Tout a commencé par un appel anonyme : un homme politique, dont je serais obligé de taire le nom, me propose une juteuse somme de cinq millions d’euros pour assassiner un autre de ces politiciens (trop) influents…J’avais un mois pour le rayer de la liste des sept milliards d’être humains qui polluent cette Terre.
Durant vingt-neuf jours, je n’ai cessé de l’observer, de le traquer, repérant ses habitudes, adoptant à l’identique son mode de vie. Le trentième jour, tout semblait prêt, je n’avais pas le droit à l’erreur…
Je prenais ce travail à cœur. Très, très à cœur. C’était pour cette raison qu’il me fallait agir cette nuit. C’était maintenant ou jamais. Impossible de reculer. Je l’ai su à partir du moment où j’avais raccroché le téléphone, trente jours auparavant. J’y ai, de ce fait, engagé mon âme-du moins ce qu’il peut m’en rester, si toutefois j’en ai réellement une. Vendue au Satan de la politique pour cinq millions. Pourquoi dois-je le tuer ? Je n’en sais absolument rien et cela ne me regarde pas : j’obéis, je tue, j’encaisse, la ponctuation est simple. Point final, jamais de points de suspension. Je n’aime pas réfléchir. Je ne peux pas me le permettre. La réflexion engendre inexorablement des états d’âmes : très néfaste pour le boulot. Un tueur à gages professionnel n’a pas d’état d’âme, c’est formellement interdit. A qui se fier sinon ?
Dans les contes de fées, les héros sont toujours sauvés. Parce qu’ils sont plus malins ou plus forts que les dits méchants ? Foutaises ! Face au Chasseur envoyé par sa belle-mère, Blanche-Neige n’a pas sauvé sa peau par la force ou par la ruse, mais par le charme ! Et cet imbécile est littéralement tombé dans le piège et a préféré tuer une biche à la place. Quel gâchis ! Moi, je n’aurai pas hésité une seconde. Bien sûr, ce n’était qu’une enfant…Qu’importe ! Un vrai tueur à gages est aveugle à tout ça, il ne fait aucune distinction. Une cible n’a pas de visage, ce n’est qu’un contrat parmi tant d’autres.
Je garai ma voiture à quelques pâtés de villas de la demeure de la cible. Il me fallait être discret. De plus, j’étais idéalement placé, j’avais un excellent angle de tir. Je ne pouvais le rater bien que ma cible soit en perpétuel mouvement.
Je regardai ma montre, il était une heure deux du matin. L’heure idéale. A cette heure là, tout le monde dort et les fêtards ne sont pas encore sortis de boîte de nuit. J’avais environ une heure pour agir. Largement suffisant.
J’ouvris le coffre et assemblai rapidement les différentes parties du fusil. Je me mis en position, suivant la cible à travers la lunette. Sûr de moi, j’étais optimiste quant à mes chances de la toucher. Mais il ne fallait pas se précipiter. Je n’avais qu’un seul essai. Un centimètre à côté et je pouvais dire adieu aux cinq millions.
J’inspirai profondément. C’était le moment opportun. Maintenant.
La gâchette céda sous la pression de l’index. Alea Jacta Est.
J’avais visé à côté, c’était indéniable. Puis le temps s’arrêta. Je visualisai la munition surgir lentement du canon, entamer lentement sa course, droite et impitoyable. Il me semblait que l’on avait installé une caméra embarquée dans le projectile. J’étais le projectile à proprement parler. Lentement, elle se rapprocha de la cible. De plus en plus lentement. Peut-être n’atteindrait-elle jamais ce fameux point d’intersection…
L’objectif fit un mouvement brusque. Quelques pas sur la droite. La fléchette se ficha au niveau de son cou. Le berger allemand n’eut pas le temps d’aboyer. Il s’effondra sans un bruit.
J’avais étudié avec précision ses mouvements : c’étaient constamment les mêmes et il tournait en rond. Juste une question de timing. La fléchette contenant une puissante drogue narcotique avait fait montre de toute son efficacité.
Les vingt-neuf jours de traque avaient porté leurs fruits, me félicitai-je, en remettant soigneusement mon fusil dans le coffre.
J’avais tout étudié dans les moindres détails : le chien, la situation de la villa, le voisinage…et le digicode.
