Steve était le genre de gars, de qui la seule chose possible de trouver à dire, c’est qu’il était gentil. Il était celui que l’on voit, mais que l’on ne regarde pas. Celui à qui l’on parle, mais que l’on n’écoute pas. Il était de la race de ceux qui ne savent pas dire non. L’ami que l’on appelait seulement pour emprunter de l’argent. Le collègue que personne ne connaissait. L’amant qui ne le devenait jamais, celui à qui les femmes disaient qu’il était comme un frère au moment de passer à l’horizontal. Le mec qui ne défendait pas ses opinions, même que les gens qui le connaissait auraient été frappés de stupeur par la simple idée qu’il pouvait en détenir. L’individualité lui était aussi étrangère, qu’un mot sans voyelles d’une vieille langue morte. Bref si Steve n’avait pas eu de problème de poids, il aurait probablement été complètement invisible.

Il venait d’essuyer un autre échec avec les femmes. Annie lui avait dit, de ne pas se faire d’idée et qu’ils n’étaient qu’amis. C’était l’écho de la thématique récurrente de toutes les relations avec le sexe féminin qu’il avait vécu.

Steve lui avait répondu la même chose qu’il disait toujours dans ces moments-là. Oui pas de problème, nous sommes qu’amis, puis il rajoutait d’une voix douce par gentillesse et aussi pour cacher son mécontentement, je t’apprécie et je ne veux pas que tu sortes de ma vie. Ce qui n’était pas exactement vrai, mais qui ne tombait jamais dans l’oreille d’une sourde.

Il avait déjà une dizaine d’amies qui ne l’étaient que pour profiter de son incapacité a exprimer la négation. Annie l’avait compris aussi et s’était ensuite servi de lui, comme d’un taxi que l’on n’a pas besoin de payer.

Steve n’appréciait pas particulièrement ce genre d’amie, mais pas pour les raisons évidentes. Les siennes étaient que toutes ces femmes représentaient un échec, une opportunité manquée et un avenir qui n’a jamais débuté. Ce qui avait pu être obsédait son esprit.
Les souvenirs agréables de ce qui n’a jamais existé, le plongeait dans la tristesse, analysant ce qui aurait pu être fait qui n’aurait pas tué le possible.

Une certaine nuit, alors qu’il n’avait pour seule compagnie, sa solitude et un quelconque site pornographique qui en regroupe une centaine d’autres, décida, après avoir comblé un besoin de la seule façon que l’absence de femme le permettait, de s’inscrire a un site de rencontre. Rencontrer des milliers de femmes des quatre coins du monde, que la bannière publicitaire disait, il y avait aussi sur cette bannière en guise d’appât, une photo presque nue, de miss Laos 2006.

Quelque jour plus tard, Steve fit la rencontre de Svenka, sans qui l’existence même de ce récit n’eut été possible.

Svenka était une sublime jeune femme, qui vivait a la campagne dans le nord de la Norvège. Elle était si belle, qu’elle devait sans doute être une descendante direct de la lignée des impératrices de royaumes glacés, qui peuplaient les légendes vikings.

Leur relation avait pris forme sous l’apparence anodine, d’un simple bonjour laissé sur une boite de réception. En quelques semaines seulement, le bonjour devint courriels, puis chat et finalement Skype. A peine deux mois, avaient suffi pour rendre Svenka l’icône de tout ce que Steve désirait, l’amour dans toute sa complexe simplicité.

Un subtil changement s’était même installé chez Steve. Si bien qu’un jour, Annie l’avait appelée pour lui demander de la conduire à un rendez-vous dans la soirée a l’autre bout de la ville. Il lui avait répondu non et elle le lui avait fait répéter visiblement surprise par la réponse. Il n’en avait pas envie, qu’il lui avait dit. Annie ne l’a plus jamais rappelé et il s’en foutait, car il avait demandé à Svenka de l’épouser et elle avait acceptée.

Ils se marièrent la journée même ou elle survola la moitié de la terre et emménagea chez lui. La nuit qui suivit le mariage avait été d’une brutale déception pour Steve. Au moment de consommer leur amour comme le veut la coutume, sa femme lui avait avoué qu’elle était malade. Cette maladie lui expliquât elle, rendait impossible toute relations sexuelles avec quelqu’un de repoussant. Elle lui avait aussi dit qu’elle l’aimait, mais pas dans sa forme actuelle.

