— Harry ? Qu’a-t-il fait encore celui-là ?
— Il m’a dit que je ne pouvais pas contrôler la matière.
— Et ?
— Et je suis meilleure que lui, même si ce binoclard est jaloux comme pas deux !
— Holà, on se calme, mademoiselle Grangé. Donc, vous avouez avoir jeté un sort durant le cours de mathématique du professeur Fontaine ?
— Juste un petit. J’ai fait voler la gomme dans la classe durant… max dix secondes.
— Dix secondes où la classe s’est transformée en cirque avec comme clown principal vous, je présume.
— Je… je suis désolée, madame… la proviseure. Je ne recommencerai plus.
— Vous savez que la magie est interdite dans l’établissement, au même titre que la drogue ou les armes à feu.
Elle hausse les épaules, visiblement peu convaincue par mon discours d’autorité.
— Madame la proviseure, la magie n’a rien à voir avec la drogue.
— Ah bon, croyez-vous ? Et l’affaire du lycée de Touquin ou encore le Zombie-Burger de la rue du Vall, la semaine dernière, complètement dévasté. Le bureau central a dû envoyer deux enquêteurs sur les lieux pour capturer un Slimer dont l’unique but était de s’empiffrer de Magicusburgers. Vous imaginez ce gros fantôme vert vaquant dans notre établissement ?
— L’origine de ce dérèglement des plans élémentaires provient d’une mauvaise magie noire, madame. C’est mon père qui me l’a dit. Moi, je pratique la magie blanche…
— Qui consiste à faire voler une gomme dans toute la classe, je sais. Je vais devoir justement appeler votre père, mademoiselle, histoire de régler cette question.
— Et Harry ?
— Quoi Harry ?
— Il va s’en tirer sans rien ? Même pas une heure de colle ?
— Mademoiselle, si quelqu’un vous demande de vous jeter d’un pont et que vous le faites, on ne va pas accuser cette personne de meurtre, non ?
— OK, et si quelqu’un me demande de tuer une personne et que je m’exécute, on ne lui fera rien non plus ?
— Vous et votre incessante rhétorique, vous m’énervez Hermione Grangé. Déguerpissez d’ici tout de suite !
Elle disparaît de ma vue et moi je souffle, déjà fatiguée par l’accumulation des problèmes à venir. Et pourtant, je n’ai même pas le temps de me poser. Léonard, notre jardinier, se pointe dans mon bureau… sans frapper, bien évidemment.
— Madame le proviseur.
— La proviseure, qui plus est, adjointe, Léonard. Je vous ai maintes fois expliqué qu’aujourd’hui, nous féminisons aussi les titres et les fonctions.
— On s’en fout.
Son ton impoli me laisse sans voix. Il s’agite comme s’il avait vu le diable en personne, dansant d’un pied sur l’autre tel un automate déboussolé. Obligée de constater son état de fébrilité maximal – et voulant me débarrasser au plus vite de ce gêneur – je lui demande donc :
— Un problème, Léonard ?
— Bella Swall et son petit copain, Edward machin chose, ils ont encore dévasté mon parterre de fleurs.
— Dévasté ?
— Je les ai surpris à se bécoter dedans.
— Dans les fleurs ?
— Mais non ? Ils étaient dessus, ils piétinaient mes fleurs, quoi ! Ils ne pouvaient pas faire ça ailleurs ?
Je ne sais pas si ces deux jeunes sont les véritables auteurs de ce désastre, mais ce dont je suis certaine, c’est de ma lassitude à gérer ce genre de problèmes. Ah, au ministère, au moins aurais-je de vraies fonctions, des responsabilités dignes de moi. Je pourrais transformer le paysage de l’éducation pour le rendre meilleur, à mon image.
— Nous réglerons cela plus tard, Léonard. J’ai du travail.
— Du travail ? Et moi, vous croyez que j’en ai pas ?
Et voilà qu’il agite son gros doigt plein de terre devant mon nez. Une terre qui se mute en poussière pour polluer mon bureau jusque-là impeccable.
— Cet Edward, il n’est pas net.
— Pas net ?
Il se penche vers moi, appuyant ses mains sales sur mes documents. J’ai envie de hurler ! Lui, au contraire, se met à me murmurer :
— Il… il brille au soleil. Je l’ai vu comme je vous vois.
— Il brille ?
Je dois l’avouer, je retiens de peu un fou rire. Personnellement, la seule chose que je remarque en cet instant, c’est un jardinier loufoque qui sans aucun doute a dû trop abuser de la bouteille. De là à croire que des nains de jardin pourraient se transformer en martiens, il n’y a qu’un pas… D’un ton aussi calme qu’il m’est permis d’employer, je réponds :
— Monsieur Wollinzki, dehors, je vous prie. Une soudaine migraine commence à m’assaillir et, durant ces tristes moments, j’ai tendance à devenir désagréable.
Aussitôt, il se redresse, non sans me toiser d’un mauvais œil, avant de disparaître tout en laissant la porte de mon bureau grande ouverte. Je m’approche pour la refermer, ma secrétaire se penche et me lâche de son large sourire orné d’un rouge à lèvres trop voyant à mon goût.
— Un homme qui brille au soleil, je vous jure. En même temps, je l’ai vu notre jardinier mâter la petite Bella. Je pense qu’il est jaloux, c’est tout. Il faut dire qu’elle drague tous les garçons. Elle devrait se méfier, cet Edward a la réputation de ne pas apprécier la concurrence et il ne semble pas commode.
Je ne rétorque rien. Je n’aime ni les rumeurs ni les cancans. Je m’apprête donc à refermer la porte de mon bureau pour trouver un brin de tranquillité, un élève se présente en trombe au secrétariat. Il me remarque et lance aussitôt :
— Madame, je dois vous parler, tout de suite.
Ils se sont donné le mot, ce n’est pas possible.
— Kevin Richard, cela faisait longtemps que je n’avais pas eu de vos nouvelles. Avant-hier, si je ne m’abuse. Quel professeur vous envoie donc, aujourd’hui ?
— Personne, madame. J’ai… j’ai un problème.
— Un problème, vous ? C’est étrange, Kevin. N’êtes-vous pas un problème à vous tout seul ?
— Madame, c’est important.
Devant son visage défait, je change d’attitude. Il est rare de voir ce garnement hautain, limite méprisant, prêt à verser sa petite larme et même si ce genre d’individus m’agace, il reste un élève. Un élève sous ma responsabilité, qui plus est :
— Asseyez-vous, je vous écoute.
Il s’installe dans ce fauteuil large, un peu perdu, semble-t-il. Son comportement m’interpelle, c’est certain. Son regard se noie dans mon bureau, comme s’il découvrait pour la première fois les nombreuses bibliothèques garnies d’œuvres magistrales. Pourtant, dire que ce garçon a passé plus de temps dans mon bureau qu’en classe serait à peine exagéré.
— Allons, vous pouvez parler, n’ayez crainte.
Il mêle ses doigts, les jambes serrées tel un nouvel élève en début de scolarité tombé dans mon lycée.
— Je… je suis harcelé.
— Vous ? Harcelé ?

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