Les deux croissants de lune se reflétaient parfaitement sur l’onde d’une mer calme et clémente. Une douce brise caressait le visage d’une femme qui aurait pu être Nymphe tant sa beauté dépassait toute celle qu’il avait pu voir. Sans bruit, il l’observait dans l’ombre d’un rocher. À moitié dans l’eau, le torse mouillé par ses longs cheveux châtains, il se délectait du spectacle qu’offrait le corps de la belle sous une température tropicale.

Elle nageait avec élégance, disparaissant parfois sous l’eau, revenant avec douceur à la surface en laissant échapper de sa bouche pulpeuse un soupir qui faisait naitre en lui le désir. Il voulait l’accompagner dans sa nage majestueuse, l’enlacer dans l’eau, la toucher. Ressentir son énergie, onduler de concert avec elle, voir son aura. Mais elle aurait surement peur. Alors il restait là, caché par le grand rocher où les vagues venaient s’écraser doucement contre ses muscles.

D’une voix pure elle se mit à chanter un air mélancolique au clair de lune. Les vibrations de sa voix vinrent à lui comme un parfum enivrant. Sous le charme, son coeur se mit à battre plus fort, sa peau prit la chair de poule. N’y résistant plus, il répondit à son chant à son tour d’une voix grave et sensuelle sans sortir de sa cachète.
Elle sursauta et regarda tout autour d’elle. Il se plaqua contre le rocher où elle ne pourrait le voir.
– Qui est là ?
Il ne répondit pas. Pourtant il le voulait mais ne le devait pas.

Elle se remit à chanter. Sans parole, juste une mélopée aussi douce et calme que la mer. Il essayait de résister, il ne la regardait plus. Il fermait les yeux en s’enfonçant dans l’eau. Mais les vibrations du chant venaient comme des vagues sur son coeur. L’eau turquoise se mit à s’illuminer. De petites méduses se mirent à danser autour d’elle dans un ballet aquatique lumineux. La belle était émerveillée. La lumière des méduses révéla les traits fins et sensuels de son visage. Ses grands yeux légèrement en amande d’un vert bleuté, sa bouche charnue, son petit nez, une harmonie de charme et de perfection. Il ne pouvait cesser de la regarder, de l’admirer. Elle chantait pour les méduses qui semblaient réceptives. Elles tournaient lentement sans la toucher, sans la blesser comme si elles aussi étaient sous son charme.
Enchanteresse ? Nymphe? Qui était-elle ?

Cela faisait plusieurs années qu’il se risquait à venir observer ses êtres venus d’ailleurs, non par passion mais c’était sa mission. Ils étaient venu à bord d’immenses vaisseaux spatiaux. Ils n’étaient qu’un enfant à cette époque, vivant trop loin pour les voir au début. Ils avaient traité avec les êtres terrestres de la planète et conclu à un accord qui leur permettait de rester là contre leur connaissance. Un accord avait été conclu avec le roi du peuple des eaux, les êtres terrestres ne devaient en aucun cas révéler leur existence aux nouveaux peuple venus de l’espace. Le peuple de l’eau est assez discret et méfiant, surtout que les nouveaux arrivants avaient fui leur planète après un grand cataclysme qui avait détruit leur plus grande cité sur une planète qu’ils nommaient Terre. La question était simple, que s’est-il passé sur cette planète Terre et y sont-ils pour quelque chose?

C’est pourquoi le peuple de l’eau les observaient en envoyant des espions comme Issao pour apprendre sur ce peuple étrange. Il avait fini par apprendre leur langage mais jamais dans ces observations il n’avait vu une telle beauté. Jamais il n’aurait pu imaginer qu’il tomberait sous le charme d’une femme de ce peuple.

Les méduses partirent lorsqu’elle arrêta son chant et le silence s’imposa.
Peu rassurée, elle sortit de l’eau en essorant délicatement ses très longs cheveux blonds qui recouvraient les rondeurs de sa gracieuse féminité. Elle marcha sur le ponton qui menait à sa maison sur l’eau. Issao l’observa s’avancer vers la porte d’une de ces étranges habitations de forme circulaire. Il avait vu leur construction s’étendre sur la planète. En plus des terres, ces êtres envahissaient maintenant les eaux.

Un homme sortit de la maison de la belle et dit un nom.
– Cléio, as tu finis de t’amuser dans l’eau?
Elle s’avança vers lui tel un chat et il l’enlaça
– Oui, il y a eu un phénomène magique, je chantais et des méduses lumineuses sont venus autour de moi, mais j’ai cru entendre quelque chose dans l’eau. Comme un chant répondant au mien.
L’homme l’embrassa tendrement et la prit dans ses bras.

Toute illusion perdue, les yeux bleu clair légèrement bridés d’Issao trahissaient son amertume. Son coeur se serra en voyant la belle embrasser cet homme dont il devint jaloux en une fraction de seconde.
Même si lui-même est doté d’une beauté certaine, celle que l’ont dit androgyne mais assez viriles pour plaire. Son monde et le sien sont comme deux planètes dans l’univers, proche, visible mais à des milliers de kilomètres malgré tout. Comment atteindre le coeur d’une femme déjà amoureuse? Et qui vient d’un ailleurs inconnu.

Triste et en colère, il leur tourna le dos. Avant de plonger il prononça le nom de la belle en regardant les lunes.
Le bruit étrange de l’eau attira Cléio qui eut un regard vers l’onde que laissa le mouvement d’un être dont elle ne soupçonnait même pas l’existence.
La nuit cacha à la belle, la queue-de-poisson qui disparaissait dans les profondeurs de la mer.

Tu as entendu . On dirait qu’un gros poisson était là. Dit-elle en s’approchant de l’eau.
Je te l’ai dit, il ne faut pas aller nager la nuit. On ne sait pas encore ce qu’il y a sur cette planète. Elle si immense que l’on n’a pas encore tout explorée. Rentrons.

Cette nuit-là, Cléio s’endormit dans les bras de son amant, ignorant qu’un être marin que l’on nomme Aqualon sur cette planète, était tombé amoureux d’elle.

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