Lyddie mordillait fortement son crayon à bille. Qu’est-ce qu’elle pouvait s’ennuyer ! Pourtant, elle trouvait habituellement les sciences, et plus particulièrement les sciences physiques, intéressantes… Mais là, rien à faire ! Le professeur était vraiment trop « endormissant » comme dirait sa jumelle.
En pensant à elle, la jeune fille sourit. Eléonore avait vraiment été gentille de la consoler la veille et ce même si elle n’avait pas pu refermer l’œil de la nuit, à cause de son cauchemar.
Elle soupira. Cela faisait au moins dix fois qu’elle avait ce mauvais rêve, exactement le même, à chaque fois ! Elle en avait, bien entendu, parlé à ses deux grandes sœurs et tutrices, Mina et Namie, mais elles avaient simplement haussé les épaules en disant que ça passerait, que bientôt elle ferait de nouveau de jolis rêves peuplés de licornes roses et de princes charmant. Comme si elle avait encore cinq ans…
Alors elle en avait parlé à ses deux meilleurs amis : Matthieu et Jonathan. Ils avaient commencé par se moquer de son inquiétude mais quand ils avaient vu, trois jours plus tard, les cernes qu’elle n’arrivait plus à cacher, ils avaient commencé à chercher des idées pour la débarrasser de ce cauchemar.
Tout y était passé : attrape-rêves, tisanes relaxantes en passant par les incantations vaudous et l’encens. Rien n’y avait fait. Quand ils avaient commencé à parler de lui arracher la partie du cerveau qui était le centre des rêves, elle leur avait clairement indiqué, en les mettant dehors, que ça ne servirait à rien.
Et depuis, elle marche au café. Mais même cette mixture qu’elle trouvait écœurante, aussi bien noire que sucrée à l’extrême, commençait à perdre de l’efficacité : elle n’était pas du tout en forme, mais elle ne dormait pas non plus.
À ce niveau, elle préférait encore faire ces fichus cauchemars ! Au moins, elle dormait un peu…

Soupirant à nouveau, elle reporta son attention sur le professeur qui ânonnait son cours. Si encore c’était un cours qui lui apprenait quelque chose, elle aurait peut-être réussi à se concentrer… sauf qu’elle savait déjà tout ce qu’il y a à savoir sur l’œil et l’optique.
Ne voulant pas s’endormir, autant par respect pour son professeur que pour ne pas faire de cauchemar, elle se mit à appliquer un exercice d’autodiscipline qu’elle avait trouvé sur internet : elle devait retrouver les vers d’un ou plusieurs poème(s) appris peu de temps ou longtemps auparavant. Elle en choisi un qu’elle avait appris en cours préparatoire, dix ans plus tôt. Elle pensait que ce serait assez loin pour qu’elle mette du temps mais, au bout de deux minutes à peine, elle en avait retrouvé chaque mot. À croire que tout ce qu’elle apprenait restait à jamais gravé dans sa mémoire. Cependant, elle avait constaté que ça ne se produisait pas avec ses souvenirs : là où tout le monde arrive plus ou moins à se rappeler son enfance, ses souvenirs à elle ne remontaient qu’à l’année précédente. Avant, le trou noir ! Et pourtant, elle connaissait pleins de gens qu’elle avait, logiquement parlant, rencontré avant cette année-là. Mais elle n’en gardait aucun souvenir. Et ça n’inquiétait personne.

En réfléchissant à cela une nuit d’insomnie, elle avait supposé que son cauchemar était peut-être une réminiscence d’une vie antérieure et que ses souvenirs d’enfance lui reviendraient par rêve également. Et parfois, effectivement, elle se voyait courir dans un pré ou monter à cheval alors qu’elle était petite. Sauf que ça ne pouvait être qu’un rêve, puisque cela se passait dans une sorte de château de la Renaissance entouré par des murailles dignes d’une vraie forteresse !

Enfin, la délivrance sonna. C’était l’heure de la pause du midi, mais comme elle n’avait pas faim, elle allait souvent attendre ses amis sur une table, à l’extérieur quand il faisait beau, et sinon à l’intérieur de la cafet. Et aujourd’hui, le soleil brillait et il faisait encore relativement chaud. Aussi alla-t-elle s’asseoir à sa table, celle où elle s’installait toujours. Là, elle attendit que ses amis aient fini de manger, la tête au creux de ses bras.

