Je m’appelle Sasha Nelis. Une simple femme trentenaire, cheveux bouclés d’un blond éclatant, mère d’un petit garçon de sept ans. Je n’ai pas l’habitude de me balader dans les bois, lorsqu’il fait sombre. Enfin, me balader est un grand mot, je suis plutôt en train de me cacher. Peut-être me diriez-vous que ce n’est pas le meilleur endroit pour ce genre de chose. C’est même le pire endroit de tous. Mais je dois fuir… Ce qui est dans cette maison, je ne veux pas le revoir. Oh, mon petit… mon pauvre petit !

Je me levai tôt, ce jour-là. Bien qu’il s’agît d’un jour férié et que je n’avais pas à accompagner Jimmy à l’école ni à aller travailler, j’oubliai de désactiver mon réveil. Alors, étant déjà debout, je descendis les marches des escaliers et arrivai dans la cuisine. Une journée normale commença, sans que je puisse me douter de ce qui allait se passer lorsque les ténèbres de la nuit viendraient.
Dix heures, Jimmy se leva. Nous déjeunâmes ensemble, discutâmes un peu des vacances que nous prévoyions en Italie et puis, il sortit jouer avec ses amis. Quant à moi, je restai seule dans cette chaleureuse maison qu’était la nôtre depuis bien longtemps. Rien à faire, je me décidai à faire un peu de ménage. Par moment, du coin de l’œil, j’avais l’impression que l’on me regardait par la fenêtre du salon et, lorsque je tournai la tête dans cette direction, je ne vis rien. Des poulains, certainement. Peut-être même les amis de Jimmy.
Treize heures, je finis de nettoyer notre petit nid familial. Mon fils rentra en trombe et me prévint qu’il allait manger chez ses amis. Apparemment, l’un d’entre eux fêtait son anniversaire. Et une fois ma permission obtenue, il s’en alla aussi vite qu’il était venu. Je fus à nouveau seule pour le dîner. Tandis que je cuisinai, un bruit sourd se fit entendre du côté du salon. Sans attendre une seule seconde, je me précipitai dans la pièce pour découvrir un cadre en verre, brisé, contenant une photographie de moi, avec mon petit Jimmy. C’était étrange, il n’y avait pas eu de courant d’air, vu qu’aucune fenêtre ou porte n’étaient ouverte, alors comment le cadre avait-il pu tomber ? Je n’en savais rien, mais je n’y fis pas plus attention que ça.
Mais en retournant dans la cuisine, je compris que quelque chose n’allait pas. Toutes les armoires étaient ouvertes. Mon cœur commença à accélérer ses battements et mon cerveau tentait tant bien que mal de donner un sens logique à cette situation, mais il n’y en avait aucun. Le silence était oppressant. Pas un bruit, rien. Tout était immobile, effroyablement immobile. Et puis, j’eus l’impression d’être observée. Cette désagréable sensation de ne plus être seule dans sa demeure ne me rassurait guère. Soudain, derrière mon dos, je sentis une légère caresse froide. Elle remonta vers ma nuque puis, lentement, se glissa dans mes cheveux. J’avais peur. D’un coup, je me retournai, mais je ne vis rien. J’étais la seule et unique personne dans cette maison. Devenais-je folle ? Je quittai la maison et allai faire un tour en ville, pour effacer de ma mémoire ce qu’il venait de se passer.
Vingt heures, nous rentrâmes ensemble, Jimmy et moi, chez nous. J’eus été le chercher à l’anniversaire de son ami car j’étais terrifiée à l’idée de me retrouver à nouveau dans cette maison, livrée à moi-même. Ce fut une longue journée pour mon fils, il était exténué, et c’en était de même pour moi, avec toutes ces étranges choses qui commençaient à me rendre dingue. Alors, après avoir soupé, nous nous décidâmes à aller nous coucher. Il monta les escaliers, et je le suivis de près. L’étage n’était qu’un long couloir où, au bout, se trouvaient deux portes, donnant sur nos chambres respectives. Il entra dans la pièce de droite, me lançant un « bonne nuit, maman » avant de plonger dans son lit et, bizarrement, s’y endormir directement. Je me contentai d’un petit roman bon marché, avant d’éteindre ma lampe de chevet en claquant des mains. Étonnement, je n’eus pas trop de difficulté de tomber dans les bras de Morphée, malgré la terreur qui me rongeait l’estomac.
