Monstre. Ainsi était nommé chacun des membres de cette communauté à part, si différente de nous. Bien souvent, ces gens volaient tout ce qu’ils trouvaient : nourriture et objets de valeur ne leur faisaient pas peur.

Les seigneurs des terres alentours encourageaient les hommes de la garde royale à les pourchasser et à les exterminer jusqu’au dernier.

Ainsi, durant mes quinze années de service pour notre bon roi, je n’avais cessé de les traquer et de les torturer. A mes yeux, ils n’étaient que de la vermine qu’il fallait arrêter à tout prix avant qu’ils n’envahissent nos villages.

Leurs femmes étaient pleines de vices. Elles séduisaient les innocents et les entraînaient dans des lieux malfamés. Souvent, on ne revoyait jamais les pauvres naïfs qui avaient osé leur accorder leur confiance l’espace d’un instant.

Ces gens n’avaient aucune dignité et aucun sens de l’honneur. Ils se faisaient passer pour des handicapés alors qu’ils n’en étaient pas et profitaient de la bonté des gens de nos contrées pour s’enrichir vilement.

Apparus sur nos terres seulement deux décennies auparavant, leur nombre n’avait cessé de croître depuis. Personne ne savait d’où ils venaient. On ne connaissait que très peu de choses sur eux. Certains ne leur prêtaient pas attention mais la majorité de la population locale les considérait comme des pestiférés et s’en méfiait grandement.

La criminalité s’était installée progressivement dans nos régions pourtant si calmes autrefois. Malgré leurs nombreuses arrestations, le sang ne cessait de couler dans les deux camps. Ils étaient partout et nulle part à la fois. Impossible de trouver leur cachette mystérieuse.

Une maigre poignée était enfermée dans les cachots des châteaux des seigneurs qui ne désiraient pas les tuer. Les autres étaient pendus sur la place publique sans aucun ménagement.

Ils étaient tellement organisés qu’il nous était parfois difficile de les distinguer de simples villageois venus faire un tour au marché. La psychose montait à tel point chez les seigneurs qu’ils nous ordonnaient de trancher la main de tous les voleurs que nous prenions en train de commettre un délit, même s’ils n’appartenaient pas au clan que nous pourchassions. Cela devait servir d’exemple.

Sans réfléchir, je m’étais toujours plié aux ordres de la hiérarchie. Arrestation après arrestation, meurtre après meurtre, je ne cessais de me faire bien voir de mes supérieurs.

Moi-même fils d’un seigneur influent, j’avais été nommé commandant en chef d’une petite armée d’une vingtaine d’hommes. Je n’avais alors que trente ans. Hypnotisé par les belles paroles de notre roi, je menais de nombreuses traques en son nom.

Mais un soir, alors que nous pensions avoir découvert un couple de ces monstres en train de se cacher dans un bois pour nous échapper, un des hommes dont j’avais la responsabilité, sire Amaury, disparut à son tour.

Plus qu’un préposé, il était devenu mon ami. Sa balafre à l’œil gauche ne laissait personne indifférent. Malgré son handicap qui réduisait considérablement son champ de vision, il avait toujours l’habitude d’aller au combat sans réfléchir aux conséquences.

Souvent mis à l’écart, j’avais été le premier à le traiter comme l’un des nôtres, ce qu’il était. J’avais été bien plus qu’un ami pour lui. J’avais été un véritable frère aîné protecteur et attentionné, presque un père.

Ce jour-là, alors que l’aube se levait enfin, nous n’avions aucune nouvelle de lui. Il avait désobéi à mes ordres, une fois de plus, pour tenter de me surprendre et me rendre fier de lui.

Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il était un jeune garçon très prometteur et qu’il répondait déjà à toutes mes attentes. Il n’aurait pas eu besoin d’en faire plus pour un jour prendre ma place en tant que commandant lorsqu’il en aurait eu l’âge.

Au lieu de cela, il avait encore tenté l’impossible pour essayer de se faire respecter par les autres membres de nos rangs qui ne cessaient de se moquer de lui en raison de sa différence physique. Pour la première fois, la peur s’empara de moi lorsqu’il ne répondit pas à nos innombrables appels.

Cette nuit-là, j’avais perdu un frère, un enfant de notre clan.

Furieux, je ne voulus pas en rester là. Ces êtres abominables avaient enlevé mon ami. Seuls les Dieux savaient quel genre de supplices ils étaient en train de lui faire subir pour le forcer à parler de nos plans. Je priais pour qu’il ne souffre pas avant de mourir.

Mais j’avais espoir de le retrouver. Quelque chose au fond de moi me disait qu’il était encore en vie et qu’il fallait faire vite si je voulais le sauver.

Malheureusement, plus les jours passaient et plus l’espoir de le revoir s’amenuisait. La vermine s’était retirée de la zone que l’on m’avait confiée, comme pour me narguer.

Un seul mot résonnait incessamment en moi : vengeance.

Cette disparition avait soudainement donné un sens à ma vie. Ma lutte contre ces êtres malveillants n’avait été jusqu’alors qu’un caprice de mes supérieurs. Elle avait été une nécessité pour la survie de notre clan, du moins, c’était ce que je pensais.

Mais après la perte de sire Amaury, tout me semblait différent. J’étais directement impliqué dans cette guerre qui n’avait fait de moi qu’un simple pion. Je voulais être bien plus que cela. Je me devais d’être un justicier, en l’honneur de la mémoire de notre ami disparu au champ de bataille.

Obsédé par la mort de ceux qui avaient enlevé mon ami, je ne remplissais plus mes devoirs comme auparavant. J’étais souvent distrait et ne souhaitais plus me rendre aux grands banquets organisés par les riches seigneurs des environs. Mon comportement se fit rapidement remarquer et on voulut me mettre en garde contre une éventuelle rétrogradation si je ne me reprenais pas en main.

Malgré les nombreux avertissements, je refusais de quitter le terrain, de jour comme de nuit. Je dormais généralement sur de grosses branches d’arbres, caché à l’abri des regards, qu’il pleuve ou qu’il vente. Je ne rentrais plus chez moi.

Cette traque était devenue une affaire personnelle. Mes hommes abandonnèrent l’idée de me revoir un jour au sein de nos rangs après plusieurs mois d’exil, loin de mes terres natales.

J’avais pris conscience qu’il ne servait à rien de s’attarder sur des territoires qui n’étaient pas directement infectés par ces êtres. Il fallait que je trouve le lieu secret qui leur servait de refuge. J’en avais un besoin vital. Ma soif de vengeance me rongeait de l’intérieur.

Avoir été incapable de procéder aux funérailles de sire Amaury représentait une punition insupportable. Si j’avais fini par renoncer à retrouver son corps, il n’en était rien concernant la recherche de ses meurtriers.

Un après-midi d’été, alors que le soleil plongeait la population dans une chaleur étouffante, je décidai de m’approcher d’un village qui était souvent la cible de ces étrangers.

Comme à mon habitude, je ne fixais personne. Je me contentais de passer un regard discret sur chacun d’eux, comme une douce caresse, qui me permettait de savoir qui ils étaient réellement. Mon instinct de chasseur ne me trompait jamais.

Au loin, je repérai deux personnes qui n’agissaient pas comme les autres au beau milieu de la place du village. Alors qu’un grand nombre de femmes allaient d’étals en étals pour acheter de la nourriture, deux jeunes profitaient de leur inattention pour dérober une grosse partie du contenu de leurs paniers d’osier. Je fronçai les sourcils.

Ils étaient là. Enfin.

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