Je courrai le plus rapidement possible. Je ne savais pas si j’étais poursuivi ou non, mais j’avais conscience d’être en danger. En très grand danger. Je ne ralentis pas et avançai le long du couloir sombre, humide et délabré de l’université dans laquelle je se trouvais. La faculté des sciences Andreï Alonzo, école abandonnée depuis plus de vingt ans.
Des rumeurs circulaient sur le net, disant qu’il s’agissait d’un des lieux les plus hantés de la planète. Ça avait attiré pas mal de monde, notamment les pseudo-détectives en paranormal. Et moi, celui qui tentait désespérément d’échapper à son destin, j’en étais un. J’étais le webmaster d’un site assez bien connu dans le domaine de l’étrange, appelé OcculTeam. J’avais choisis, sans consulter les autres membres de mon équipe, d’aller enquêter seul sur cette fameuse faculté. Quelle erreur…
Alors que je commençais à être à bout de souffle, je remarquai, à quelques mètres de ma position, une vieille porte en bois avec un écriteau, «Salle vidéo», au-dessus. Je fus soulagé un court instant avant de voir du coin de l’œil, à travers une fenêtre, une petite fille. Une étrange petite fille. Défigurée et mutilée, qui m’observait avec insistance. Son globe oculaire gauche n’était plus là, mais son regard était extrêmement oppressant, sachant que ses paupières droites avaient été découpées soigneusement, ne laissant qu’une énorme sphère blanche avec un iris bleu. Et ses lèvres, une véritable atrocité… le bord droit de sa bouche avait été élargi au couteau, laissant entrevoir toute sa mâchoire. Quant à l’autre partie, elle était cousue avec un épais fil noir. Son visage, certainement magnifique par le passé, n’avait plus rien d’humain. L’auteur de cette mutilation devait détester la symétrie, vu ce qu’il en avait fait. Une vision d’horreur qui m’aurait pétrifié si c’était la première fois que je la vis.
Je l’avais déjà croisée, cette enfant. Et c’était d’elle dont j’étais le moins effrayé, à vrai dire. J’avais complètement perdu la notion du temps. J’étais sûr d’avoir passé plusieurs jours dans cette école infernale, mais je ne voyais rien d’autre que la nuit. Une nuit sans lune ni étoiles. Une nuit sans fin.
J’arrivai finalement près de la salle vidéo, défonçant presque la porte lorsque j’y entrai et la fermant aussitôt. C’était une petite salle, bien plus petite qu’elle ne devrait l’être. Elle ne devait faire que trois ou quatre mètres carré, à vue de nez. Il n’y avait qu’un vieux tapis verdâtre, très poussiéreux. Une vieille télévision placée directement sur le sol était au centre de la pièce. J’observai les lieux assez rapidement et remarquai qu’il n’y avait aucune fenêtre. Seule une lampe de secours éclairait la pièce d’une faible lueur jaune, clignotant de temps en temps et laissant un léger bourdonnement se faire entendre. Je pensais être en sécurité dans ce local. Quelle naïveté…
Je m’écroulai sur le sol, dos au mur, en face de la télévision. Je sortis mon caméscope digital de ma poche et le plaça au-dessus de l’écran. Je tremblais comme une feuille et ma respiration était saccadée ; je faisais une petite crise de panique. Je paramétrai mon appareil durant quelques secondes et tournai l’écran vers moi afin que je puisse me voir, puis appuyai sur le bouton d’enregistrement de la caméra, émettant un son sec et bref. Je commençai à parler, avec une voix paniquée, en fixant l’objectif de l’appareil :
—Mon… mon nom est Cesare Del Mondo. Je suis le créateur de l’OcculTeam. Nous nous trouvons actuellement… dans une vieille université scientifique, la faculté Andreï Alonzo. Vous qui regardez cette vidéo, vous avez certainement déjà dû en entendre parler. Surtout, n’y allez jamais. Jamais ! Toutes les rumeurs sont vraies… et bien plus encore…
Un léger craquement détourna mon regard du caméscope. Mon souffle commença à être de plus en plus fort et rapide. Il y avait quelque chose d’autre dans cette pièce et, avec horreur, je la vis. J’avançai lentement mes mains vers son appareil. De la sueur ruisselait sur mon visage et mon pouls était extrêmement rapide.
