— Dites-moi les enfants, savez-vous comment nous sommes devenus sans histoire ?
La voix forte du guide avait retenti dans le musée. Autour de lui, une vingtaine d’élèves s’égayait. Certains écoutaient religieusement, d’autres semblaient dans la lune ; et d’autres encore se chamaillaient sans prêter attention au lieu dans lequel ils se trouvaient. Son fils faisait partie de la dernière catégorie.
Accoudé à la rambarde, Jok observait la classe de son fils sur l’esplanade en contrebas. À tout juste sept ans, son fils s’intéressait peu à l’Histoire, ou au manque d’Histoire, de son peuple. Il pouvait aisément le comprendre, il était pareil au même âge… et même encore aujourd’hui, parfois…
Le guide reprit, peu vexé du manque d’intérêt de son auditoire.
— Ça a commencé il y a presque 800 ans, quand nos ancêtres ont décidé de faire un immense feu de joie. À cette époque, l’informatique existait encore, et servait de base pour tous les rouages de la société : transports, finances, communication, culture…
Jok leva les yeux au ciel. Est-ce que cet imbécile réalisait qu’il s’adressait à des gamins de sept ans ?
— En 3350 donc, continuait le guide, un mouvement pro-technologique s’est emparé du gouvernement. Ils ont décidé de détruire toutes les pièces culturelles qui n’étaient pas numériques, après en avoir créé des copies soi-disant indestructibles. Ils ont donc brûlé tous les livres, les tableaux, les œuvres musicales… Il y a eu peu de changement dans un premier temps, jusqu’au jour où le gouvernement s’est fait détrôner.
Jok sentit soudain une présence sur sa droite. Il n’avait pas besoin de regarder pour reconnaître l’identité de la nouvelle arrivée. Il pouvait reconnaître le parfum capiteux de son ex-femme entre tous. Il fallait croire qu’en plus d’affecter la vue, l’amour affectait aussi l’odorat. Comment avait-il pu supporter cette odeur si longtemps ?
— Cet idiot utilise l’ancien calendrier, commenta-t-il en guise de salut. Tu parles que les enfants vont comprendre !
— Qu’est-ce que tu fous là ? lui répondit sèchement Lisia.
Il lui lança un coup d’œil sarcastique.
— Je m’instruis.
Elle leva les yeux au ciel et laissa échapper un court soupir agacé. Il ne se rappelait plus le moment où elle avait cessé d’apprécier ses boutades. Ça s’était fait progressivement sans doute.
Elle replaça nerveusement une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille puis reprit la parole.
— Il n’est sans doute jamais trop tard pour qu’un ignare comme toi veuille se cultiver…
Ses dents grincèrent. Il ne voulait pas s’emporter… pas ici, dans un lieu public, pas devant son fils. Mais seigneur, elle ne lui rendait pas la tâche facile. Pour éviter un engrenage de mots doux et autres tendres paroles, il décida de se montrer franc.
— Je voulais le voir, expliqua-t-il en désignant Tom d’un signe de tête. Il a beaucoup changé.
— Tu ne l’as pas vu depuis cinq mois. Les enfants se développent vite à cet âge-là.
Il grimaça.
— Si je le voyais plus souvent…
— Ne rejette pas la faute sur moi, je ne t’empêche pas de lui rendre visite. Tu nous as toujours préféré la Communauté. Tu es le premier responsable de ce qui nous est arrivé.
— Tu savais à quoi tu t’engageais dès notre première rencontre.
Après tout, il était en service quand leurs regards s’étaient croisés pour la première fois. Elle avait su aussitôt qu’il appartenait à la Première Garde, le service d’élite pour la protection de la Communauté. Et c’était d’ailleurs ce qui l’avait majoritairement séduite de prime abord. Mais au fil des années de leur relation, elle avait compris qu’elle ne remplacerait jamais son métier et sa mission dans le cœur de son mari. De son côté, Jok s’était peu à peu lassé de la superficialité grandissante de Lisia. L’amertume et l’indifférence s’étaient infiltrées dans leur relation, et leur amour s’était consumé, ne laissant que des cendres… et Tom. C’était incontestablement ce qu’ils avaient fait de mieux ensemble.
— Quand es-tu rentré de mission ? demanda Lisia, plus pour nourrir la conversation que par réel intérêt.
— Avant-hier. J’ai dormi depuis.
— À force de voyager, on pourrait croire que tu serais immunisé contre le décalage horaire.
— Je suis peut-être un membre de la Première Garde, mais je reste un être humain.
