Couverte de boue, dénudée et trempée jusqu’aux os, Caelynn respirait bruyamment. Elle s’était cachée derrière le large tronc d’un arbre, recroquevillée, les bras enserrant les jambes. Exténuée, son souffle était rauque, irrégulier. Elle ne savait plus si elle tremblait de froid, ou si c’était à cause de la terreur qui nouait son estomac. Celle-ci s’était intensifiée après avoir entendu les hurlements provenant du camp, qui avaient brisé le silence de la forêt. Les très longs cheveux de la fugitive, d’un roux très clair, étaient plaqués le long du corps par l’eau de pluie.
La jeune femme observa, de ses petits yeux noisette, les alentours, inquiète. Cependant, la dense forêt était sombre, ce qui l’empêcha de distinguer quoi que ce soit à moins d’une centaine de pieds. Hésitant à rester plus longtemps afin de se reposer, elle ne pût s’empêcher de trembler. L’averse commença à tomber de nouveau, à ce moment même, la jeune femme se leva, non sans difficulté, afin de poursuivre son chemin.
Elle ne cherchait aucunement à savoir où elle se trouvait, elle fuyait, courant le plus vite possible. Ses jambes portaient les marques de griffure des ronces et des branches des arbres, mais la douleur ne ressentit guère. Malheureusement, après avoir parcouru environs mille pieds, son corps faiblit, à tel point qu’elle trébucha. Le bras droit érafla l’écorce d’un arbre, marquant une égratignure qui s’étendait du poignet jusqu’au coude. Aussitôt que Caelynn heurta le sol, elle tenta de se relever, mais son corps ne disposait plus de la force nécessaire, bien trop poussé à bout. Se contentant, par la suite, de ramper dans l’espoir de trouver une cachette, elle lança un regard vers l’arrière. Une petite lueur perçait l’obscurité, provoquant une intense panique dans l’esprit de la fuyarde. Son cœur se mit à s’emballer, sa forte respiration laissa place à de légers gémissements, qui la força à porter sa main droite à sa bouche, afin de couvrir le son.
Caelynn trouva une petite mare, tout juste assez grande, dans laquelle elle s’immergea sans bruit. Seul le haut du crâne resta à la surface afin d’observer les environs. Par intermittence, elle se leva légèrement afin de prendre une grande inspiration.

Torche à la main, Ruma avait ralenti le pas, prenant soin de balayer du regard les alentours. Son arbalète, déjà chargée d’un carreau, était empoignée d’une main droite impatiente. À plusieurs reprises, l’index se glissa sur la gâchette, alors que la jeune femme approchait une potentielle cachette. Au moindre bruit, elle se figeait un court instant afin de tendre l’oreille.
Le branches et les feuilles des arbres voilaient le ciel. Lorsque le peu de lueur que la lune offrait était absent, il ne restait qu’une obscurité aussi noire que l’encre. Impossible de voir au-delà de la très courte zone éclairée par la torche. Certains arbres et troncs dessinaient de sinistres silhouettes. Un couple de chevreuils observa un court un instant la jeune femme, avant de partir à vive allure, leurs yeux brillants à la lueur laiteuse de la lune.
Ruma était déjà assez éloignée du camp. Quelques pas plus loin, elle découvrit un point d’eau trouble. Celui-ci paraissait suffisamment grand pour cacher un corps. La vase donnait un teint complètement opaque. Un hibou déboula d’une branche, à quelques pieds de la traqueuse. Cette dernière eu un léger sursaut.
Immédiatement, Ruma déposa la torche au sol, empoigna son arme, et la pointa en direction de la petite mare. S’approchant à pas de loup, la jeune femme contrôla sa respiration, faisant en sorte de maintenir un bon équilibre. Son œil vif balayait la surface, à la recherche de la moindre bulle, du moindre remous.
Une fois arrivée au bord du point d’eau, elle asséna un grand coup de pied qui provoqua une immense éclaboussure, révélant le fond vaseux et meuble… Rien…
Frustrée, Ruma siffla entre ses dents. Elle jeta un rapide coup d’œil aux alentours, avant de reprendre sa traque, plus déterminée que jamais à retrouver sa proie.

