À Balbea, dans un vaste royaume, reposait une magie interdite. Les légendes sont racontées par les vieillards et crues par des enfants. Tandis que ceux qui renient la féerie et la nécromancie se dissimulent. Le village n’est guère bouillonnant et productif ; les ressources ont diminué et le commerce s’affaiblit. Le seigneur est au courant de tout, et cela le rend effaré. Depuis enfant, il maudit la magie et fait son possible pour l’éloigner de ses terres. Mais la magie est une force tellement puissante, pouvant éliminer n’importe qui. Elle a donné naissance aux elfes : les pires ennemies du roi. Puis aux nécromanciens, et elle s’est divisée en plusieurs catégories.
Le seigneur s’est juré qu’il ne laisserait aucune chance aux humains ayant une quiconque relations avec les elfes, de tuer toutes personnes suspectées d’utiliser la magie. Il avait chassé cette profonde pitié dans son cœur pour sauver son royaume des griffes de la féerie. Et c’était dans une désolante journée d’automne, que le seigneur décidait de signaler son peuple et de menacer les magiciens. Ils espéraient les apeurer, les provoquer. Même si un jour, les nécromanciens se révolteront, il continuera à les dénoncer comme les rejetons du diable.

Aujourd’hui, au centre de l’agora du royaume, se trouvait une foule énorme, mais silencieuse. Enfants, hommes, femmes assistaient obligatoirement à une terrible exécution sommaire dont les victimes étaient jugées d’utiliser la magie. Décapitation, pendaison, deux punitions rapides et exemplaires, selon le seigneur, pour endurcir le peuple à affronter la terreur. Les cordes nouées étaient suspendues en l’air, attendant de trucider quelqu’un. Les victimes derrière, les observaient, apeurées, les mains attachées. Une vingtaine de paysans était assemblée plus loin. Ceux-là devaient être décapités.
Un silence de plomb s’abattit sur la place, tandis que le crieur commença son discours :

« En cette sévère journée, nous tous, peuple de Balbea, assistions à l’exécution de nombreux scélérats, suspects de pratiquer la magie. D’après la loi instaurée, il y a quatre ans, les pratiquants magiciens doivent être bannis ; nul être magique ne doit passer les frontières du royaume sous peine d’être pendu ou guillotiné. »

Au milieu du peuple, se trouvait une femme, travaillant pour le seigneur en tant que fauconnière. Cette jeune femme, Léola, était une métamorphe. Sorcière pratiquant l’art de parler aux animaux, et de prendre leur forme. Elle aussi pourrait être à la place des victimes, mais elle demeurait trop discrète.
Parmi les prisonniers, elle savait qu’il y avait des sorciers du même type qu’elle. Même autour d’elle, beaucoup de sorciers se faisaient passer pour des paysans innocents. Mais pourtant, ils étaient là, observant silencieusement le spectacle, en songeant déjà à quitter le royaume pour éviter cette stupide mort.
En hauteur, étaient placés les nobles ainsi que les hauts-gradés, sur un balcon majestueux. Le seigneur, Valérien Tùrambar, était en première ligne, fixant avec rage et triomphe les victimes alignées devant les cordes. C’était cet homme puissant qui avait organisé ce spectacle, espérant provoquer les sorciers. Évidemment, il savait que leurs alliés étaient cachés dans la foule. Il scrutait de loin, chaque personnage encapuchonné devinant qu’ils étaient des sorciers se faisant passer pour des individus. Ils les traitaient de lâches et de traîtres.
Derrière lui, se tenaient droits ses deux fils. L’aîné à droite, Dwen, qui attendait cette exécution avec plaisir. Et le cadet, Orhan, ses yeux fixant le sol, n’osant regarder les victimes terrorisées.
Orhan s’était toujours opposé à son père et à son frère. La magie n’était pas dangereuse, pour lui, elle était seulement dangereuse quand on la magnait mal. Il était même connu par les elfes, c’était un allié pour eux et un traître pour son père. Mais celui-ci ignorait que son fils trafiquait avec ses pires ennemis, heureusement, ou il lui aurait déjà coupé la tête.

« Par conséquent, par les pouvoirs qui me sont conférés, j’ordonne l’exécution de ces traîtres par pendaison jusqu’à ce que mort s’en suive, acheva le crieur. »

Durant quelques minutes atroces, pendant que les victimes passaient tristement leurs têtes dans les cordes, Léola sentait son cœur battre à tout rompre. Un mélange de folie, de rage et de peur s’emparait d’elle. Face à ce désastre, elle se sentait impuissante, et elle l’était malheureusement. Elle entendit un enfant pleurer. Ces cris innocents pouvaient briser le cœur de n’importe qui. Si seulement le seigneur entendait ces plaintes.