Sous ses yeux, le groupe d’élèves s’agita pour suivre le guide et quitter la salle. Jok hésita un instant. Devait-il les suivre à son tour ? Il avait ressenti l’étrange besoin de voir son fils ce matin. C’était fait mais il aurait aimé lui parler également, et partager quelques jeux. Devait-il pour autant interrompre sa journée de classe ? Il n’en était pas certain. Un enfant avait besoin de stabilité. Tout le monde le lui répétait à longueur de journée. Et il était loin d’en procurer, même si c’était son boulot de la protéger.
— Tu pourras venir le voir ce soir, proposa Lisia, comme si elle venait de lire ses pensées.
Il hocha la tête en guise de remerciement.
— J’essaierai.
Un éclat de rire incrédule lui échappa.
— Tu essaieras ?
— J’ai un rendez-vous de la plus haute importance dans deux heures.
Il ne pouvait pas lui dire que c’étaient le vice chancelier et le chef de la garde qui avait demandé à le voir. C’était top secret.
Lisia ne fut pas surprise, mais probablement déçue une nouvelle fois.
— Je loue le ciel que Tom ne t’ai pas aperçu. Tu lui aurais à nouveau brisé le cœur.
Il serra les poings, blessé par ses propos, et surtout par la vérité qu’ils contenaient. Il était loin d’être le père de l’année, et pourtant, il aimait son fils de tous les atomes de son être. Il voulait faire des efforts, mais ils étaient parfois en contradiction avec la réalité de son métier.
— Je t’appellerai ce soir, décida-t-il.
Elle accepta d’un mouvement de tête, ne semblant pas convaincue pour autant. Jok ne s’attarda pas sur sa réaction et prit le chemin de la sortie. Il avait encore à faire avant de rencontrer le vice chancelier.

*

La vice-chancellerie était cise non loin de l’ancien château en pierre brune. On avait beau l’entretenir, le vieux bâtiment tombait par endroit en ruine. Jok s’interrogeait à chaque fois qu’il passait devant. Quand avait-il été construit ? Des siècles plus tôt probablement, voire même des millénaires. Il était déjà là lors du grand Renouveau, et ce dernier datait déjà de presque huit siècles. Ce robuste palais avait dû en voir passer des générations et des générations.
Il secoua la tête pour se débarrasser de ces pensées tentaculaires. Peu importait les secrets d’un passé qu’il ne pourrait jamais connaître ; il était attendu.
Il se dirigea à grand pas vers les marches du palais qui abritait la vice-chancellerie. Sous le large porche cerclé par de haute colonne en marbre, un garde l’accueillit dans sa guérite. Jok avait beau être connu de ses pairs, il devait pour autant montrer patte blanche pour entrer dans l’antre du gouvernement, sans compter que les temps étaient troubles dernièrement.
Son identification effectuée, il pénétra dans le hall luxueux. Même s’il n’en montrait rien, il s’émerveillait toujours de ces murs recouverts de marbres, de miroirs et de draperie. La marqueterie au sol relevait d’un travail de maître, et la hauteur sous plafond était prodigieuse. Quant aux lustres qui pendaient, ils s’apparentaient presque à une cascade de diamants lumineuse.
Il se dirigea vers l’accueil, où Kendra, l’hôtesse, l’accueillit d’un sourire radieux. Jok faisait généralement cet effet-là aux femmes, sans forcément le rechercher. Loin de lui l’idée de s’en plaindre ; ça lui facilitait souvent son travail.
— Bonjour Kendra ! la salua-t-il. Toujours fidèle au poste !
— Plus que jamais ! Je reçois ma prime annuelle ce soir.
Il lâcha un rire amusé puis lui expliqua les raisons de sa présence.
— J’ai rendez-vous avec Messieurs Kerman et Smith.
Elle haussa un délicat sourcil intrigué, mais ne fit aucun commentaire. Elle hocha plutôt la tête et prit son téléphone.
— Miss Emerson ? fit-elle quelques instants plus tard dans le combiné. M. Jok Piersen est arrivé.
Un silence, puis :
— Très bien, je vous l’envoie.
Elle raccrocha puis releva les yeux vers lui.
— Ils vous attendent. Vous prenez l’ascenseur et…
— Je connais le chemin, la coupa-t-il. A plus tard, Kendra !