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Il fait beau. Du balcon de sa chambre, Evangéline observe les oiseaux voler. L’un d’eux vient se poser près d’elle et la regarde de ses grands yeux dorés. Elle sourit et lui donne un morceau du pain qu’elle tient dans les mains. Aussitôt, d’autres petits oiseaux arrivent et réclament à manger. Elle rit et leur donne à chacun un petit bout.
On frappe à sa porte. Les oiseaux s’envolent, effrayés, puis reviennent, l’appel du ventre étant plus fort que la peur. Elle se retourne.

—Entrez.

Un jeune homme blond entre.

—Ma Dame, c’est l’heure.
—J’arrive Sébastien.

Il s’incline et sort. Elle regarde à nouveau le jardin du château. Son sourire a disparu. Elle soupire et se résigne. Se redressant légèrement, elle suit le même chemin que le nommé Sébastien et rejoint une grande salle : la salle de bal. Sa robe bleue en soie ondule gracieusement autour d’elle, donnant l’impression à ceux qui la regardent qu’elle est vêtue d’eau.
Au centre de la salle, un groupe de personnes. Elle reconnaît ses parents et Sébastien. Dans son dos, elle sent soudain une présence. Elle ne se retourne pas, sachant qui se tient ainsi derrière elle : ses deux gardes deux corps.
Seules deux personnes lui sont étrangères : une femme d’âge mûr élégamment vêtue et un jeune homme brun d’à peu près son âge.

Arrivée à leur hauteur, elle fait une petite révérence à l’adresse de ses parents et incline la tête en direction des deux personnes.

—Evangéline, mon enfant, voici la reine Alexandra et son fils, le prince Joshua.

Le prince Joshua s’incline et lui fait un baisemain.

—C’est un honneur de vous rencontrer enfin Ma Dame.
—De même, Monsieur.

Les adultes partent alors régler les derniers détails pour un accord entre les deux royaumes. Restent dans la salle Sébastien, la jeune fille et ses gardes ainsi que le prince.

—Prince Joshua, voici Sébastien, futur chevalier et servant dans ce palais mais aussi mon meilleur ami.

Le prince le regarde et incline la tête dans sa direction. Le jeune homme blond lui rend la pareille. Le silence s’installe. Aucun n’est vraiment à l’aise et…

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Lyddie se réveilla en sursaut alors qu’on la secouait. Pour une fois qu’elle dormait bien ! Qui était l’imbécile qui avait osé ?
Elle releva la tête, un peu énervée mais encore engourdie de sommeil, et se retrouva nez à nez avec Matthieu.

—Ah ! Notre belle au bois dormant est réveillée !
—Oui… Pourquoi tu m’as réveillée d’ailleurs ? Je dormais bien pour une fois….
—Parce qu’il est l’heure d’aller en cours va ! Et même si c’est un cours d’allemand où tu pourras dormir sur mon épaule si tu veux, il faut aller jusqu’à la salle !

Jonathan avait l’air de s’amuser. La jeune fille soupira.

—OK. On y va. Deux minutes s’il vous plait.

Les garçons s’assirent en attendant qu’elle se réveille complètement. Elle soupira de nouveau.

—Aller, c’est parti…

La professeure n’était pas encore arrivée lorsqu’ils atteignirent la salle de classe. Jonathan regardait Lyddie, qui n’avait pas l’air de vouloir tenir debout encore longtemps.

—Ly, tu ne veux pas aller à l’infirmerie ? Tu pourrais t’y reposer un peu…
—Non c’est bon (elle bailla), je vais tenir le coup

Matthieu la regarde, suspicieux.

—Sûre ?
—Certaine.
—OK. De quoi tu rêvais cette fois ?
—Sais pas trop… J’étais en train de nourrir des oiseaux puis… tu es venu me chercher, répondit-elle en désignant le blond. Et ensuite, je suis allée dans une grande salle où j’ai rejoint des gens que je ne connaissais pas sauf… et bah vous deux en fait.

Les deux garçons se regardèrent en fronçant les sourcils. Mais avant que l’un d’eux aient pu dire quoi que ce soit, la professeure d’allemand les fit entrer et commença son cours.
Alors qu’elle essayait (encore) vaillamment de rester éveillée, Lyddie reçu un petit mot : « On a peut-être une solution. À voir ce soir. Jon et Mat »

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