Soudain, les roulements de tambours brisèrent le silence, la sorcière baissa la tête, en maudissant ces bruits insupportables. Le seigneur admirait avec triomphe les larmes couler sur les joues des piteuses victimes. Elles le foudroyaient d’un regard menaçant, et cela le faisait sourire. Valérian tourna le regard vers Dwen, qui souriait jusqu’aux oreilles, attendant que les cordes aient à leur bout des corps inertes, vacillants dans l’air. Tandis qu’Orhan ne ressentait plus qu’une haine affreuse envers son père.
Tout d’un coup, le levier s’abaissa, et les victimes se laissèrent tomber dans le vide. Le seigneur savoura ce silence de mort. Léola avait baissé les yeux au moment fatidique, et entendit un corbeau perché sur le toit d’une maison. Elle tourna les yeux vers celui-ci et l’observa s’envoler. Pour la sorcière, cet oiseau représentait les âmes des victimes. Les croassements du corbeau semblaient pour elle, des signes d’adieu.
Les cadavres furent sauvagement jetés dans une charrette. Le souverain en aperçut un, une femme, ayant des cheveux dorés, comme ceux de son ancienne femme, tuée par les elfes. Son cœur tambourinait rien qu’en pensant à la manière dont ils l’avaient tuée. Il était devenu le plus heureux des hommes en sachant qu’il faisait battre le cœur de sa bien-aimée. Mais maintenant, elle était morte, le cœur inerte. Elle l’avait oublié. Et le roi espérait l’oublier un jour, aussi. Une profonde haine le fit grimacer de dégoût.

Dwen fixait son frère, un rictus féroce aux lèvres. Il se moquait de lui, car il n’avait pas osé regarder. Son grand frère lui répétait sans cesse qu’il était faible, et qu’il ne prendra jamais la place du trône s’il continuait à éviter les regards attristés des misérables paysans.
Le cadet quitta le balcon, il ne voulait pas assister à la seconde exécution. Tout ceci était injuste. Parmi les victimes se trouvaient des innocents, et pour lui, rien ne le rendait plus fou de rage que l’injustice. Dwen lâcha un rire provocateur à son frère, avant qu’il s’en aille. Lui aussi, aimait être puissant et dominer son frère était un régal.

Léola s’empressa de quitter la foule, mais à la limite, un garde l’empêcha de partir. Il l’obligea à regarder. Donc, personne ne pouvait partir de cette foule. Même les plus petits, les plus susceptibles, devaient assister à cet abominable spectacle. Elle comprit que c’était une vraie provocation. Il est vrai qu’elle pouvait toujours s’enfuir, sous la forme d’un rat ou d’une souris, puis en zigzaguant entre les paysans. Mais pendant cet événement, elle préférait éviter, c’était trop risqué. Ses yeux se fermèrent pendant que la première tête d’une victime tomba sur le sol.

Le premier décapité était apparemment « un sorcier dangereux ». Ils avaient inventé ce personnage en prenant le corps d’un innocent, Léola le devinait. Le crieur brandissait la tête de la victime au-dessus du peuple, en l’éclaboussant de sang. Il montrait cette tête comme une victoire, comme la fin de la guerre, cependant, c’était totalement le contraire. Ils ne faisaient qu’attirer dangereusement la guerre.

Grâce à son regard précis, malgré son vieil âge, le souverain aperçut une femme voulant quitter la foule. Il distinguait difficilement qui elle était, puis il se rendit compte que c’était sa fauconnière. Léola. Cette jeune brune. Il la considérait comme sa petite protégée depuis qu’il l’avait trouvée dans la forêt. Lui donner un boulot au château était une action dont il était fier. Car depuis, elle avait oublié son terrible passé. Mais, savoir qu’elle était tourmentée face à ce spectacle, l’attristait. Il se comportait comme un père envers elle, et parfois, il se surprenait à penser à elle. C’était en quelque sorte son sauveur. C’est sans doute pour ça qu’il l’aimait tant. En rendant ce spectacle public, il espérait qu’elle l’admire encore plus. N’était-elle pas contre les monstres ? C’était décevant de la voir, fuir cette exécution.

Par conséquent, il se sentait puissant, mais quelque peu préoccupé par l’absence de son fils, Orhan. Il n’avait pas à s’enfuir comme un loup. Le peuple n’a pas ce droit, alors pourquoi Orhan l’aurait ?

Sa réussite avait fait la haine du peuple et de son fils.  » Une énième victoire  » pensa-t-il.

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