Il s’éloigna sur un dernier sourire. Il s’élança dans le dédale du bâtiment et arriva bientôt dans le salon de réception du vice-chancelier, situé au deuxième étage. Là encore, il dut se soumettre à plusieurs identifications et fouilles au corps avant de pouvoir pénétrer dans l’antichambre. Dans cette pièce, la fameuse miss Emerson était la dernière barrière entre lui et le vice-chancelier. L’assistante était une vraie beauté : de fin cheveux blonds comme les blés caracolaient sur un port de tête fier et gracieux, souligné par une poitrine ferme qui faisait rêver tous les hommes, lui compris. Beaucoup s’étaient cassés les dents en essayant de séduire la charmante célibataire. Il n’avait jamais tenté sa chance, tout simplement parce que le regard de la divine créature révélait parfois un caractère manipulateur. Il ne voulait pas se créer de problèmes inutiles. D’autant plus que les rumeurs lui prêtaient une liaison avec le vice-chancelier. Même s’il n’y croyait qu’à moitié, il n’allait pas tenter le diable.
Il s’avança vers elle et la salua solennellement. Elle répondit à son salut par un léger hochement de tête et indiqua.
— Il ne devrait pas tarder à vous recevoir. Veuillez patienter.
Il obéit et alla s’asseoir dans l’un des confortables fauteuils qui paraient le mur. On lui avait un jour dit que ce type de fauteuil s’appelait une bergère. Il se désintéressa rapidement de ce sujet et posa son regard sur l’imposante porte en bois sculpté qui menait vers le bureau de Kerman.
Que pouvaient bien lui vouloir ses dirigeants ? Était-ce le conflit couvant dans les plaines ouzbeks qui les inquiétaient ? D’après les derniers renseignements qu’il avait reçus, la dernière crise qui aurait pu faire exploser la situation avait été enrayée. Une autre était-elle en train de se déclarer ?
Ses nerfs se contractaient peu à peu. La République Terrienne n’avait jamais été tant menacée que ces derniers temps.
Après des minutes qui lui parurent des heures, la porte s’ouvrit enfin sur le chef de la garde. Smith avait les traits tirés. Sans nul doute, la situation était inquiétante.
Jok se leva et avança de quelques pas.
— Bonjour Jok. Veuillez me suivre s’il vous plait.
Il obtempéra et entra à sa suite dans l’antre du vice-chancelier. De hautes fenêtres laissaient entrer des flots de lumières. La décoration était simple, sans chichi, à mille lieux de l’ambiance du reste du bâtiment.
Kerman n’était pas derrière son bureau comme Jok s’y était attendu, mais assis dans un des fauteuils de cuirs, près d’une majestueuse bibliothèque peuplée de livres en tout genre. Du moins, le supposait-il, il ne voyait pas les titres des ouvrages à cette distance.
Le vice-chancelier l’accueillit d’un simple hochement de tête, et lui fit signe de venir s’asseoir face à lui. Jok s’exécuta sans mot dire, inexplicablement nerveux. Quelque chose dans l’atmosphère de la pièce le mettait mal à l’aise. Smith les rejoignit à son tour.
Le silence s’imposait, jusqu’à ce que finalement, Kerman prenne la parole.
— C’est une affaire extrêmement grave qui nous concerne.
Jok retint une remarque sarcastique. Il se doutait bien qu’il n’avait pas été convoqué pour parler des résultats des dernières courses hippiques.
— Je vous écoute.
Kerman lâcha un court soupir et fit signe à Smith de prendre la suite. La voix de ce dernier s’éleva, ferme et légèrement tendue.
— Vous n’en êtes pas sans connaître la situation politique actuelle. Différents groupuscule extrêmes se créent, sans parler des mouvements indépendantistes qui se font de plus en plus forts. Nous les gardons à l’œil, mais le climat actuel nous laisse à penser qu’il en existe bien plus qu’à notre connaissance.
L’agent hocha la tête pendant que son chef continuait.
— Une équipe est intervenue dernièrement dans la péninsule ibérique pour démanteler un de ces groupuscules. Nous avons intercepté l’un de leurs agents qui transportait des messages vers des destinataires inconnus. Il n’a pas voulu nous fournir leur identité et il s’est… suicidé avant que nous puissions l’interroger davantage.
Jok grimaça, il commençait à comprendre où tout cela le menait.
— Et que disent ces messages ?
Smith laissa échapper un grognement contrarié.
— Nous ne les avons pas déchiffrés.
Jok haussa les sourcils.
— Nous avons des cryptographes extrêmement compétents. Je suis certain qu’ils rompront le code rapidement.
— Les messages ne sont pas codés, intervint Kerman.
L’espion ouvrit des yeux surpris.
— Comment ça ?