– Tu aurais mieux fait d’acheter ces chiens Ghovern…, reprocha Dronvar au petit homme.
– Forcément, c’est toujours une bonne idée d’acheter des cabots tombant en morceau comme des lépreux…, rétorqua ce dernier d’un ton sarcastique. D’ailleurs, une chance que tu ne sois pas celui qui décide…
– Qu’est-ce que tu insinues ?
– Te connaissant, je suis surpris que tu n’aies encore jamais eu l’occasion de demander à Ruma de te vider un peu…
– Je ne monte pas les mégères, Ghovern, répliqua le grand homme, lançant un regard noir à son compagnon.
– Bien sûr… Ce n’était pas le cas il y a trois jours…
– S’il te plaît… Fermes-la… Tu commences à me taper sur les nerfs…
Les deux maraudeurs balayaient une petit zone, à la recherche du moindre indice, aidés par la lueur de leurs torches. Dronvar repéra la grande souche d’un arbre mort, qu’il s’empressa d’inspecter. Celle-ci était relativement massive et creuse, le tronc semblait avoir été arraché, reposant sur un rocher, couvert de mousse, de lichen, de ronces et de fougères. Malgré tout, la recherche se révéla infructueuse. Le grand homme reprit sa route, dépité. Soudainement, un bruit d’eau agitée retenti, ce que Ghovern ne manqua pas de remarquer.
– Attends… Tu as entendu ?, Souligna ce dernier.
Il s’approcha de la direction d’où provenait le son, puis découvrit un point d’eau. Il s’en s’approcha, pour n’en apercevoir qu’une grenouille qui venait à peine d’en sortir.
– Laisses tomber…, souffla le petit homme. Continuons, j’espère que Ruma en a fini avec l’autre tête de nœud.
– Je doute sérieusement qu’une catin comme celle qu’on cherche pourrait survivre longtemps dans cette forêt…, suggéra Dronvar. Sans rien sur le dos, pas même de quoi chasser, et par ce temps, elle finira au fond d’un trou en train de prier pour qu’on la retrouve.
– Cesses donc d’en rajouter et boucles-la.
Les deux hommes poursuivirent leurs investigations dans le silence.

Le cœur battant à une vitesse phénoménale, Caelynn, venait tout juste de sortir la tête de l’eau. Non sans avoir beaucoup de mal à se retenir de remonter trop brusquement à la surface, à cause du manque d’air. Elle aperçu les deux hommes, qui étaient à une centaine de pieds. Lentement, la fugitive quitta le point d’eau, tout en veillant à rester le moins visible possible. La vase avait partiellement couvert son corps, ce qui lui offrit un semblant de camouflage. Une fois à nouveau sur la terre ferme, la jeune femme se dissimula derrière une dense fougère. Elle prit alors un instant afin d’observer les alentours, afin de trouver une nouvelle cachette facilement accessible. Elle repéra le tronc de l’arbre mort, cependant, elle ne pourrait pas y rester éternellement, car les maraudeurs pouvaient très bien revenir sur leurs pas d’un moment à l’autre. La fugitive se dépêcha de trouver une autre voie, mais rien ne lui venait en tête.
Elle se mit à chercher une pierre, un morceau de bois, quoique ce soit qu’elle pouvait lancer afin de distraire ses prédateurs. Elle fini par se munir d’un gros morceau d’écorce, qu’elle saisit en prenant soin de ne pas faire le moindre bruit. Puis elle défini la direction où elle comptait l’envoyer, et le projeta sur un peu plus de cent pieds.
– Là par contre…, lança Ghovern.
Mais alors que la jeune femme sortit à peine de la fougère, Dronvar tourna le regard en sa direction. Grossière erreur, le sang de Caelynn ne fit qu’un tour.
– La voilà !, cria-t-il.
Aussitôt, les deux hommes et leur cible s’engagèrent dans une poursuite effrénée. Contournant les arbres, courant le plus vite possible. Malgré la fatigue, la fugitive gagnait, peu à peu, du terrain, ses poursuivant étant encombrés par leurs armures et équipements.