J’avais, en effet, étudié soigneusement tous les mouvements que faisait l’employée lorsqu’elle composait le code d’entrée. J’avais réussi à les retranscrire au ralenti par ordinateur et ainsi, savoir quels étaient les chiffres composés et dans quel ordre. Aussi, je n’eus pas trop de mal à saisir le code de cinq chiffres (il s’agissait, en réalité de la superficie-en mètres carrés- de sa propriété). Code très original, je devais l’admettre, c’était toujours plus efficace que la date de naissance ou le chiffre 00000. Le portail s’ouvrit, comme je l’avais prévu, sans un grincement. Pour le moment, mon plan se déroulait sans accroc.
Je regardai ma montre, il était une heure dix-sept. J’étais dans les temps. De plus, à cette heure-ci, l’employée de maison et le contrat devaient être dans les bras de Morphée. Pour ce dernier, il fallait faire en sorte qu’il ne les quitte jamais. Le dieu du rêve n’avait plus qu’à passer le relais à Hadès.
Lorsque je refermai le portail, une série de lampadaires s’allumèrent simultanément. Mais je l’avais prévu. Aussi, je plongeai sur le côté, face contre terre et attendis.
Etant couché, donc plus à hauteur d’homme, le jardin replongea à nouveau dans l’obscurité. La lumière avait duré trente secondes, mais cela pouvait suffire à alerter certaines personnes un peu trop…curieuses.
Puis, je me rappelai que tous les volets étaient fermés et que les gens du quartier devaient vraisemblablement dormir. Mais bon, on n’était jamais trop prudent.
Je restai ainsi quelques minutes, je ne sais pas vraiment. On perd souvent la notion de temps dans ces cas là.
Au bout d’un certain moment, je me dis que si quelqu’un avait vu la lumière, il avait maintenant dû se dire qu’il avait rêvé, que c’était le chien ou je sais quoi encore. C’était ma théorie sur la question, j’espérai ne pas me tromper. J’avais confiance en moi.
En usant de mille précautions, je traversai le jardin presque à quatre pattes. Je passai devant le chien. Il semblait dormir profondément. Une idée me traversa l’esprit : et s’il se réveillait d’un coup ? Si la drogue narcotique n’avait pas été assez puissante pour un chien de cette taille ?
Et si j’arrêtai de poser des questions ? Je ris intérieurement de ma bêtise et continuai.
Enfin, je parvins jusqu’à la porte. Heureusement, elle ne comportait pas de code. Juste une serrure. Tout ce qu’il y avait de plus ordinaire. Il suffisait de la crocheter. Aucun problème pour moi, je l’avais déjà fait plusieurs fois.
Le travail de routine achevé, j’ouvris doucement la porte, heureusement bien huilée et pénétra dans la villa. Je poussai un juron d’admiration : jamais je n’avais vu une baraque aussi riche. La valeur de tout ça devait largement valoir le montant du contrat. Peut-être même plus…
J’avais envie de rafler tous les objets de valeurs que je pouvais prendre et partir d’ici. Je pourrais finir calmement mes jours au soleil sur la Costa Brava ou dans une villa en Californie. Prendre une retraite bien méritée après toutes ses années, tous ces contrats. Meurtres politiques, crimes passionnels, vengeances…Je ressentais une sorte de lassitude, j’avais fait le tour et mon adrénaline était, depuis bien longtemps, à son maximum. J’étais comme…blasé. Ce petit jeu ne m’intéressait plus. Ce sera mon dernier contrat. Puis, je tirerai ma révérence et vivrai (enfin) une vie normale, à partager des moments avec ma femme et mes petits-enfants qui viennent de naître. Devenir le mari et le père que je n’ai jamais été. Devenir quelqu’un d’ordinaire. Se fondre dans la masse.
Je revins à moi. Il était vraiment temps que je m’arrête, je commençais à éprouver des sentiments.
Premier étage. Deuxième à droite.
Je montai les marches, toujours avec la plus grande discrétion. L’avantage des grandes baraques, c’est que tout est refait de manière nickel, donc très peu de chances de faire grincer le parquet ou les escaliers.
Une fois arrivé devant la porte, j’inspirai profondément : les cinq millions étaient derrière cette porte, sûrement en train de dormir profondément. Il suffisait d’une balle de silencieux Ruger MK II calibre 22 LR et ce petit jeu serait terminé. Pour moi et pour lui.
La porte était presque ouverte. Etrange. Moi qui pensais qu’elle serait fermée à double tour. Quelque chose me disait que c’était très anormal. Pourtant, poussé par une force invisible, indépendant de ma volonté, je poussai légèrement la porte et me glissai dans l’entrebâillement.
J’avais connu des coups de théâtre mais celui-ci était le comble de tous !