Son chef soupira avant d’attraper un minuscule rouleau de papier qui était posé sur un guéridon. Il le lui tendit. Jok s’en empara et déroula le morceau de vélin qui ne devait pas faire plus de cinq centimètres de hauteur. Ses sourcils se froncèrent quand il découvrit le contenu. Rien n’était inscrit d’autres que divers symboles tracés avec une suite de traits maladroits.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? s’exclama-t-il.
— C’est ce que tout à chacun se demande, soupira le vice-chancelier. Après quelques études, nous pensons qu’il s’agit d’une langue infiniment ancienne. Une langue qu’il va sans dire personne ne sait déchiffrer.
— Pourtant, quelqu’un a bien écrit ce message.
Un simple hochement de tête lui répondit.
Les neurones se mirent en marche dans le cerveau de Jok. Ses synapses se connectèrent. Un message secret rédigé dans une langue qui avait disparu du savoir de l’Humanité depuis des siècles. Comment cela Diable était-il possible ? À moins que les morts ne se relèvent de leurs tombes…
Il frissonna soudain et demanda d’une voix d’où il ne parvint pas à effacer son angoisse.
— Avez-vous interrogé les Éveillés ?
Ses deux interlocuteurs échangèrent un regard, et Smith lui répondit.
— En effet, le Grand Maître de la branche Européenne nous a reçus. Il confirme ce que nous pensions. Il s’agirait d’une langue appelé sumérien, qui daterait de plus de sept millénaires.
Les yeux de Jok s’ébahirent davantage. Il toussota pour retrouver sa voix et s’enquit.
— A-t-il pu le traduire ?
— Non, et selon lui, aucune de ses ouailles n’est en mesure de le faire.
— Et pourtant…
— Oui je sais, et pourtant quelqu’un a rédigé ce message. Prenez en compte que tous les Éveillés ne rejoignent malheureusement pas la secte.
Jok émit un grognement songeur.
— Les individus que nous recherchons peuvent très bien faire partie de la secte. Si c’est le cas, leur chef ne nous les livrerait jamais. Surtout s’il est engagé dans un quelconque complot.
Le regard froid de Kerman se posa sur lui.
— J’ai l’impression que vous ne les portez pas dans votre cœur.
L’espion retint un nouveau frisson.
— En effet. Traverser les siècles de cette façon, c’est… contre-nature.
Le vice-chancelier porta son regard songeur vers Smith. Jok eut l’impression qu’une conversation muette se déroulait devant lui, sans qu’il n’en comprenne exactement les tenants et les aboutissants. Il reprit.
— Vu la teneur de ce message, il est évident que des Éveillés sont de toutes manières derrière tout ça. Je suppose que vous m’avez appelez pour que je les traque et découvre le fin mot de l’histoire.
Kerman laissa échapper un court soupir.
— Oui et non. Nous voulons évidemment que vous résolviez ce mystère, mais nous allons vous adjoindre quelqu’un pour vous assister ; une personne à même de traduire ce langage.
Jok fronça les sourcils.
— Mais vous venez de dire…
Ses interlocuteurs se contentèrent de l’observer sans mot dire. Jok commença à comprendre.
— Non…
Il se leva précipitamment et s’exclama.
— Hors de question que je me coltine une de ces saloperies de glaçons ! Je n’ai aucune envie de jouer les baby-sitters !
Kerman ne tint aucun compte de son éclat et s’empara d’un dossier qu’il feuilleta en expliquant.
— Le docteur Anya Rivière était une linguiste de renom, maîtrisant entre autre le sumérien. Elle a été cryogénéisée suite au diagnostic d’un cancer cérébral, à l’aube de la création de cette technologie en 2038. En comptant avec l’ancien calendrier, cela va sans dire. Nous allons la réveiller.
Un grondement rageur s’échappa de la gorge de Jok.
— Je suis sûr qu’il y a un autre moyen.
— Nous planchons sur ce problème depuis deux semaines, révéla Smith. Croyez-moi, c’est la seule solution.
Jok grogna à nouveau.
— Et vous ne pouvez pas refiler la momie à quelqu’un d’autre ?
— Vous êtes le meilleur. Écoutez, Jok, on ne vous demande pas de l’aimer, ni même de l’apprécier. Nous avons juste besoin de ses connaissances.
Jok inspira profondément. Il se sentait déjà céder. Après tout, cette affaire s’annonçait bien trop grave pour qu’il la laisse de côté.
— Très bien, cèda-t-il. Donnez-moi son dossier.

*

Il détestait cet endroit. Le Centre de conservation des Anciens. Ou le frigo, comme il l’appelait. C’était un des lieux les plus sécurisés de la planète. Et pour cause, il menait vers la vaste chambre forte où des personnes vieilles de plusieurs siècles reposaient dans un sommeil glacé.
