Il était une fois un grand chevalier qui adorait sauver les princesses. Il ne vivait que pour ça et passait son temps à courir le pays pour trouver des demoiselles en détresse. Jolies de préférence.

Un jour, dans une auberge, il entendit parler d’une jeune fille enfermée par un sorcier maléfique qui voulait la garder rien que pour lui. Le vilain avait utilisé un sortilège pour la maintenir prisonnière d’une tour noire, haute de 50 mètres. N’écoutant que son courage, il se leva d’un bond, sans même terminer son repas, et partit au grand galop sous les vivats de la foule.

Un client de cet établissement m’a raconté que, plutôt que sous les vivats de la foule, le chevalier était parti au milieu des vociférations d’un tenancier ulcéré de voir un de ses clients s’enfuir sans régler sa note…Mais ce ne sont sûrement que viles calomnies, n’est-ce pas ?

Bref, voilà notre chevalier au pied de la tour. Elle est immense, faite d’une pierre magique tellement lisse qu’il est impossible de l’escalader. Le chevalier tourna autour de l’édifice encore et encore, sans en trouver la moindre entrée. Il s’apprêtait à la démolir à grands coups d’épée quand un petit papier rose tomba du ciel et atterrit sur son auguste crâne. Il le récupéra en fronçant les sourcils. « Au secours » lit-il. Son sang ne fit qu’un tour et il frappa de toutes ses forces sur la tour. Sans effet.

Il eut alors une idée. Il abattit un chêne de la forêt voisine, en l’orientant vers la prison de la jeune fille. Rendue inébranlable par la magie noire, elle soutint le poids de l’arbre qui devint un pont fort praticable.

Le chevalier l’escalada et parvint à la seule et unique ouverture du sombre édifice. La princesse vint alors à la fenêtre. Toute de noir vêtue, sa tenue, très inhabituelle pour une personne de son rang, soulignait à merveille une silhouette parfaite. Et quand elle posa le regard de ses yeux bruns sur lui, le chevalier en tomba éperdument amoureux.

Il lui confia alors son transport et elle lui raconta sa vie dans la tour, avec son monstrueux geôlier. Ils parlèrent ainsi pendant des heures, insensibles au danger de leur situation. Et quand le soleil se coucha, ils scellèrent leur rencontre par un tendre baiser d’amour.

La princesse vit alors le sorcier revenir au loin. « Vite, enfuis-toi » lui dit-elle. « Je reviendrai » lui promit-il en retour. Mais le lendemain, la tour avait disparue. Envolée sans une trace. Alors le chevalier remua ciel et terre pour retrouver celle qui avait ravi son cœur. Plus aucune autre princesse ne l’intéressait désormais. Mais, las, elle demeurait introuvable.

Jusqu’au jour où un petit papier rose tomba du ciel. Il portait l’écriture de sa belle. « Va t’en » lui avait-elle écrit. « C’est un sorcier maléfique, c’est vrai, mais il m’aime. A sa façon. Et je l’aime aussi. Je ne t’oublierai jamais. ».

Le chevalier resta longtemps prostré à se lamenter sur son amour perdu. Les jours et les semaines passèrent. Mais un jour, sans qu’on sache vraiment pourquoi, il se releva enfin et reprit sa quête. Il rencontra d’autres princesses mais toutes lui paraissaient fades et sans attrait. Il sentait que plus rien ne serait jamais comme avant. Amis, n’oubliez jamais la morale de cette histoire. Ce sont les princesses qui décident si elles veulent être sauvées. Pas les chevaliers.

Le conteur ferma les yeux, but une longue gorgée de sa chope et laissa son audience s’éloigner. Puis, il sentit une petite main lui tirer la manche. « Elle est nulle ton histoire ! » déclama un petit garçon, l’air fâché. « Et la princesse ? Elle est heureuse ? Et le chevalier, il va la revoir ? »

Le barde sourit et s’agenouilla devant l’enfant. « Je vais te dire un grand secret, juste entre toi et moi, que m’a confié le chevalier. Il dit qu’il l’a retrouvée. Elle est là, depuis le début » dit-il en tapotant doucement la poitrine du petit garçon. « Quand elle pense à lui très fort, il le sait et il l’entend. Et quand il pense à elle très fort, il est sûr qu’elle le sait aussi. Aucun sorcier au monde ne pourra couper ce lien-là et la lui enlever à nouveau. Mais il ne l’avouera jamais à personne, car les gens diront qu’il est fou. Et toi ? Tu y crois ? »

213