Elle était en amour avec le Steve qu’il n’était pas encore, celui qui n’avait ni barbe, ni cheveux, qui possédait plus d’argent et qui par-dessus tout pesait cinquante kilos en moins. Elle avait même été jusqu’à lui faire la description du type de vêtement que cet homme portait.
Évidemment Steve n’allait rien faire d’autre, que tout ce qu’il devait faire pour devenir cet homme, parce qu’il aimait sa femme. On ne choisit pas sa maladie, qu’il se disait.

Il s’était donc empressé de raser ses cheveux et barbe, de trouver un deuxième emploi, et de se payer un nouveau style vestimentaire, conforme à la description entendu. Il avait aussi débuté un régime très agressif qui lui permettait de ne manger qu’une pomme de terre, seulement les jours pairs.

Steve maigrissait, mais Svenka ne remarquait pas grand-chose, il lui aurait été difficile de le faire, puisqu’elle était rarement a la maison, sans doute trop occupée à dépenser le salaire combiné de deux emplois. La seule fois qu’il osa la questionner à propos de l’argent, ou de ce qu’elle faisait si souvent hors de la maison. Elle lui avait citée la définition du mot confiance en guise de réponse et était ensuite parti disparaitre pendant deux jours.

Steve ne questionna plus jamais Svenka. Il ne voulait pas la perdre, l’idée qu’elle puisse le quitter saignait son âme. Il n’était plus qu’à quelques kilos d’atteindre l’amour de sa femme et de pouvoir le savourer dans son entière totalité.

Alors il modifia son régime pour accélérer son devenir, en y retirant les pommes de terre des jours pairs. Avec une alimentation d’absolument rien, Steve avait fondu si vite qu’il en perdit ses deux emplois la même journée. Ses patrons le prenait pour un drogué, au quelle la vitesse de sa perte de masse ne pouvait qu’être proportionnelle à la vitesse de la chute libre d’un junkie.

C’est donc sans emploi, mais réchauffer par le fait que seulement trois kilos le séparait d’être aimé, qu’il rentra chez lui, ou il trouva tous les miroirs de la maison fracassés.

Svenka pleurait en boule dans un coin sombre de la chambre à coucher. Elle disait qu’elle était une vache et priait Steve de lui pardonné. Elle lui avoua qu’elle dépensait tout l’argent dans la cocaïne, qu’elle l’avait trompé a d’innombrable reprises, qu’elle l’avait épousé pour la citoyenneté et qu’elle avait espérée qu’il la divorce.

Elle disait larmoyante, qu’elle ne se le pardonnerait jamais, mais qu’ironiquement sans tout ça, elle ne serait pas tombée en amour avec l’homme qui avait enduré tant de sévices conjugales et qui était même prêt à mourir de faim pour assouvir ses caprices. Un homme qui l’aimait, elle, plus que tout. Plus rien n’avait d’importance pour Svenka a présent, ni son poids, ni ses vêtements, ni son poil et encore moins son argent, elle aimait son mari a la folie.
Elle s’était ensuite glissée hors de son linge et s’était étendue nue sur le lit, finalement prête à accueillir tout l’amour de son homme. Steve resta immobile et muet, meme sa respiration fut inaudible. Il l’observait.
Svenka se demandait ce qui se cachait derrière ce visage de marbre glacial, qui la plongeait dans une angoisse infinie. Était-il en colère, triste, ému, excité, mais bien plus important, l’aimait-t’il toujours?
Dit quelque chose qu’elle lui implora d’une voix étouffée, mais Steve n’émit aucun son. Lui-même ne le savait pas, mais sa femme et lui avait déjà eu leur dernière conversation.
Ce fut bien trop tard, la mamelle gauche arraché et le corps ensanglanté que Svenka comprit que le regard de son mari n’était pas le sien, mais celui de la mort, la sienne. Dissimulée dans le corps d’une bête qu’elle eut elle-même affamée.

Faim

169