Après le grand Renouveau, on avait perdu la trace de tous ces ancêtres cryogénisés. Pour les protéger des troubles, ils avaient été enterrés dans des niches souterraines, et oubliés. Il avait fallu attendre six siècles pour les retrouver. Un peu partout sur Terre, des groupes d’explorateurs découvrait des chambres fortes, nouvelles générations de tombeaux où les morts n’étaient plus vraiment morts. Les corps avaient été rapatriés à la Capitale, où les scientifiques du gouvernement avaient peaufiné leurs connaissances de cette technologie.
Leurs expériences les avaient bien entendu mené à réveiller certains sujets. Ces derniers s’étaient plus ou moins bien adapté à leur nouvel environnement, mains au grand damne des scientifiques, se montraient laconique sur leur histoire.
Jok grimaça en signant le registre des visites. Il aurait préféré se retrouver parachuté au milieu des troupes terroristes Ouzbeks plutôt que d’être ici. Les vigiles du lieu le conduisirent vers une porte électroniquement fermée. L’un des gardes composa le code d’identification. Jok avait l’impression de se retrouver devant un coffre-fort… ce qui était un peu le cas en y réfléchissant. Sauf qu’il n’avait aucune envie de braquer le genre de billets verts qu’il contenait.
La porte s’ouvrit avec un clac sonore. De l’autre côté, l’attendait un homme en blouse blanche. Il devait avoir à peu près son âge, mais lui avait perdu tous ses cheveux. Pauvre vieux.
— M. Piersen ? s’enquit-il.
L’espion hocha la tête et lui tendit la main sans mot dire. Son interlocuteur se présenta.
— Je suis le docteur Thomson. Je suis en charge de cette opération de réveil.
— Sacré veinard, commenta Jok, pince-sans-rire. Allons-y, j’ai pas de temps à perdre.
Thomson haussa des sourcils surpris, puis lui désigna le couloir d’un ample geste du bras. Jok s’y engagea, accompagné du scientifique.
Ils firent quelques pas, puis Jok déclara.
— J’aimerais voir le corps avant que vous ne le sortiez de stase.
— Le corps… Anya, vous voulez dire ?
Il abonda d’un grognement contrarié. Ce type appelait vraiment ces tas d’os par leur petit nom ?
— Je vous y emmène. Nous avons transféré sa capsule en salle d’opération. Nous devons guérir son cancer avant son réveil.
Jok leva les yeux au ciel. Il avait oublié cette histoire de maladie. Quelle perte de temps !
Les deux hommes arrivèrent enfin dans une salle à la pointe de la technologie médicale. Au centre, trônait une table d’opération, surmonté d’un impressionnant laser.
Le regard de Jok se riva dans le coin nord-est de la pièce. C’était à cet endroit que se trouvait la capsule de cryogénisation. C’était la plus étrange qu’il ait jamais vu, la plus ancienne aussi. C’était un miracle qu’elle ait fonctionné jusque-là. En admettant que le cerveau du Professeur Rivière n’ait pas grillé depuis.
Il s’approcha de quelques pas et vit alors un visage derrière la vitre. Il réprima un sursaut. Ça y était, il avait mis des traits humains derrière un concept.
Il l’observa plus attentivement. Elle avait l’air sereine, juste endormie. De longs cils papillonnaient sur des joues légèrement rebondies. Son petit nez retroussé était adorable et ses lèvres joliment charnues lui donnèrent la subite envie de se pencher vers elle. Il serra les poings. Il n’allait pas être attiré par cette reine des glaces, tout de même !
Thomson arriva derrière lui.
— Plutôt jolie, n’est-ce pas ?
— Elle paraît incroyablement fragile, commenta Jok en avisant la frêle carrure de l’ancêtre.
— À cette époque, les êtres humains étaient plus petits que maintenant.
Il approuva d’un grognement. Thomson reprit la parole.
— Nous y allons ?
— Bien sûr, on ne va pas attendre le dégel.
— Très drôle.
Thomson fit signe à ses collaborateurs. Ils se dirigèrent vers la capsule. Jok se recula pour leur laisser le champ libre. Il leur fallut une dizaine de minutes avant de pouvoir sortir le corps d’Anya Rivière. Ils déposèrent la jeune femme toujours inconsciente sur la table d’opération. Ses longs cheveux châtains clairs lui offrir un coussin moelleux.
Jok sentit une étrange émotion l’assaillir. Il la repoussa vite.
— Prévenez-moi quand l’opération sera terminée. Je serai dans la salle de consultation des dossiers.

134