Conrad menait une drôle de vie. D’abord, il aimait chasser la nuit, habitude que les habitants de Lutecia avait qualifié de  » vraiment bizarre  » puisque les nuits dans ces contrées sont terriblement fraîches. Conrad avait toujours vécu à Lutecia, un village des plus tranquilles situé au Sud des Terres des paysans. Ensuite, il n’aimait ( vraiment ) pas se mêler aux gens du village, qu’ils trouvait bêtes et soumis. Et heureusement pour lui, les habitants de Lutecia ne fouinaient  » pas trop  » dans les affaires des autres, trop occupés par le travail au champs.
Conrad n’avait aucun secret à cacher mais il savait qu’il n’inspirait pas confiance dans ce village d’une cinquantaine d’habitants où personne ne passe inaperçu. Il se répétait lui même à longueur de journée qu’il n’était qu’une espèce de brute épaisse. Conrad savait aussi qu’on racontait toutes sortes de choses tordues sur lui, surtout à la Gratouille, le petit pub miteux du village, où on y trouvait plus de puces et de mites que de clients ( il portait bien son nom).  » C’est un drôle de type, ce pauvre Conrad », disait on après quelques verres, ou  » si vous voulez mon avis, il n’est pas net. Déjà petit, c’était un étrange bonhomme.  » Les villageois avaient raconté si souvent des choses à son sujet qu’ils n’auraient su dire où été la vérité. C’était d’ailleurs pour cette raison que Conrad ne mettait plus les pieds à la Gratouille depuis bien longtemps. En réalité, Conrad ne mettait plus les pieds nulle part, ce qui, d’une certaine façon, arrangeait les habitants de Lutecia. C’était peut être son allure d’ours (il mesurait prêt de 2m pour 100kg), ou alors sa manie à ne jamais adresser la parole à personne, ou encore son esprit rebelle qui paraissait étranges au yeux des habitants de Lutecia. Conrad n’en savait rien, et à vrai dire, il avait d’autres chats à fouetter. Le premier était de subsister à ses besoins, car il ne travaillait plus au champ. C’était une décision qu’il avait pris seul et qui ne faisait malheureusement pas bonne figure. Mais lui voyait les choses comme elles étaient : il se refusait de travailler toute sa vie pour une bande de magiciens qu’ils n’avaient jamais vu. À cette nouvelle, Lutecia avait bouillionne d’une curiosité indignée et d’une colère mal dissimulée, en particulier chez les aînés du village. C’était comme si on venait de leur annoncer qu’un dangereux criminel rodait dans le village.
Conrad avait pensé à tord que les choses s’arrangeraient quand tous les villageois se seraient fait à l’idée qu’ils ne les accompagneraient plus au champs. Mais à chaque fois qu’il traversait le village, tous se retournaient sur son passage. De toute évidence, chacun était persuadé que Conrad avait agi ainsi pour nuire à la réputation de Lutecia.
– Tu as un devoir envers nos protecteurs. C’est une honte que de devoir l’esquiver, lui avait dit Thomas, un vieillard du village (le même qui avait qualifié Conrad d’ « étrange bonhomme » ).
Conrad n’avait su que répondre et avait préféré demeurer silencieux. Et le vieillard s’était renfrogné de nouveau. Comme il fallait si attendre, après cet épisode, Conrad se montrait plus taciturne que jamais, et ne sortait plus que quand c’était nécessaire.
Mais Conrad ne fut pas au bout de ces surprises. Quel

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