Rapidement, tous aperçurent plusieurs lueurs, pour ensuite découvrir trois hommes, équipés de torches.
– Choppez-la !, ordonna Ghovern.
– Haric! Vas prévenir Ruma, et bouges toi !, ajouta Dronvar.
Aussitôt, le groupe rejoignit les deux poursuivants, à l’exception d’un seul homme, qui couru en direction du camp. Caelynn, prise de panique accéléra brusquement, changeant de direction.
L’adrénaline était si vive chez cette dernière qu’elle ne ressentait aucune fatigue, elle fuyait, aussi vite qu’elle le pouvait… Elle repoussait ses limites. Mais un rapide regard par dessus son épaule suffit à lui glacer le sang : ses poursuivants commençaient à s’approcher dangereusement. Par la suite, la fugitive chercha à les semer, sautant par dessus des troncs, des rochers. Les armures de ces hommes allaient finir par les gêner, les fatiguer bien plus rapidement, c’était sans doute le seul point faible que pouvait exploiter la jeune femme. Mais les prédateurs étaient déterminés, cependant, Ghovern était le premier à laisser tomber, à bout de souffle.
Finalement, la fuyarde gagna suffisamment de terrain pour échapper aux maraudeurs. Elle atteignit une rivière qui lui barrait le chemin. Le courant était fort, et le cour d’eau était peu profond, malgré cela, la jeune femme se décida à le traverser. Dès qu’elle posa le premier pied dans l’eau, elle ressenti comme des milliers d’échardes glaciales cisaillant sa peau, de plus les galets qui tapissaient le lit compromettaient son équilibre. Elle dût se résoudre à avancer lentement, prudemment. Malheureusement, elle fût rattrapée par l’homme chétif, qui ne tarda pas à emboîter le pas, alors qu’elle était à peine au milieu de la rivière. Dronvar arriva lui aussi, quelques secondes plus tard.
– Arrêtes maintenant, ordonna celui-ci.
La jeune femme n’offrit aucune réponse, essayant de continuer, mais elle trébucha. L’homme chétif s’approchait d’elle, avec difficulté. Ce dernier manqua de tomber à plusieurs reprises. Prise au dépourvu, la fugitive chercha à saisir, discrètement, un lourd galet. Plus l’homme s’approchait, plus ses doigts enserraient son arme de fortune.
– N’aggraves pas ton cas, dit le chétif, tout en lançant un regard froid.
Mais alors qu’il était sur le point de saisir Caelynn par la taille, cette dernière, dans un vif geste, le frappa violemment au crâne, au niveau de la tempe. La jeune femme lâcha aussitôt le galet, manquant de glisser. L’homme tomba lourdement dans l’eau, sans vie, avant d’être emporté au loin par le fort courant.
– Sale putain…, cracha Dronvar, impuissant.
Ce dernier n’était pas décidé à se lancer, craignant de connaître le même sort que son camarade. De plus, sa carrure imposante risquait de compromettre son équilibre. Le spectacle qui s’offrait à lui le dépita, ne voyant qu’un cadavre ensanglanté dériver misérablement avant de s’échouer à quelques pieds plus loin. Rapidement, une mare de sang se forma au niveau du crâne de la victime, teintant d’un rouge foncée et brillant.
Le grand homme se tourna à plusieurs reprises, se demandant où était passé le reste du groupe. Pendant ce temps, la jeune femme se releva, puis atteignit enfin l’autre côté de la rive. Elle s’empressa de courir droit devant elle, s’enfonçant dans les plaines, alors que le maraudeur l’observait, fou de rage. Celui-ci tourna les talons, après un moment d’hésitation, puis reparti en direction du camp.
La fugitive usa de ses dernières forces, courant le plus loin possible. Cette fois-ci, son corps commença à clairement montrer des signes de fatigue. Ses jambes faiblissaient, et son souffle se faisait rauque. Les plaines semblaient s’étendre sur plus d’une centaine de lieues, les hautes herbes dissimulaient quelques ronces qui griffèrent les jambes de la jeune femme.

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