Le contrat était tranquillement assis dans un fauteuil de cuir, en train de se servir à boire et me fixait avec un grand sourire. Je ne lisais pas la peur dans ses yeux, au contraire de mes autres précédentes victimes. Les bras m’en tombaient. C’était à vous dégoûter du métier de tueur à gages. Enfin, il ne fallait pas s’arrêter à si peu de choses. Cet homme était peut-être fou ou fatigué de vivre. Peut-être était-ce lui l’appel anonyme. Cela ne m’intéressait pas, il suffisait juste que mon index ganté appuie sur la gâchette du silencieux et basta !
L’homme me tendit un verre de whisky, toujours avec son sourire jovial. Pour qui se prenait-il ? En guise de réponse, je levai mon arme et presque sans viser-il était de forte corpulence-, tirai. Six fois.
Deux dans le cœur, deux au front, deux dans l’abdomen. Histoire de ne pas faire de jaloux. Le contrat à cinq millions s’affala sur sa chaise. Voilà dans quel état on est après l’alcool…
– Désolé vieux, je ne bois jamais en service.
Sur ces mots, j’éteignis la console et me pris un verre de whisky.
Je jurai : C’était pas trop tôt ! Vingt-neuf fois que j’essayai de le tuer ! Vingt-neuf fois ! A chaque fois, il y’avait quelque chose qui m’en empêchait : le clebs qui aboyait, ou même qui m’attaquait (lorsque j’essayais de l’attaquer au corps à corps) et me tuait, un témoin oculaire, la bonne qui se réveillait à cause du bruit…Enfin, c’était terminé, je ressentais en moi une sorte de satisfaction personnelle. Ce qui confirme ce que j’ai toujours entendu autour de moi: seul le crime paie.
Je regardai ma montre : déjà une heure trente du matin ! Combien de temps avais-je passé sur ce fichu jeu vidéo ? Je ne savais pas, mais peu importait.
Je baillai. Il était largement l’heure. Je me glissai dans mon lit et m’endormis presque sur le coup.
L’homme me tendit un verre de whisky, toujours avec son sourire jovial. Pour qui se prenait-il ? En guise de réponse, je levai mon arme et presque sans viser-il était de forte corpulence-, tirai. Six fois.
Je me réveillai en sursaut. Encore ce mauvais rêve ! Ce jeu m’avait décidément perturbé. C’était le problème des jeux vidéo d’aujourd’hui. Trop réalistes. On s’y croyait vraiment. Trop même. Il fallait que je me rafraîchisse les idées.
Je me levai d’un bond, pris quelque chose dans la commode et quittai la pièce.

– La nuit a été longue !
Ce fût la première phrase qui me vint à l’esprit ce matin, en prenant mon petit-déjeuner. Je pestai contre ce foutu jeu vidéo. Tout était de sa faute après tout. C’était à cause de lui que je m’étais couché si tard. A cause de lui que je m’étais levé en pleine nuit. A cause de lui que…
Mon chien aboya à ce moment. Je le fis taire, d’autant que je voulais écouter les informations à la télévision.
– Mesdames et messieurs, bonjour ! Voici les titres de l’actualité ce matin. Un homme politique assassiné cette nuit. Le député (mon chien aboya à nouveau) a été tué par balles dans la nuit alors qu’il s’était accordé quelques jours de congé dans sa villa à… (mon portable vibra, je ne répondis pas).
– …employée de maison qui a donné l’alerte. Le monde de la politique a perdu l’un de ses meilleurs éléments.
Suivit ensuite un reportage sur le défunt. Ses débuts dans la politique, ses orientations…toute sa vie fût passée en revue. Ce visage…Il m’était familier. Etrange !
– …actuellement, il s’était accordé quelques jours de vacances dans sa villa du… (un coup de klaxon provint de dehors).
Je reconnus tout de suite l’endroit. C’était dans ma ville, à quelques centaines de mètres de chez moi.
– D’après nos récentes informations, le meurtre aurait été commis entre une et deux heures du matin et selon notre expert en balistique, ce serait l’œuvre d’un silencieux Ruger MKII calibre 22 LR. Nous ne pouvons en dire d’avantage pour le moment. Dans le reste de l’actualité…
Sans un mot, je me levai de table et sortis, me dirigeant vers ma boîte aux lettres. Je ne fut pas surpris de trouver une enveloppe ni cachetée, ni timbrée. Je l’ouvris et poussai un cri de joie.
A partir de ce moment, ma vie allait changer.

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