de son amant. Ainsi elle pouvait le tenir près d’elle pendant ses bébés se réveillaient tout doucement dû à l’excitation du moment. Elle sentit quelque chose de dur contre sa cuisse. Apparemment, il n’y avait pas que ces bébés qui étaient excité. Iris sourit intérieurement car le moment était venu.
Délicatement, elle retira ses bras du cou de John et posa ses mains sur son chapeau. Elle l’avait gardé depuis tout ce temps. John se sentir vide sans les membres protecteurs de sa maitresse mais il pensa qu’elle avait une bonne raison d’avoir fait ce geste. Peut-être passer à la vitesse supérieure.
John voulut retourner Iris sur le canapé afin de se positionner sur elle et pouvoir savourer leurs baisers mais à ce moment-là, elle enleva son chapeau. Il était heureux. Enfin il allait apercevoir la chevelure de son amante et pouvoir toucher leur texture soigneuse… Il leva les yeux et vit un serpent. Non, deux serpents… Trois, quatre !
_ Mais c’est quoi ce bordel ?, cria-t-il tout en se dégageant de son entrain.
Il était debout, collé à la fausse cheminé, sur le mur en face des canapés. Iris se leva à son tour.
_ John, je te présente mes bébés. Mes bébés, dit-elle tout en prenant un serpent dans une de ses mains, je vous présente notre repas de ce soir.
John ne comprit pas tout de suite la fin de sa phrase. Ou plutôt la fin de sa révélation. Il était trop occupé à observer ses espèces de serpents qui faisaient office de cheveux sur le crâne d’Iris. Ils devaient être au moins une dizaine. Leurs écailles étaient noires, mais leurs yeux blancs coupaient cour à leurs habillages lugubres. Les « bébés » d’Iris bougèrent et entamèrent une danse mortuaire sur la tête de leur maitresse. On aurait dit qu’ils étaient contents de voir John, ou plutôt la peur dans ses yeux.
Après un long moment, Iris commença à s’avancer vers lui. Il leva son bras et la pointa du doigt.
_ Ne t’approche pas de moi, cria-t-il. Sorcière !
Il évalua la distance d’où il était jusqu’à la porte d’entrée. C’était long mais il pouvait le faire avec de la volonté. Pendant sa brève étude de distance, John n’avait pas aperçu la colère qui montait chez Iris.
Sa peau laineuse vire au rouge pivoine et ses serpents ne semblaient pas très contents.
_ Je ne suis pas une sorcière !, aboya-t-elle.
John profita de ce bref moment d’inattention pour commencer à courir vers la porte d’entrée. À peine eut-il fait quelques enjambées qu’il sentit une chose visqueuse à sa cheville. Sans avoir le temps de regarder son nouveau problème, John se sentir tiré avec violence en arrière. Il percuta un meuble et se cogna douloureusement la tête. Son esprit se transforma en galaxie rempli d’étoiles quelques secondes avant qu’il ouvre les yeux.
L’homme d’affaire vit l’un des serpents accrochés à sa cheville. Il se crut dans un film d’horreur. Voir une si jolie femme avec des serpents en guise de cheveux, ce n’était pas réel. Il en conclu qu’il devait rêver. Oui, c’est ça ! John avait beaucoup travaillé et il s’était endormi sur son bureau. Son sommeil lui jouait des tours, ce n’était pas la première fois.
Puis, il sentit une douleur derrière son crâne. Il toucha et aperçut du sang sur ses doigts. Ce simple geste excita le serpent accroché à sa cheville. Tel un élastique, il doubla de volume et s’approcha du sang. La chose lécha tout le liquide visqueux qui se trouvait sur la main, se détourna et se rangea auprès de ses compères sur le crâne d’Iris. Tel un bon soldat. John crut apercevoir un air satisfait sur sa figure. Non qu’il soit connaisseur en ce genre de chose.
*
Iris avait regardé son bébé attrapé puis lécha le sang sur John. Tels de petits protecteurs, quand on insultait leur maitresse, il fallait qu’ils passent à l’action. Après avoir retrouvé son bébé sur son crâne, son ventre gargouilla. En effet, sa faim se manifesta, ses bébés commençaient à s’impatienter et surtout, il ne fallait pas que l’homme s’échappe.
Dans un élan, Iris sauta et atterrit-en califourchon sur John. Elle le regarda quelques secondes afin d’imprimer son visage dans sa mémoire. Elle se souvenait de chaque homme qu’elle avait dévoré. Non par principe, mais pour respecter leurs mémoires. Et puis, elle leur devait la vie.
_ Merci, murmura-t-elle.
Mais avant que John puisse lui répondre, un de ses bébés s’immisça dans sa bouche. Celui-là aimait le sang à l’intérieur, encore chaud. Iris regarda son enfant pompait le sang à grande vitesse. Le visage de John commença à virer au bleu, il s’étouffait également. Chose normale. Mais Iris et ses bébés aimaient la chair fraiche et encore vivante. C’est pour ça qu’elle s’exécuta avec ses autres enfants avant qu’il ne meurt.
Deux « serpents » commencèrent à manger le haut de la tête, afin d’atteindre le cerveau rapidement. Les vaisseaux pétaient au fer et à mesure. En arrière son, on attendait des bruits de suçons. Iris mangeait le torse tandis que deux autres bébés passaient directement par les deux yeux. Enfin les deux trous où se trouvait les yeux. Effectivement, ces deux organes étaient déjà mangés depuis quelques minutes. Le sang giclait sur les murs. On pourrait penser à une peinture d’art mais ce n’était pas le cas. Par contre, aucune différence avec la moquette. Les deux couleurs similaires se fondaient parfaitement ensemble. Comme si deux copains qui se retrouvaient après tant d’années de séparation.
Avec sa bouche, Iris atteignit enfin le cœur. À l’aide de sa main, elle l’arracha. Quelques craquements se firent entendre mais elle ne s’en préoccupait pas. Dès qu’elle eut l’organe dans sa main, l’un de ses bébés s’arrêta de manger pour le contempler, tel un nouveau trophée. Iris le remarqua tout de suite.
_ Il est à moi, mon enfant.
La bête se détourna et replongea dans le crâne afin de finir le cerveau. Chaque fois, c’était pareil, il voulait le cœur mais celui-ci appartenait à Iris.
*
Après quelques jours, un ménage de printemps et une toute nouvelle beauté plus tard, Iris se baladait sur les Champs Elysées. Même si on disait que c’était la plus belle avenue du monde, la saleté de la rue ne leur donnait pas raison. C’était l’été. Saison de vacances, saison du soleil, saison de la fête. D’un air joyeux, Iris faisait les boutiques par centaines. Elle aimait les belles choses. Quand les hommes l’apercevaient, l’appel du désir faisait rage en eux. Eh bien, pour Iris, c’était pareil mais avec un nouveau chapeau.

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