Un cri me fit sortir de mon sommeil. Il provenait de la chambre de Jimmy, et c’était lui qui venait d’hurler. Ni une, ni deux, je quittai mon lit et me dirigeai à toute vitesse vers sa chambre pour le découvrir assis, au-dessus de sa couverture, en train de pleurer à chaude larme.
—Ce n’est rien, mon amour. Ce n’est qu’un vilain cauchemar.
Il hoqueta et eut quelques difficultés à me répondre, mais finit par dire en désignant l’armoire où se trouvait une grande partie de ses jouets :
—C’est… C’est… Le monstre. Dans le placard, il est là. Quand je dors, il… il me regarde. Il va me man… manger, maman.
—Mais non, les monstres n’existent pas, mon chéri, viens là.
Je le pris contre moi pour tenter de le rassurer. À vrai dire, je n’étais pas non plus à mon aise, me rappelant les horrifiantes étrangetés de cet après-midi. Mais je me devais de faire mon devoir de mère. Je me levai et, avec grande hésitation, j’allai vers cette fameuse armoire qui effrayait mon fils. Je tremblai, j’avais peur, je transpirai, mais je devais l’ouvrir. Et je le fis…
—Regarde, mon chéri. Tu vois, il… n’y a… rien…
Je restai bouche bée. Caché parmi des cubes en bois peint dans de différentes couleurs, se trouvait un jeune garçon en pyjama bleu ciel et aux cheveux bruns. On pouvait remarquer l’effroi dans son regard et ses lèvres tremblaient. Je restai stupéfaite et ébahie, la terreur commençant à monter en moi. Et soudain, le petit dans le placard me chuchota quelque chose :
—Maman… Il y a un monstre sur mon lit.
Je ne sus répondre. Un grand moment de silence s’installa dans la pièce. Silence qui fut coupé par un bruit énigmatique. Lentement, je tournai ma tête pour voir la chose qui émettait ce dérangeant caquètement grave. La vision s’offrant à moi me tétanisa.
Une parodie d’humain se trouvait là. Des yeux verts, luminescent, n’ayant qu’un simple point pour pupille, me fixaient sans bouger. L’horrible créature restait immobile, arborant un grand sourire qui révélait toute sa mâchoire, au vu du bas de son visage brutalement arraché. Tout son corps était noir, dégoulinant d’une substance grasse et nauséabonde. Des bras, il en avait deux de trop pour un garçon. Et ceux-ci étaient déformés, comme s’ils fussent sauvagement broyés. L’odeur pestilentielle de ce monstre me donna la nausée, mais j’étais bien trop effrayée pour vomir.
Mais, en entendant mon fils pleurer derrière moi, l’adrénaline et mon instinct maternel me firent surmonter ma peur et je le pris sur mon dos puis m’enfuis à toute jambe. Je dévalai les escaliers et quittai la maison. Je n’eus remarqué le fait que la porte était déjà ouverte qu’une fois que je l’entendis se fermer brusquement derrière moi. Lorsque je demandai à mon fils s’il allait bien et qu’il ne me donna pas de réponse, je me retournai pour voir son état. Quel ne fut pas mon désespoir lorsque je vis qu’il ne s’agissait que d’un pantin de bois qui se trouvait sur mon dos. Scène d’horreur que jamais je n’oublierai… Jimmy, suppliant pour avoir de l’aide, tapant de toutes ses forces sur les vitres mais sans qu’elles ne se brisent… Je l’aperçu se faire dévorer sous mes yeux, vis voler ses bras et ses jambes et des lambeaux de sa chair, son visage crispé d’agonie et de terreur… Je ne pus le sauver. Ça m’en avait empêché, et ça me l’avait enlevé.
J’étais désemparée. Tout ce que j’avais de plus précieux me fut dérobé. Mais je ne pouvais rester là, alors je me dirigeai vers les bois qui ne se trouvaient pas très loin de chez moi. Il faisait très sombre en ces lieux, on n’y voyait presque rien. Je continuai de courir, le plus loin que je pusse. Et je me mis à pleurer, pendant un long, très long moment.
Puis, soudainement, je fis attention aux alentours. Le vent avait cessé de souffler et ce dérangeant silence était revenu. Je sentis la présence de la chose, mais je ne la vis pas. La dernière chose que j’entendis, n’était qu’un murmure près de mon oreille.
Maman… Pourquoi m’as-tu abandonné ? Rejoins-moi, là où il fait noir…

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