—Cette fille. C’est elle. Elle me suit depuis un certain temps déjà… je ne sais pas ce qu’est cette gamine ni ce qu’elle me veut, mais elle m’observe sans arrêt. Re… regardez par vous-même.
Je déplaçai la caméra afin d’avoir l’objectif en face de la petite fille. Je retournai l’écran de manière à vérifier si elle était bien visible. Et c’était le cas. On pouvait la voir entièrement, désormais. Hormis son visage mutilé, on remarquait qu’elle avait de longs cheveux roux, serpentant sur le sol. Elle revêtait une robe noire, allant jusqu’à ses genoux et sa peau était aussi blanche que celle d’un cadavre. Mais je remarquai quelque chose d’étrange… Une substance rouge, vraisemblablement visqueuse, coulait le long de sa jambe gauche. Était-ce du sang ? Je n’en savais rien. Et je ne voulais pas le savoir.
Soudainement, l’enfant leva son bras et me pointa du doigt. C’était la première fois que je la voyais bouger. Intrigué et tétanisé, je remis mon caméscope à sa position d’origine et retournai à nouveau l’écran pour pouvoir me voir. Ce fût encore une erreur. Une dernière erreur.
Il y avait autour de moi deux grand bras blanchâtres, exagérément fins et effroyablement immobile. J’eus son souffle coupé et je sentis que mon cœur était sur le point d’exploser, tant j’étais terrifié. Des larmes commençaient à couler, longeant mes joues et se mélangeant à ma transpiration.
—Oh non… non, non, non…
Je répétai sans cesse ce mot. Je ne savais plus quoi faire et perdis le peu d’espoir qu’il me restait. Je regardais le petit écran. Je me regardais. C’est alors que des interférences commencèrent à apparaître sur la vidéo, comme si la bande de la cassette était abimée. Sauf qu’il n’y avait pas de casette, étant donné qu’il s’agissait d’une caméra digitale.
Une nouvelle fois, un étrange bruit détourna mon regard de la vidéo. À ce même moment, les deux bras m’agrippèrent sauvagement. Je tentai de se débattre un court instant mais abandonnai rapidement. Je ne pouvais pas me libérer et je le savais. Tout à coup, et malgré moi, je vis mon visage se faire de plus en plus grave et dépourvu d’espoir.
—Non… pitié, je vous en supplie. Ne faites pas ça… ne faites pas ça ! Pitié !
Je commençai à hurler, si fort qu’on aurait pu me comparer à un animal. J’agonisais énormément, de fortes douleurs, comme des brûlures, ravageaient ma nuque et mes yeux. Mon corps débuta à avoir de violents spasmes. Des larmes de sang ruisselaient en abondance le long de mon visage. Avant de rendre mon dernier souffle, je tentai d’enregistrer une dernière chose. Un dernier avertissement.
—Si vous venez… quand même. Ne lisez surtout pas… les rapports… surtout pas.
Je toussai violemment, crachant un volume de sang assez conséquent.
—Ces documents… sont la clé. Il ne faut pas les lire… surtout pas sinon… l’enfer viendra à vous.
Les interférences sur la vidéo devinrent telles qu’il était dorénavant impossible de voir quoi que ce soit sur l’image. La caméra ne pouvait plus rien enregistrer.
Mon corps convulsa une dernière fois, et je rendis mon dernier soupir…
Et cette mort, elle se répétait encore et encore… Toujours la même chose… Je courrais, j’étais bloqué dans cette salle, je mourais.
Et ça recommençait.

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