L’enfant marchait entre les allées commerçantes, dansante. Ses pieds glissaient sur la pierre comme un nuage dans le ciel. La capuche rabattue sur son visage lui donnait cet air mystérieux qu’ont les voyageurs en exil et la rendait étrangère à ceux qui l’entouraient. Personne ne la reconnaissait, elle ressemblait à tant de vieillards et de marchants avec ce chaperon sur les cheveux. Seul le bout de son nez dépassait de la grotte où s’abritait son visage et sa masse de cheveux roux, comme un enfant-ours trop pressé de voir le monde extérieur.
Ses pieds s’arrêtèrent devant un stand de nourriture. Le vendeur mettait des fruits dans un panier pour une vieille dame tout en discutant avec elle.
L’enfant encapuchonnée en profita. Ses doigts se tendirent vers une pomme juteuse et s’en saisit. Elle salivait déjà en pensant au moment où elle croquerait dans le fruit.
Une main attrapa soudainement la sienne.
La gamine se tourna vers celui qui la tenait. Un surveillant de stand, comme c’était orignal. Elle avait oublié que, maintenant, il y en avait dans cette rue-là.
L’homme avait un regard dur. Il dégagea sa cape pour montrer une épée et un gourdin. Non mais, qui utilise encore une épée ? Se moqua-t-elle intérieurement.
La fille rit et retira son chaperon. Le regard de colère du surveillant se mouva en une expression de surprise.
– Oh désolé, je ne savais pas que c’était toi. Sers-toi comme tu veux.
La gamine haussa les épaules.
Les fruits, c’était moins amusant en libre service.
Elle rabattit sa capuche et s’en alla tranquillement en croquant dans sa pomme. Elle entendit le surveillant de stand dire au vendeur :
– C’était la petite sentinelle, par les sœurs de cendre, c’est la première fois que je la vois de si près.
Et la fillette sourit.
Elle était connue ici dans son village comme « la petite sentinelle ». Bien qu’elle ne sache pas vraiment quel statut elle avait dans ce monde en temps que tel. La gamine savait juste qu’elle était née avec ce tatouage de dragon sur l’épaule.
Une ombre passa sur la ville et il y eut des exclamations.
La fillette encapuchonnée leva la tête en fronçant les yeux pour se protéger du soleil.
Un dragon survolait le ciel.
Il était vert. Comme celui de son épaule.
Le fait que la créature vive près de son lieu de naissance persuadait la gamine qu’elle était sa sentinelle.
Le dragon était elle comme la sentinelle était à lui.
Sa vie lui était dévouée, elle le savait.
La gamine gardait en elle, une partie de son âme.
Pourquoi elle ? Elle s’en fichait comme un dixième de sous. Le hasard, peut-être.
Le dragon s’éloigna jusqu’à devenir un point dans le ciel.
Elle baissa la tête et se remit à marcher. La fillette savait qu’elle n’était pas la seule dans ce monde à être une sentinelle. Il y en avait d’autres. Son dragon avait forcement eu une autre sentinelle. Tous les dragons avaient eu une sentinelle à une époque sombre. Ils avaient même combattu aux côtés de Jack le Délivreur, du roi Odd et de la reine Eugénie.
Peut-être que cette autre sentinelle était morte ? Peut-être pouvait-il y avoir deux sentinelles pour un dragon ?
Ça aussi, elle s’en fichait, en fait.
Ses pas de danses la conduisirent à un petit parc d’herbe verte. La fraîcheur du matin la revigora et elle respira à plein poumons l’air piquant aux nuances sucrées. Qu’elle aimait cet endroit bordé d’arbres et de lumière. Elle s’assit sur le sol et continua à déguster son fruit. Le calme du lieu lui était reposant. Cela devait être le seul endroit de la ville où elle se sentait vraiment aussi apaisée. L’enfant se laissa pousser un petit soupir de contentement.
Une ombre l’enveloppa peu à peu. La gamine ne se retourna pas.
– Alors Alys, elle est bonne ta pomme au goût du vol ?
– La ferme, Victor.
Pas besoin de se retourner pour deviner qui était derrière elle. Victor était le seul à l’appeler par son vrai nom.
Le garçon soupira et vint s’installer à côté d’elle.
– Tu veux voir un truc abracadabien ? Lui demanda Alys en jetant son trognon dans l’herbe.
Elle fouilla dans sa poche et en sortit une graine à peine plus grande qu’une dent de nourrisson.
Son ami ne dit rien et la regarda faire.
Elle se concentra fort sur la graine. La sentinelle liait les énergies entre-elles, les modifiait, les mouvait, les détruisait, oubliant presque de respirer. Sa capacité à gérer les énergies n’était que le fruit de son pouvoir de sentinelle. Lié à son dragon, Alys avait rapidement deviné de quelle nature celui-ci était.
Le dragon de la Forêt.
Elle prit une inspiration et se reconcentra.
Doucement, la graine se craquela et une minuscule pousse en sortit.
– YAHA ! Cria-t-elle de victoire.
Victor regarda à son tour la jeune fleur. Un sourire mesquin naissait sur son visage.
Et la pousse prit feu.
Instinctivement, Alys lâcha son œuvre. Puis elle se tourna furieuse vers son ami.
– Tu trouves ça drôle ? Abruti !
Elle se leva, Victor l’imita en riant.
– Eh ne te mets pas dans cet état là, ma belle.
Il lui attrapa la main et l’attira vers lui.
Ses yeux bruns se plantèrent dans celui d’Alys.
Elle y lut de l’amusement et de la gaminerie.
Cela l’excéda et l’attendrit en même temps.
Victor prit son menton entre ses doigts et approcha ses lèvres des siennes. Doucement et avec tendresse, elles se frôlèrent.
Et il la brûla.
Alys recula vivement et porta sa main à ses lèvres brûlées. Victor avait une expression sincèrement désolée. Il n’avait pas fait exprès, elle le devina, comme toutes les autres fois.
– Désolé. Je…
La gamine fit un geste nonchalant de la main.
– Ça va.
Elle frotta un bon coup sa lèvre pour faire disparaître la douleur. Alors Victor lui attrapa la main et il caressa de l’autre le visage de sa belle.
Alys pensa qu’à force de jouer avec le Feu, elle finirait par se consumer.
Victor pensa qu’à force de voir la Forêt si calme, il en perdrait un peu de sa flamme.
Mais ils s’en fichaient au fond.

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